Les Têtes de l’art : social et efficacité sont indissociables

Les Têtes de l’art : social et efficacité sont indissociables
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Implantée à Marseille et active depuis plus de vingt ans, l’association Les Têtes de l’art est spécialisée dans les « projets artistiques participatifs », mais aussi dans l’accompagnement de projets. Entre 35 et 50 d’entre eux naissent tous les ans grâce à elle, ce qui représente 4 000 participants, en France, mais aussi à l’étranger. Sa réussite la place aujourd’hui parmi les associations culturelles les plus importantes du pays.

Bien que l’association soit implantée à Marseille, son dirigeant revendique pourtant un affranchissement vis-à-vis de son territoire ; elle s’ouvre effectivement à l’international.

Équilibre entre social et efficacité

Sam Khebizi est l’un des trois fondateurs des Têtes de l’art. Ancien comédien, il s’est formé à l’économie sociale et solidaire en 2007. L’association lui a permis de mettre en pratique les principes de l’ESS déjà en vigueur et d’envisager la conduite des projets sous cet aspect. « Le social ne peut se départir de l’efficacité », une certitude pour Sam Khebizi qui s’attache à redonner à l’ESS tout son sens et à déployer son potentiel, dans un équilibre entre éducation populaire et secteurs de la culture.

Un tel développement est le fruit d’un travail de collaboration intuitif, nourri peu à peu grâce aux sollicitations des structures locales et aux nombreux artistes talentueux, pour faire de l’art un outil social et de l’économie, un vecteur d’épanouissement.

Le point fort de l’association est d’avoir mis en pratique beaucoup de principes qui relèvent de l’ESS depuis sa création en 1996 : la transversalité, le pluridisciplinaire, le pluri-sectoriel, et le pluri-territorial.

La forme associative : un atout considérable

Les Têtes de l’Art - Départ CendrineQuand beaucoup d’acteurs culturels ont basculé dans la forme coopérative pour répondre à leur désir de pratique en commun, Les Têtes de l’art est restée sous forme associative pour les mêmes raisons, après une véritable réflexion.

Sam Khebizi évoque les « fantasmes collaboratifs » souvent à l’œuvre : il constate « beaucoup de débats sur la forme coopérative » pour très peu de transformation des organisations dans ce sens. Le nombre de coopératives augmente pourtant, notamment les SCIC*, « qui font le plus fantasmer ».

Le directeur de l’association répond de son choix en ayant conscience que la forme associative ne répond pas forcément à « l’aspiration de la plupart des acteurs culturels », « respectant peu les principes de la fonction d’emploi pour l’artiste » et se limitant à être un « véhicule administratif ». D’où l’attrait pour la forme coopérative plus apte à coller à la « double fonctionnalité de dirigeant et de salarié ». Le problème, selon lui, est une certaine « manie dans la méthodologie de projet à penser que le véhicule administratif va résoudre les problématiques de la structure : que ce soit en termes de financement, de crédibilité par rapport aux institutions, de gouvernance ou de RH ».

« Le mode associatif, quand il est bien géré, offre énormément de libertés », assure-t-il, grâce au régime fiscal et au mode de gouvernance possible par exemple. L’obtention de subventions est également plus simple, car « les institutions pensent que les associations sont les seules à pouvoir recevoir des subventions, alors que ce n’est pas écrit dans le texte », rappelle Sam Khebizi. Ce qui explique que beaucoup d’acteurs culturels en SCOP** « ont ensuite des problèmes relationnels avec les institutions pour recevoir des subventions ».

Dans son rôle d’accompagnement de projets, mais aussi de structures porteuses de projets, l’association « rappelle aux opérateurs que la forme juridique termine le processus » et qu’il faut « la remettre à sa juste place », pour choisir la forme qui convient le mieux au projet.

La création artistique au cœur de la médiation

Sam Khebizi, directeur des Têtes de l’Art (crédits : Arnaud Brunet)

Sam Khebizi, directeur des Têtes de l’art (crédits : Arnaud Brunet)

L’innovation a supplanté ici la tradition. Cette approche de la médiation a suffisamment fait ses preuves pour pouvoir s’exporter. « On a eu une capacité à prendre du recul sur les modèles de projet, argue Sam Khebizi, puisqu’on fait une médiation par le projet et pas par la structure ». Habituellement, les modes de médiation en France – d’un lieu ou d’une compagnie – consistent à mener les projets d’action culturelle en marge de leur création.

« La vocation de la Tête de l’art est de s’émanciper de ce modèle », en se concentrant sur le but du projet artistique ; « en face, on leur donne les modalités pour le mettre en œuvre, car ils ne sont pas forcément formés à monter des projets », observe le directeur de l’association. Une garantie pour répondre aux objectifs du projet, en plus de travailler son caractère collectif.

Depuis peu, l’association des Têtes de l’Art s’ouvre à l’accompagnement de projets en Europe : elle a vocation d’une part à faire bénéficier de ses 20 ans d’expérience à l’international, d’autre part à apprendre des autres pays la conduite des projets participatifs.

