L’évidence de l’économie sociale et solidaire dans le champ culturel

L’évidence de l’économie sociale et solidaire dans le champ culturel
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L’association Opale soutient depuis plus de 25 ans le développement et la professionnalisation des initiatives artistiques et culturelles au travers d’actions variées. En 2004, elle reçoit également une mission de ressources pour le DLA, un dispositif public national de soutien à l’emploi dans l’ESS. Luc de Larminat, directeur d’Opale, et Lucile Rivera-Bailacq, coordinatrice CRDLA Culture et animatrice du site ressource Culture & ESS, reviennent sur les différents enjeux qui lient la culture et l’économie sociale et solidaire.


Luc de Larminat et Lucile Rivera-Bailacq ouvrent, avec cette tribune, la nouvelle chronique régulière de l’association Opale. Régulièrement, des analyses seront proposées, des initiatives et des récits d’accompagnements seront relatés, comme autant de signes soulignant l’évidence d’une adéquation entre culture et ESS.


Depuis de nombreuses années, les principes et les valeurs de l’économie sociale et solidaire irriguent le champ culturel et artistique. S’il est cependant souhaitable qu’elles soient plus valorisées, mieux représentées dans les institutions, plus reconnues et soutenues, les initiatives culturelles et artistiques relevant de l’ESS reflètent une formidable dynamique, qui ne cesse de se développer, d’expérimenter et d’innover, au point de devenir aujourd’hui incontournable.

Adéquation de la culture et de l’ESS

L’histoire de l’ESS vient nourrir les questionnements à l’œuvre aujourd’hui dans le champ culturel. De l’associationnisme ouvrier ou des caisses de secours mutuelles du XIXe siècle, aux mouvements portés par des citoyens engagés, écologiques ou alternatifs, en passant par les comptoirs alimentaires ou les coopératives de production et de consommateurs, la diversité de l’économie sociale et solidaire se singularise par trois traits principaux :

  • la finalité de la production : celle-ci n’est pas uniquement l’intérêt commun d’un groupe, elle s’articule avec des objectifs touchant le modèle de société, l’utilité sociale au sens large ;
  • la double dimension, articulant l’économique et le politique (entendu comme le vivre-ensemble) ;
  • un modèle économique spécifique entre redistribution et réciprocité, entre initiative citoyenne et débat avec la puissance publique.

Ainsi, de nombreux débats aujourd’hui à l’œuvre dans le champ culturel – sur les droits culturels, l’intérêt général, la non-lucrativité, la coopération, l’entrepreneuriat collectif, la coconstruction des politiques publiques, le droit à l’expérimentation et la notion de démarche de progrès – montrent à quel point le développement de plus en plus prégnant des idées et des modes d’organisations, issus notamment de l’ESS, trouvent dans le champ culturel un écho favorable auprès des acteurs et des politiques publiques. En définitive, ces débats sont le reflet d’une évolution effective vers une organisation du champ culturel plus juste, plus transparente, plus collective, plus démocratique et plus équitable, et ce, depuis près de 20 ans.

Il ne s’agit pas simplement d’un idéal théorique ou d’une tendance en devenir : la simple observation du fonctionnement de cette multitude d’initiatives culturelles et artistiques permet de mesurer l’évidence de leur adéquation aux concepts de l’ESS. Et c’est en les analysant et les valorisant, qu’il apparaît très clairement qu’elles s’inscrivent pleinement dans cet espace socio-économique poreux spécifique, en interaction avec le service public et un marché dominant.

L’économie sociale et solidaire dans la culture, quelles initiatives ?

Écoles de cirque, lieux de création et de diffusion pluridisciplinaire, radios associatives, collectifs d’artistes… ces initiatives ont le plus souvent un fort ancrage territorial et entendent coopérer avec les secteurs du social, de la finance solidaire, de l’insertion, de l’environnement… Elles génèrent tant des créations artistiques que du lien social de proximité ou de l’épanouissement personnel, et sont aussi les moteurs d’un développement socio-économique local significatif, par l’amélioration du cadre de vie ou la création d’emplois et d’activités économiques. Elles favorisent la participation des habitants, la création d’espaces d’échanges et de solidarités intergénérationnels et interculturels. Elles sont ainsi l’expression même des droits culturels. D’une manière générale, elles replacent le sujet dans une position d’acteur, de citoyen et non plus de simple consommateur de culture.

