Les droits culturels existent, Chahuts les a rencontrés !
Les droits culturels paraissent si souvent abstraits que beaucoup se demandent même s’ils existent en pratique ! Le festival Chahuts à Bordeaux n’a aucun doute : ils existent au quotidien. Chahuts a ainsi accepté de passer les tests d’humanité issus de la réflexion sur les droits culturels en Nouvelle-Aquitaine.
Chahuts est une association née à Bordeaux, dans le quartier Saint-Michel classé en zone « défavorisée » depuis si longtemps. Héritière du festival du conte, Chahuts « se consacre aux arts de la parole, comme discipline artistique mais aussi comme rapport au monde : l’art de faire circuler la parole, l’art de l’écouter, la mettre en valeur ou l’analyser. » Le mois de juin est un grand moment de visibilité : « le point d’orgue joyeux et festif de son action à l’année », du moins dans les années « normales ».
Quoi de plus banal qu’un festival « joyeux et festif » puisque, pour 92 % des personnes interrogées dans une enquête récente, un festival est d’abord « l’occasion de sortir du quotidien » ! Pourtant, Chahuts ne se satisfait pas d’être réduit à un moment de plaisir compensant les rudesses du quotidien. Le festival n’a pas la naïveté de croire que faire plaisir au consommateur de spectacle est une fin en soi, comme si « applaudir ensemble » évacuait miraculeusement l’emprise des dominations qui traversent le monde.
Un festival en relation d’humanité
L’équipe de Chahuts aspire à plus de sens : ce qui lui importe d’abord, c’est que le festival offre des opportunités de relations qui libèrent. « Joyeux » mais pas au prix du repli de chacun sur soi ; festif si les différences sont accueillies et accueillantes. Un parfum d’Édouard Glissant souffle sur Saint-Michel : « Je change, par échanger avec l’autre, sans me perdre pourtant ni me dénaturer. Il nous faut l’accorder souvent, l’offrir toujours » (Édouard Glissant dans Philosophie de la relation).
Ainsi proclame le festival : « Chahuts se frotte aux différences, cherche à tisser des liens vivants, favorise l’expression de tous et aiguise chaque jour son amour du risque, de l’invention et de l’exigence. »
L’équipe aspire à rendre possible le dépassement des barrières qui enserrent les personnes dans des silos clos. « À la lisière du monde culturel et du champ social, Chahuts offre un espace inédit aux artistes et aux habitants pour qu’ils se rencontrent, lors de résidences immersives, qui entrent en résonance avec l’environnement ou le contexte. »
Une part d’utopie qui, certes, n’est pas vraiment au goût du jour puisque tant de festivals visent la satisfaction du besoin de détente des spectateurs pour renforcer chiffre d’affaires et attractivité commerciale du territoire, clés actuelles de la réussite culturelle. À l’inverse, Chahuts affirme clairement la priorité à une éthique de la participation : « Notre posture éthique vise à impliquer chacun avec la même considération – artistes, institutions, collectivités, structures culturelles, socio-culturelles, associations et personnes de tout poil – et à inventer ensemble des processus et des réalisations qui respectent la singularité de chacun. »
Une telle ambition contient la plupart des ingrédients des droits culturels, avec des contraintes d’organisation beaucoup plus lourdes que celle de proposer des spectacles à des clients. Chahuts en assume la cohérence : « L’association inscrit sa démarche dans la durée, grâce à une co-construction avec des partenaires : habitants, associations et opérateurs culturels ou sociaux, une inscription approfondie sur différents territoires, et par une mise en réseau de nombreux partenaires. »
Voilà le cadre de présence de Chahuts, où des artistes se trouvent bien et heureux d’apporter leur liberté d’expression artistique, où les spectateurs sont d’abord des personnes, acteurs de relations de liberté et de dignité avec les autres, dans l’utopie de « faire humanité ensemble », c’est-à-dire de « faire culture » pour redire, ici, le sens du mot « culture » pour les défenseurs des droits humains fondamentaux.
De l’abstrait au concret : le colloque des enfants
« Trop abstrait », me dit-on souvent alors que programmer une offre de spectacles dans le quartier est une réalité bien concrète comprise de tous. Sauf qu’organiser un spectacle ne relève pas forcément de l’intérêt général, alors qu’un projet relevant des droits culturels des personnes a une valeur d’intérêt général universelle ! La différence est appréciable dans une démocratie attachée à l’État de droit ! Il faut donc entrer dans le détail pour apprécier cette dimension d’intérêt général des activités de Chahuts.
