Les conséquences du Brexit : les incertitudes de l’industrie cinématographique anglaise
Que ce soit dans le camp du « Remain » ou dans celui du « Leave », aucun Britannique ne peut prétendre anticiper précisément l’impact de la récente décision des Anglais de quitter par référendum l’Union Européenne. Mais certains aspects de cette décision auront des conséquences évidentes pour l’industrie cinématographique anglaise. Stephen Follows les a listées ; Profession Spectacle s’en fait l’écho.
1. La fin des financements apportés par le programme MEDIA / Europe Créative.
En 6 ans, le fonctionnement de ce système de subvention a permis de fournir plus de 100 millions d’euros à l’industrie cinématographique britannique. Cette perte brutale d’apport est la première conséquence du Brexit.
2. À court terme, les coproductions anglaises-européennes vont se raréfier.
Les co-productions entre des sociétés de différentes nationalités permettent entre autres de bénéficier de certaines protections nationales et de crédits d’impôts de plusieurs pays. Ces co-productions seront rendues plus difficiles avec la perte de valeur de la livre sterling et la hausse de l’incertitude financière et politique – jamais un bon signe pour les investisseurs.
3. À long terme, ces mêmes coproductions vont probablement nécessiter la mise en place d’une nouvelle législation.
Les co-productions officielles ne peuvent exister qu’entre des États ayant signé un accord préalable définissant les règles de ces coproductions. En-dehors de ses propres accords (avec l’Australie, le Canada, la Chine, l’Inde, Israël, la Jamaïque, le Maroc, la Nouvelle Zélande, la Palestine, et l’Afrique du Sud), le Royaume-Uni est surtout signataire de la Convention européenne sur la coproduction cinématographique, en 1992 à Strasbourg. Si les Britanniques quittent cette convention, ils pourraient toutefois – théoriquement – en refaire partie en tant qu’État non-membre de l’UE. En ce qui concerne la France, nos co-productions ne devraient pas être affectées, puisque la France a signé un accord séparé de co-production avec le Royaume-Uni en 1994.
4. Les diffuseurs européens seront moins enclins à diffuser du contenu britannique.
Beaucoup de diffuseurs européens sont soumis à des quotas nationaux en ce qui concerne les contenus européens. En France par exemple, la majorité (au moins 51 %) du temps de diffusion des programmes de divertissement est consacrée à des contenus d’origine européenne. Ces accords étaient non seulement bénéfiques pour les productions du Royaume-Uni, mais aussi pour les coproductions avec les États-Unis. Par exemple, la série The Night Manager (coproduction de 30 millions de livres sterling entre la très british BBC et la chaîne américaine AMC) était encore considérée comme une coproduction européenne. Ce genre de productions sera à l’avenir très certainement pénalisé par le Brexit.
5. Cela reste à clarifier, mais une complication des procédures pour les castings et les équipes de tournages internationales est envisageable.
Ainsi que les partisans du « Leave » l’ont largement répété, un des aspects de l’Europe unie est la libre circulation des biens et des personnes. D’un côté comme de l’autre, une nouvelle réglementation des visas, permis et passeports peut être dommageable. Cela étant dit, la question des passeports et des contrôles aux frontières n’est pas couverte par l’Union Européenne mais par l’Accord Schengen, dont seuls 22 des 28 États de l’Union sont signataires. Le Royaume-Uni et l’Irlande en font partie de manière incomplète ; l’Islande, le Lichtenstein, la Norvège et la Suisse sont membres de l’espace Schengen mais pas de l’UE. Par ailleurs, les bases de la libre circulation des personnes et services sont établies par le Traité de Rome. Quelles seront les spécificités futures du droit de passage concernant l’industrie cinématographique ? Nous l’ignorons encore.
6. Les films britanniques auront plus de difficultés à s’exporter en Europe.
Les productions anglaises ont bénéficié jusqu’ici d’un soutien massif à l’exportation en Europe. Entre 2007 et 2013, ce sont près de 45 millions d’euros qui ont été dépensés pour amener les films anglais au public européen.
7. Il y aura moins de films internationaux distribués au Royaume-Uni.
Toujours sur la même période, des entreprises britanniques ont reçu plus de 20 millions d’euros de l’Europe pour soutenir la sortie de films européens sur l’île. De plus, l’une des conséquences directes du Brexit, l’actuelle faiblesse de la livre sterling, provoque plus de coûts pour les distributeurs britanniques cherchant à acquérir de nouveaux contenus internationaux.
8. Les cinémas indépendants anglais vont accuser une perte de revenus.
56 cinémas indépendants reçoivent des fonds de la part de l’Union Européenne, en moyenne à hauteur de 103 000 € entre 2007 et 2013.
9. Comme dans toute industrie, on peut prévoir un effet négatif de l’incertitude financière qui va régner dans les mois qui viennent.
La volonté de réduire au maximum les risques pris par les producteurs, de même que les sommes colossales en jeu, y contribuent grandement.
10. Le Royaume-Uni abandonne sa capacité d’influence sur les politiques européennes concernant sa production filmique.
On peut citer la proposition d’un marché digital unique, qui forcerait les distributeurs à traiter l’Union Européenne comme un marché unique. Les négociations seront désormais fermées à la Grande-Bretagne.
Abordons maintenant les conséquences qui devraient être positives pour l’industrie cinématographique britannique…
1. Filmer en Angleterre pourrait revenir moins cher.
Si la livre sterling continue de perdre de sa valeur, les productions internationales pourraient être tentées de délocaliser au Royaume-Uni, les grosses productions américaines en particulier.
2. Le Royaume-Uni est à nouveau libre de changer sa réglementation fiscale.
S’il restait souverain en différents domaines, le système des taxes européennes empêchait le Royaume-Uni de changer sa réglementation sans consultation de l’UE sur certains points. En modifiant leurs réglementations pour les rapprocher des besoins de l’industrie cinématographique britannique, les Anglais pourraient se donner un peu d’air.
3. Concernant le marché digital unique, le Royaume-Uni ne serait donc pas concerné par les nouvelles contraintes de cet accord.
Si les nouvelles règles de cette proposition ne sont pas encore connues, le Royaume-Uni – en sortant de l’UE – s’assure une certaine liberté face à des complexités potentielles. En revanche, les films britanniques exportés dans l’UE seront évidemment concernés par ces règles.
4. Les apports à l’UE économisés pourraient être réattribués à l’industrie cinématographique britannique.
En théorie, le Royaume-Uni peut utiliser l’argent économisé par la suppression des apports à l’UE pour pallier l’absence des subventions MEDIA européennes. Toutefois, cette éventualité est extrêmement incertaine, au vu des discours politiques actuels.
En résumé, le cinéma britannique « sort » de ce Brexit dans un état incertain. Si les conséquences négatives sur le plan financier peuvent être en parties compensées par une volonté politique, les très grosses productions (ou coproductions avec les Américains) pourraient même bénéficier de cette scission. En revanche, les cinémas indépendants, les petites productions et les réalisateurs de films d’auteurs, traditionnellement dépendants du système de coproduction et du soutien européen, risquent fort de connaître de très grandes difficultés.
Maël LUCAS à partir de Stephen Follows