Par définition, il faut donc considérer que le principe de réciprocité (bénévolat, participation de toutes les parties prenantes au projet, coconstruction, don, échange non monétaire, troc) est prédominant dans leur modèle économique, s’hybridant avec les outils de la redistribution et ceux du marché.

Prédominance des associations culturelles

Si l’on s’en tient aux statuts, les associations sont très nombreuses et particulièrement dans le spectacle vivant où plus de 80 % des employeurs sont des associations. Mais on compte également une centaine de Scop ou de Scic : certains équipements labellisés par l’État, des orchestres, des sociétés de production ou d’édition, des salles de spectacles, des compagnies de spectacle vivant, etc.

Tout comme le nombre de salarié.e.s du secteur culturel qui a doublé en vingt ans, le nombre de création d’associations ne faiblit pas (plus de 15 % chaque année). D’ici 2020, on peut estimer que le nombre d’associations culturelles s’élèvera à près de 300 000, avec certainement près de 200 000 salarié.e.s dans les 40 000 associations employeuses.

Une posture déontologique et une démarche de progrès

Mais il nous semble qu’au-delà des statuts et des règles telles que « une personne-une voix » ou celle de la non lucrativité, les acteurs culturels s’inscrivant dans l’ESS le font autour de principes forts :

  • une attention à l’expérimentation et la recherche d’utilité sociale (entendu au sens large comme une démarche de progrès et non d’utilitarisme comme certains l’interprètent),
  • l’importance de la démarche de progrès,
  • le souci des décloisonnements,
  • les processus de coopération,
  • le respect des droits culturels.

Ainsi l’inscription dans l’ESS est à la fois « une posture déontologique et une démarche de progrès se révélant tout autant dans la manière dont les actions se déploient dans leur environnement que dans la recherche de son amélioration permanente » (B. Colin – Opale, « Auto-déclaration « culture et économie solidaire ? manifestez vous ! », 2007).

Si de nombreuses fédérations ou syndicats dans la culture pourraient se revendiquer de l’ESS, le sentiment d’appartenance n’est pas encore forcément partagé par tou.te.s. Néanmoins, l’Ufisc (Union fédérale d’intervention des structures culturelles) fait explicitement référence à l’ESS, notamment à travers son manifeste Pour une autre économie de l’art et de la culture. Cette union regroupe plus de 2 000 structures culturelles adhérentes qui revendiquent que l’on peut penser autrement la place et le rôle de la culture sur les territoires, et qu’on ne peut enfermer les actes culturels dans les seuls rapports marchands.

Des droits culturels à la protection sociale en passant par la coopération, l’ESS contribue fortement au débat et à la réflexion dans le champ culturel et artistique

Les initiatives culturelles et artistiques se reconnaissant dans l’ESS ont toujours été soucieuses de donner la parole, de renforcer les capacités d’agir des populations du territoire sur lequel elles inscrivent leurs actions, de construire les bases d’un « mieux vivre ensemble », d’organiser des échanges relationnels et économiques équitables sur leur territoire.

Dans leur très grande majorité, les associations culturelles sont des garants de la diversité face au secteur marchand et aux phénomènes de concentration, et parfois même face au secteur public. Une radio associative permet une expression différente sur les ondes, le cinéma d’art et d’essai promeut des œuvres d’auteurs, les labels indépendants soutiennent des artistes émergent.e.s, les salles de diffusion associatives proposent des programmations variées et un accompagnement des pratiques en amateur, les compagnies expérimentent des langages artistiques multiples, des lieux intermédiaires et fabriques artistiques ouvrent des espaces de travail coopératif… Diversité des propositions mais aussi diversité des publics concernés par les propositions… tel est le souci de la plupart des opérateurs associatifs du secteur de la culture.