Pour cela, je prends l’exemple du projet « colloque des enfants » : « Chahuts souhaite mettre en place un colloque des enfants, où des jeunes citoyens de quartiers prioritaires parlent de l’actualité, d’une question qui les intéresse, à un public adulte. L’enjeu est de leur donner l’occasion d’exprimer leur opinion sur un fait de société, leur regard sur un épisode de l’actualité. »
L’intention est louable. Toutefois, une telle présentation peut laisser place à des réalités variées, plus ou moins vertueuses… Je voudrais, par conséquent, soumettre le projet « colloque des enfants » au test suivant : en quoi le colloque des enfants est-il en conformité avec les exigences d’une société plus humaine, fondée sur le respect des droits culturels ?
Tester la mise en humanité du projet
Pour tester la relation d’humanité du projet, je vais m’appuyer sur la « batterie de tests » élaborée à la suite de la réflexion collective sur les droits culturels menée en Nouvelle-Aquitaine (cf. Rapport complet).
Première facette de ces tests1 : le projet de faire parler les enfants sur des questions qui les intéressent est-il une mise en humanité ou plus simplement un amical jeu de société donnant en spectacle les enfants ?
La réponse à ce test arrive rapidement. C’est bien l’exigence de mise en humanité qui structure le projet. En effet, le colloque des enfants se place sous le contrôle de la Convention internationale des droits de l’enfant, dont on sait qu’elle repose sur les valeurs d’humanité de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Dès lors, le projet partage avec la Convention sa « foi dans les droits fondamentaux de l’homme et dans la dignité et la valeur de la personne humaine ».
L’engagement de Chahuts dans les droits culturels est donc explicite : le projet de colloque des enfants exige de reconnaître les enfants comme des personnes. Par exemple, le projet doit garantir à « l’enfant qui est capable de discernement, le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité » (art. 12 de la Convention). De même, tous les acteurs du projet s’engagent à respecter et favoriser « le droit de l’enfant de participer pleinement à la vie culturelle et artistique… », comme le dit l’article 31 de la Convention. J’ajoute cette précision de l’article 30 que l’on aurait tort de minimiser : « Dans les États parties où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d’origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d’avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d’employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe. »
En s’engageant dans cette quête d’humanité, le projet de colloque des enfants réussit ce premier test d’humanité que peu d’organisateurs sont disposés à accepter. La plupart du temps, cette exigence du respect des droits humains fondamentaux, pourtant impérative de par la loi, n’est même pas imaginée.
Par exemple, le projet Demos, monté en épingle par la Philharmonie parisienne et les collectivités locales, ne manque pas d’affirmer les hautes valeurs éthiques du projet. Mais ces valeurs sont uniquement établies par les organisateurs eux-mêmes ; elles se passent de l’exigence de prendre appui sur la Convention internationale des droits de l’enfant ! De même, dans un récent concours sur la végétalisation de leur école, les enfants bordelais ont été conviés à dessiner : le projet permet, certes, aux enfants de « s’exprimer » mais on ne peut pas dire qu’il relève des droits culturels puisqu’il ignore tout de la Convention internationale sur les droits de l’enfant, contrairement à Chahuts.
Ce premier test d’humanité est déclaratif. C’est déjà bien, mais cela ne suffit pas. Le projet doit affronter un deuxième test d’humanité qui passe par la reconnaissance de la liberté, de la dignité, de la capacité d’argumenter des enfants.
Tester l’exigence de liberté effective
D’abord, examinons l’exigence de liberté : avec les droits humains fondamentaux, l’enfant doit être considéré comme une personne ; il faut donc l’accepter dans sa liberté – non dans le sens fréquent de « liberté formelle » mais dans le sens de « liberté réelle » de faire des choix autonomes.
Les concepteurs du colloque sont conscients de cette exigence. Ils ont ainsi prévu d’accompagner les enfants afin qu’ils s’approprient des mots, des connaissances, des arguments et des outils de communication suffisamment charpentés pour qu’on les prenne au sérieux.
Il y a, dès l’origine du projet, l’apport des professeurs des classes de CM1/CM2 de l’école des Menuts, dont la complicité est précieuse pour une inclusion adaptée des enfants : ainsi, huit heures de travail sont consacrées à travailler sur le choix des thèmes que chaque enfant veut traiter, sur les méthodes pour se documenter comme sur les actions à mener.
