« Le respect des auteurs de théâtre relève de la volonté politique »
Les Écrivains associés du théâtre (EAT) ont été créés en 2000, dans une volonté de rassembler les auteurs dramaturges autour de leurs problématiques propres ; la présidence est alors confiée au médiatique Jean-Michel Ribes. Quinze ans plus tard, l’heure est au premier bilan.
Entretiens croisés avec l’une des fondatrices de l’association, Louise Doutreligne, et son actuel président, Philippe Touzet.
Quelle intuition fut à l’origine des EAT ?
Louise Doutreligne – Il y a quinze ans, alors que j’étais au conseil d’administration de la SACD, j’ai pu observer que les organisations professionnelles du cinéma et de la télévision étaient très bien organisées, en dehors de la SACD. Le parent pauvre était le théâtre : aucune association pérenne n’avait encore réussi à les réunir. Certes, il existait des associations d’auteurs, mais toujours liées à des critères esthétiques particuliers ; nous étions devant une juxtaposition de chapelles, sans unité fédératrice : la Chartreuse à Avignon, le Théâtre Ouvert à Paris… C’est pourquoi il y avait de perpétuelles exclusions : tu n’écris plus dans ce style là, tu ne mérites plus d’être des nôtres, etc. Les EAT sont une réponse au morcellement provoqué par ces écoles particulières.
Qu’apportez-vous de plus qu’une énième chapelle ?
L. D. – Nous ne sommes pas une chapelle de plus, pour la simple raison que nos principes fondamentaux ne reposent pas sur une esthétique spécifique. Les critères pour entrer chez les EAT sont uniquement professionnels : nous pouvons ainsi accueillir un auteur de boulevard aussi bien qu’un intello prise de tête, dès lors qu’ils sont tous deux écrivains professionnels de théâtre. Ils auront peut-être des difficultés à se parler, mais pourront tous deux faire partie de l’association. Notre richesse tient de cette diversité.
C’est alors que vous faites appel à Jean-Michel Ribes…
L. D. – Afin que les EAT soient crédibles d’emblée, j’ai effectivement demandé à Jean-Michel Ribes d’en être le premier président, en raison de sa force médiatique. Il fallait que nous tapions un grand coup, car toutes les associations d’auteurs s’étaient écroulées depuis la décentralisation. J’en ai surpris plus d’un : venant du théâtre public, personne ne s’attendait à une pareille décision. Mais tous ces reproches n’y font rien, je n’ai jamais regretté ce choix.
Philippe Touzet – Le résultat est là : l’impulsion donnée par Jean-Michel Ribes a aussitôt permis aux portes médiatiques et politiques de s’ouvrir.
L. D. – Sa présence a servi l’intuition initiale sans jamais l’étouffer : quinze ans plus tard, l’association perdure au-delà du médiatique et du politique. Elle est devenue une force importante qui intègre, année après année, de plus en plus de jeunes.
L’évolution des EAT, après sa création retentissante, s’est-elle faite paisiblement ?
P. T. – Louise a raison de dire que les EAT ont effectivement misé sur des personnalités connues : Jean-Claude Carrière, Michel Vinaver, Daniel Lemahieu, Louise Doutreligne, Philippe Grimbert, Xavier Durringer… C’était normal et souhaitable pour donner une crédibilité première. Toutefois, aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de cette renommée. Si les conseils des anciens sont toujours nécessaires, les EAT ont su évoluer et passer à autre chose. Nous avons fêté notre quinzième anniversaire et je suis le huitième président de l’association : notre action a désormais toute sa légitimité aux yeux des différentes institutions ; elles savent qui nous sommes, le travail que nous fournissons… C’est un enjeu majeur pour toute association que le passage de sa création enthousiaste à l’installation pérenne dans le paysage.
L. D. – Une des particularités des EAT est la fidélité de ses membres ; certains sont très actifs, d’autres moins.
Comment fonctionne l’association ?
L. D. – Les EAT se réunissent tous les mois, ce qui est très rare pour une association – je n’en connais pas d’autres.
Tous les mois ? ! N’êtes-vous pas atteints du syndrome de la réunionite aigue ?