Cela fait écho entre autres à la Conférence générale de l’Unesco, qui a adopté en 2001 la Déclaration universelle sur la diversité culturelle : « La déclaration, la première du genre au sein de la communauté internationale, élève la diversité culturelle au rang d’héritage commun de l’humanité. Ainsi, la protection de la diversité culturelle est un impératif éthique inséparable de la dignité humaine. »

La mise en pratique des droits culturels vient ainsi renforcer et pousser plus loin encore ces engagements des acteurs de l’ESS : liberté de choisir ses références culturelles, d’établir des priorités et de les changer, liberté d’exercer des activités culturelles, sous réserve du respect des droits et de la dignité d’autrui, droit de connaître les patrimoines, droit de se référer ou de ne pas se référer à une ou des communautés culturelles, droit d’accéder et de participer à la vie culturelle, à commencer par la langue, droit à l’éducation, droit à une information adéquate, droit de participer à la vie culturelle…

L’ESS comme réponse à la précarité des acteurs culturels

La référence à l’ESS prend également toute sa dimension pour proposer des solutions face à la précarité des emplois et des inégalités de situations de travail dans la culture : seulement un tiers des personnes en CDI, des travailleurs avec plusieurs employeurs, une forte pluri-activité, une atomisation et une montée des contrats atypiques, ou encore des structures organisées autour de logiques de projets…

Si la précarité des intermittents du spectacle est mieux connue, ces dernières années ont également vu la montée de l’emploi non salarié et très peu rémunéré (micro entreprenariat, travail indépendant…) qui pose de nombreuses questions sur la précarité et la protection sociale de ces personnes. Par ses principes et modèles collectifs et solidaires, l’ESS doit permettre de mieux soutenir et rémunérer ces travailleurs associés qui créent de la valeur et du commun. Elle doit aussi ouvrir la réflexion sur la refonte de notre système de protection sociale et sur la question d’un revenu minimum garanti.

En rupture avec les tendances actuelles à la concurrence exacerbée, les formes de coopérations entre acteurs sont ainsi des réponses aux contradictions du secteur culturel. Des collectifs formalisés menant des actions communes ponctuelles ou régulières sur un territoire à des collectifs structurés autour de lieux mutualisés (de type friche ou pépinière), en passant par des projets centrés sur les participations citoyennes et des salarié.e.s (Scic, AMACCA, Cigales, CAE, lieux de pratiques artistiques en amateur…) jusqu’à des formes très développées de coopération territoriale comme les PTCE culture (Pôles territoriaux de coopération économique), les acteurs culturel et artistiques de l’ESS tentent d’apporter des solutions concrètes dans une économie du partage.

Initiatives alternatives et non pas utopiques

Ces expériences cherchent entre autres à dépasser cette contradiction entre la marchandisation du domaine culturel et du monde associatif, et la nécessité d’une organisation globale plus coopérative et plus égalitaire. Lorsque ces réflexions et initiatives de mutualisation et de coopération sont portées à l’échelle d’un territoire, elles deviennent complémentaires les unes aux autres, elles sont des outils (d’action et de réflexion) pour la structuration de la filière culturelle, aux frontières des questions d’emploi, de politiques culturelles et d’économie sociale et solidaire.

Dans un monde largement régulé par des multinationales et par le marché, ces initiatives aux prises avec le réel et les territoires constituent, non plus des utopies, mais bien des alternatives évidentes qui cherchent surtout à consolider et déployer l’expression concrète de leurs valeurs.

Luc de LARMINAT et Lucile RIVERA-BAILACQ

Opale-CRDLA Culture

Photo© Frederick Guerri


TABLE RONDE AUX BIS DE NANTES

18 JANVIER 2018 À 16H

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Dans le cadre des BIS de Nantes, le 18 janvier prochain, Profession Spectacle organisera un atelier sur le thème : « Une économie sociale du spectacle est-elle possible ? »

Cette table ronde réunira :

  • Philippe Kaminski, ancien président de l’ADDES et actuel représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte d’Ivoire (RIESS)
  • Bernard Latarjet, conseiller culturel, auteur d’un rapport sur ESS & Culture pour la Fondation Crédit Coopératif
  • Stéphanie Thomas, présidente de l’Ufisc

Atelier modéré par Pierre Gelin-Monastier, journaliste et critique, rédacteur en chef de Profession Spectacle.

ATTENTION : places limitées, inscriptions obligatoires.



 

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