Cette étape est en phase avec l’exigence des droits culturels décrite par l’Observation générale 21 du Comité de suivi de PIDESC2 : pour que les personnes puissent vraiment exprimer ce qui est humain en elles, il leur faut disposer de ressources pour cela. Ici, outre l’école, une ressource importante pour que les enfants puissent dire ce qu’ils veulent dire est la bibliothèque du quartier.
Néanmoins, il faut plus : ces ressources doivent surtout être accessibles, de manière adaptée, aux enfants. Le projet est très attentif à cette exigence : une association accompagne les enfants pour qu’ils se « familiarisent avec la bibliothèque ». De plus, pour que les enfants puissent exercer leur liberté effective de faire des choix autonomes, le projet prévoit que l’association Les Araignées philosophes « les accompagnent ainsi sur un travail d’exploration leur permettant de s’approprier leur sujet et nourrir un point de vue qui leur est propre. »
De surcroît, l’accompagnement mobilise des professionnels des arts sous forme d’ateliers d’écriture, de scénographie et de pratiques graphiques, pour que les enfants puissent mieux choisir ce qu’ils ont à dire autant que la manière de convaincre leur auditoire.
Les organisateurs ont aussi prévu du temps pour l’apprentissage de la communication : les enfants s’entretiennent avec des adultes qui les amènent à mieux maîtriser leurs expressions orales ou visuelles. « Trois ateliers lors desquels le groupe de 10 adultes volontaires est présent en bibliothèque pour écouter et écrire la parole de l’enfant. 1 adulte face à 1 enfant (créneaux de 45min max/enfant), soit 2 enfants/adulte sur les 2h, et ainsi 20 enfants écoutés par séance ». Pas d’interprétation ni de réécriture, la parole est retranscrite à l’identique ; il s’agit simplement d’une mise en rédaction suite à une écoute active et dynamique. L’enfant repart du premier échange avec son texte. Au second atelier, il le présente ensuite à un autre adulte pour un 2nd temps d’écoute où l’adulte opère d’éventuels réajustements si souhaité par l’enfant et poursuit l’écriture. Idem avec un troisième et dernier échange. »
S’ajoute ensuite un temps d’intervention d’une comédienne pour que les enfants puissent mieux maîtriser leur voix.
Les organisateurs ont même jugé bénéfique que les enfants jouent un rôle dans l’accueil des invités du colloque comme dans l’organisation du « service au cocktail »…
L’exigence de capabilité
Ainsi conçu, je considère que l’accompagnement est de qualité car il veille à développer la capabilité de l’enfant : le terme est emprunté à Amartya Sen (cf : L’idée de justice) et signifie que la personne peut choisir réellement entre plusieurs options parce qu’elle maîtrise autant les unes que les autres. L’accompagnement a élargi les connaissances des enfants mais aussi l’éventail de leurs argumentations et communications. Il a favorisé la liberté réelle de décider de ce qui est bien pour eux : ils peuvent choisir en toute connaissance de cause et de manière autonome, d’en faire usage ou pas. Leur capabilité s’est accrue.
En ce sens, le projet est d’autant plus en conformité avec les droits humains fondamentaux qu’il met en valeur la capacité des enfants à faire usage de leur raison. Il est là pour que les enfants « mettent en raison leurs convictions« . C’est bien une valeur d’humanité universelle que de faire usage de la raison pour concilier les différences des points de vue : les êtres humains sont doués de raison et c’est bien cette valeur qui est au cœur du projet de colloque des enfants. Ce qu’ils ont à dire sur le monde sera argumenté et c’est à un échange de bonnes raisons que le projet convie enfants et adultes : « Le principe du colloque revêt un caractère sérieux et scientifique qui donne à la parole des enfants, une valeur d’expertise. De là où ils sont, ils sont experts, ils ont un regard sur le monde qui les entoure qui peut nous aider, nous adultes, à regarder le monde autrement. »
Liberté, raison mais aussi dignité.
L’exigence de dignité
Pour que le test d’humanité soit positif, une marche supplémentaire est à franchir : les droits humains (et donc les droits culturels) ont pour souci permanent le respect de l’égale dignité des personnes !
Rien de plus subtil que cette dimension des droits humains fondamentaux, surtout avec des enfants qui, souvent, ne disent rien mais qui n’en pensent pas moins. Une remarque un peu brutale, un geste mal interprété, et l’enfant peut se sentir rabaissé. On dira qu’au titre des droits culturels l’enfant peut être « mis en indignité » sans même que l’adulte s’en aperçoive. Les relations d’accompagnement ont une dimension si sensible, si subjective que nul ne peut garantir que l’enfant ne subira pas l’une des multiples formes de domination exercées par les adultes. Le respect de la dignité est donc plus facile à dire qu’à faire !