Maîtrise de l’économie par l’ouverture à l’internationale

À ce double enjeu s’ajoute la remise en exergue d’un principe même de l’ESS : l’économie. « Quand on ne maîtrise pas son économie, on la subit, insiste Sam Khebizi. On n’arrivera pas à atteindre son objectif social si on ne maîtrise pas cette dimension-là ». Propos qu’il rappelle souvent aux porteurs de projets qui ne « correspondaient pas à leurs envies premières à cause de cela ».

L’ouverture à l’internationale est donc aussi « une stratégie de résilience économique pour dépendre moins des financements locaux, liés aux changements de gouvernance des collectivités locales, et la raréfaction des aides budgétaires. C’est donc pour minimiser le risque réel de baisse de crédits à l’échelle locale, pour des raisons politiques ou budgétaires, et pour avoir des ressources à une échelle un peu plus stable et plus accessible au regard de la taille de la structure administrative ». À cette fin, le contenu et la sécurisation du modèle économique de l’association sont les deux conditions prioritaires des Têtes de l’art.

Si l’association marseillaise dit maîtriser l’ESS, où en est-elle à l’étranger ? À peu près comprise partout en Europe, la notion de coopérative inquiète encore les pays de l’Est, à cause de sa mauvaise utilisation à l’époque soviétique : la césure Est/Ouest se fait encore sentir. « La liaison sociale et solidaire demeure assez spécifique à la France », mais le mouvement européen Social Economy Europe rend très bien compte de la place de l’ESS en Europe. Seul le bloc anglo-saxon l’entend plutôt sous la forme du « social business ».

Mode de gouvernance participatif

Les Têtes de l’ArtLa croissance de l’association n’a pas altéré le mode de gouvernance participatif à l’œuvre, même si certaines concessions ont dû être établies au moment où l’association est passée d’une trentaine d’artistes à près de 150. Le conseil artistique annexe au CA traditionnel, peu viable, n’a donc pas duré. Mais « la vision partagée avec les artistes n’imposait pas la nécessité de cet espace ».

Les principes de l’organisation du CA sont d’avoir des membres de différents secteurs d’activité, pour avoir des regards qui collent avec l’activité de transversalité de l’association axée sur art et social. Un tel fonctionnement contrecarre les conflits d’intérêts dans les interventions, d’où un système précédemment distinct pour les artistes.

Une vision qui allie valeurs et efficacité, pour une réussite globale

Sam Khebizi déplore la « tendance à rattacher l’ESS à des pratiques liées à des valeurs », alors qu’ils sont aussi « des principes d’efficacité ». Concernant l’embauche, l’association a ainsi limité les contrats aidés et les emplois précaires. Depuis dix ans, plus aucun emploi à temps partiel n’est signé, « pour ne pas contribuer au développement des travailleurs pauvres ». Les deux anciens contrats aidés ont été pérennisés et dix permanents, dont huit en CDI, sont maintenant employés.

« Quand on gagne 700 ou 800 € par mois, on n’est pas concentré sur son boulot, souligne-t-il. On ferait une erreur de penser que ce n’est que par éthique, on l’a fait aussi en termes de qualité de management RH ».

Sa vision s’inscrit dans un souci de réussite globale. À savoir : un poste où il y a un renouvellement du personnel entraîne un temps perdu pour la formation, ainsi qu’une mauvaise image donnée aux partenaires locaux qui voient chaque fois leur interlocuteur changer et se désinvestissent… Autant de conséquences qui peuvent être « très préjudiciables » pour certaines actions.

La productivité de la structure est importante car, selon Sam Khebizi, « le social est indissociable de l’efficacité ». L’efficacité des Têtes de l’art tiendrait ainsi à sa vision spécifique, globale dirait probablement le directeur de l’association, du sens de l’ESS.

Louise ALMÉRAS

* SCIC : Selon la loi de 2001 qui a institué les SCIC, leur objet est « la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale ». Le fonctionnement des SCIC est très proche de celui des SCOP : la gestion est démocratique (« une personne = une voix ») et le mode de fonctionnement ne privilégie pas la lucrativité. L’originalité des SCIC est que leur capital peut être détenu également par les salariés et les bénéficiaires de l’activité (les clients, les usagers, les fournisseurs) et par une troisième catégorie d’actionnaires regroupant des collectivités locales, des bénévoles, des financeurs, etc. Aucune de ces parties prenantes ne peut avoir la majorité, ce qui implique intrinsèquement un partage des pouvoirs. (source : economie.gouv.fr)

** SCOP : Sociétés coopératives et participatives, désignent les entreprises à statut Scop (Société coopérative de production) et à statut Scic (Société coopérative d’intérêt collectif). Soumises à l’impératif de profitabilité comme toute entreprise, elles bénéficient d’une gouvernance démocratique et d’une répartition des résultats prioritairement affectée à la pérennité des emplois et du projet d’entreprise (en savoir plus).



Crédits de toutes les photographies, sauf mention contraire : Les Têtes de l’art



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