En tout cas, le colloque des enfants est attentif à cette dimension puisque, énonce-t-il, « le fait d’être entendu par des adultes redonne aux enfants dignité et confiance en eux ». La nécessité est énoncée ; le test d’humanité est sur la bonne voie.
Un chemin d’émancipation pour faire humanité ensemble
Liberté effective, raison, dignité, le projet, hérité des réalisations faites à Paris par la psychanalyste Yasmina Picquard, dessine pour chaque enfant un chemin d’émancipation cohérent avec les exigences des droits culturels. Tout est fait pour que s’établisse une relation de confiance, une relation de respect des droits, une relation d’estime ou pour englober ces trois dimensions dans un seul mot, une relation de reconnaissance vis à vis des adultes (cf. Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Éd. Cerf). Dans le langage des droits culturels, on aurait dit que l’enfant, en tant qu’être pleinement reconnu, exprime son humanité. Au sens propre, il fait culture avec les autres puisque telle est la définition de la culture dans le référentiel des droits culturels : l’enfant exerce son droit de prendre part à la vie culturelle, droit aussi fondamental que les autres droits de l’homme3.
Le test d’humanité pourrait presque être parfait, au sens où il ne nie pas le plaisir des enfants de dire et de faire, mais il n’en reste pas là : il s’impose l’exigence de leur « reconnaissance » comme êtres d’humanité.
Toutefois, on ne répétera jamais assez que cette quête d’humanité est, par définition, utopique tant liberté, raison et dignité sont toujours à réinventer dans les relations entre les humains… et les non-humains. La perfection serait presque une trahison des enjeux d’humanité, tant l’indétermination – l’opacité dit Glissant – est l’ADN de la liberté.
Vers des marges de progrès
En termes positifs, il reste toujours des marges de progrès. C’est pourquoi je voudrais m’autoriser à pointer quatre balises à prendre en considération pour poursuivre le chemin des droits culturels engagé par Chahuts et progresser dans les tests d’humanité.
1/ La première balise concerne le statut de l’enfant. Le projet l’institue comme contributeur libre et digne dont la parole participe à faire humanité ensemble. En toute cohérence, le test d’humanité demande qu’il ne soit pas réduit à la fonction sociale d’expert. Un « expert« , par définition, sait beaucoup de choses mais n’a pas du tout la responsabilité de dire la valeur du monde, contrairement au statut de personne à part entière, affiché pour les enfants. Au-delà de leur savoir, les enfants expriment leur humanité de personne au même titre que les adultes auxquels ils s’adressent ! Du fait de cette « reconnaissance », les enfants sont des « pairs » plutôt que des experts.
2/ La seconde balise concerne la dimension émancipatrice du projet, qui doit permettre à la personne de faire des choix qui élargissent sa liberté réelle, donc qui changent positivement sa vie. L’enjeu des droits culturels est que la personne soit moins enfermée, moins reléguée dans des situations d’infériorité où elle est mal reconnue dans sa dignité. Il serait donc cohérent d’envisager, au cœur du projet, l’appréciation de ce qui a changé dans la vie réelle de l’enfant. Il serait important, par exemple, de savoir qui prend le relais du projet de Chahuts pour permettre à l’enfant de continuer de progresser sur le chemin émancipateur que lui a proposé le colloque. Cette nécessité est d’autant plus aisée à traduire dans la vraie vie que Chahuts veille déjà à réunir régulièrement ensemble les adultes référents, les professeurs, les bibliothécaires, les animateurs sociaux et culturels ainsi que les équipes artistiques impliqués dans le projet pour prendre le pouls de la situation vécue par les enfants.
3/ La troisième balise porte sur la réciprocité : il paraît juste que la relation d’humanité entre les personnes aille dans les deux sens : des valeurs des adultes vers les enfants, mais aussi des valeurs des enfants vers les adultes. Certes, le projet valorise l’engagement des enfants en organisant le colloque à la mairie, lieu commun de tous les citoyens de la cité, mais qui reste peu familier aux enfants ! En guise de réciprocité, il serait essentiel que les adultes puissent aussi être invités dans des lieux que valorisent les enfants au regard de leurs préoccupations.
4/ La quatrième balise porte sur l’avenir : elle est énoncée par tous les textes internationaux et, pourtant, je ne l’ai jamais vu en acte ; il s’agit tout simplement de former les enfants à leurs droits humains fondamentaux. Ce que leur propose Chahuts ne peut être une parenthèse ; ce devrait être un point de départ : les enfants ont à être informés de leurs droits à la liberté, à la dignité, à la raison, durant et surtout après le colloque. Non pour revendiquer leur intérêt individuel, mais pour être des acteurs, libres et dignes, appelés à coopérer pour faire humanité ensemble avec les autres êtres de raison, libres et dignes ! C’est en ce sens que les droits culturels sont à comprendre comme des devoirs d’établir des relations d’humanité avec les autres.
L’affaire est délicate car chaque personne ayant la liberté d’imaginer le monde à sa façon, il n’y a aucune raison que toutes ces libertés s’harmonisent spontanément. Il faut considérer comme normal les écarts et, par la formation aux droits humains, tenter de favoriser les conciliations entre les cultures pour permettre à la famille humaine de tenir debout, malgré les secousses qui continuellement nous font douter de son existence.
Le colloque des enfants est, en ce sens, une première marche.
Responsabilité première en matière culturelle
À travers le colloque des enfants, on voit bien comment Chahuts emprunte le chemin des droits culturels des personnes, avec la complexité qui l’attend au détour des entrelacs de dominations et des espoirs de liberté et de dignité pour les êtres d’humanité. La complexité est telle que l’on arriverait vite à considérer que ces projets droits culturels sont de véritables « usines à gaz ».
On ne peut d’ailleurs pas nier qu’il en soit ainsi, puisque les interactions entre les humains et les non-humains sont pétries d’incertitudes. Aucun dispositif de droits culturels ne peut être fonctionnel au point de promettre d’aboutir à des résultats si parfaits que les personnes seraient tout à fait libres et émancipés ! Seules les dictatures peuvent le faire croire !
Il serait évidemment plus simple pour Chahuts de s’en tenir à l’organisation de spectacles de qualité pour les publics du quartier, avec quelques médiations culturelles compensatoires ! Sauf que la crise sanitaire nous montre quotidiennement que la valeur d’intérêt général de l’offre artistique est très relative : elle s’est dégradée dans la seule utilité économique – l’économie créative en somme. En rester à des projets d’offres artistiques n’a de valeur d’intérêt général que si l’on croit fermement aux principes de l’économie libérale qui prétendent que la somme des satisfactions individuelles conduit, sous régime de concurrence, à la situation la plus optimale pour l’humanité.
L’approche par les droits humains fondamentaux refuse cette réduction simpliste de l’intérêt général. Elle exige, comme le formule la loi NOTRe (cf. Article 103), des interventions publiques qui sachent soutenir l’utopie des droits culturels pour faire un peu mieux humanité ensemble.
On doit alors considérer que les responsables publics font un faux pas vis à vis de l’état de droit lorsqu’ils ne s’intéressent qu’aux offres artistiques. On peut espérer que la réflexion collective sur la politique culturelle, au niveau local, évitera ce faux pas et parviendra à rendre prioritaire les approches des droits culturels comme celle de Chahuts.
Notes :
1 Sur l’idée de test d’humanité voir l’appel ainsi que les précisions apportées.
2 Le PIDESC est la Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et fait partie intégrante du corpus des droits humains fondamentaux. Le comité de suivi du Pacte publie régulièrement des observations sur la progression de l’application du Pacte dans le monde, dont l’observation générale 21 consacrée au droit de prendre part à la vie culturelle.
3 Il s’agit là de la définition même de la culture pour les droits culturels : chaque être humain fait culture quand il exprime son humanité avec ce qu’il est, ce qu’il rêve, ce qu’il espère de lui-même et des autres. Voir le travail réalisé par le comité de suivi du PIDESC dans son Observation générale 21 qui donne une définition de la culture cohérente avec le corpus des droits humains fondamentaux : « La culture comprend notamment le mode de vie, la langue, la littérature orale et écrite, la musique et la chanson, la communication non verbale, la religion ou les croyances, les rites et cérémonies, les sports et les jeux, les méthodes de production ou la technologie, l’environnement naturel et humain, l’alimentation, l’habillement et l’habitation, ainsi que les arts, les coutumes et les traditions, par lesquels des individus, des groupes d’individus et des communautés expriment leur humanité et le sens qu’ils donnent à leur existence, et construisent leur vision du monde représentant leurs rapports avec les forces extérieures qui influent sur leur vie. » On retrouve les mêmes préoccupations dans la définition de la culture de la Déclaration de Fribourg.
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Photographie de Une – Festival Chahuts (@ Pierre Planchenault)
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