P. T. – Sur les 350 adhérents que compte l’association, près d’une cinquantaine d’entre eux sont présents à ces rencontres mensuelles, preuve s’il en est de l’intérêt qu’elles suscitent.
Mais de quoi pouvez-vous bien parler ?
P. T. – Nous faisons le bilan de tout ce qui s’est passé dans le mois et de ce qui est en préparation. Pour vous donner une idée, entre septembre et juin dernier, nous avons organisé plus d’une manifestation culturelle par semaine, aux quatre coins de la France : spectacles, lectures, débats, colloques, etc., sans parler des événements que nous soutenons. Notre activité artistique est colossale ! Depuis quelques années, nous avons également développé plusieurs volets, social, administratif et juridique. Nous dialoguons avec les institutions, gérons la formation continue, la sécurité sociale avec l’AGESSA, la retraite des auteurs…
L. D. – Les EAT sont une véritable aide à la professionnalisation des auteurs. Nos réunions sont d’une utilité imparable pour nos adhérents car les questions sont multiples.
Quelles manifestations organisez-vous ?
P. T. – Il y en a beaucoup. Au théâtre de Nesle, nous soutenons activement les Petites formes en grande forme qui promeuvent, chaque dernier jeudi du mois, cinq textes courts. Nous sommes également dans la phase finale de préparation d’un mois d’actions, en novembre, autour des écritures contemporaines à Bordeaux, en partenariat avec l’Office Artistique de la région Aquitaine (OARA). Notre manifestation phare reste néanmoins les Mardis Midi.
En quoi les Mardis Midi sont-ils si importants pour vous ?
L. D. – Les Mardis Midi, le prolongement naturel de notre association.
P. T. – Nous y tenons beaucoup parce que c’est un révélateur unique des générations à venir, aussi bien des metteurs en scène que des dramaturges. Il n’existe aucune autre manifestation de ce genre, aussi régulière, aussi pérenne, aussi riche. Nous découvrons sans cesse de nouvelles écritures, de nouvelles personnalités…
L. D. – Ce qui est beau et intéressant, c’est de mettre de jeunes textes dans les mains des directeurs de théâtre de demain, car telle est souvent la destinée des metteurs en scène prometteurs.
P. T. – Avec les Mardis Midi, nous sommes au cœur de notre mission : l’émergence et la révélation de nouveaux talents d’une part, l’accompagnement dans des premiers travaux d’autre part. Une mise en maquette exige du metteur en scène de la créativité ; quant à l’auteur, il entend son texte pour la première fois.
Les Mardis Midi ouvrent-ils à des collaborations au long cours ?
L. D. – Cela arrive. Plusieurs metteurs en scène ont monté par la suite les pièces qu’ils avaient mises en maquette pour les Mardis Midi. Je pense à Une famille aimante mérite de faire un vrai repas de Julie Aminthe : le texte a fait d’abord l’objet d’une maquette l’an dernier, avant une mise en scène intégrale au Lucernaire, par Dimitri Klockenbring.
Ce qui surprend, lorsque l’on vient aux Mardis Midi, c’est la forte assistance : près de cent personnes à la première, avec Ingrid Boymond et Elsa Robinne. Comment expliquez-vous une telle assistance ?
P. T. – Imaginez que, l’an dernier, nous avons dépassé les 250 personnes… C’est effectivement énorme ! Surtout pour le Théâtre 13 / Seine qui est un peu excentré. Telle est un peu la grâce des Mardis Midi qui ont toujours bien fonctionné, aussi bien au Théâtre du Rond-Point, dans le VIIIe arrondissement, que dans le XIIIe.
L. D. – Il est intéressant de noter que le public a évolué entre les deux lieux : le Théâtre 13 / Seine, moins institutionnel, attire un public plus jeune.
Pourquoi laisser l’entrée des Mardis Midi gratuite, alors que vous payez chaque prestation donnée dans ce cadre ?
P. T. – Les EAT sont une organisation professionnelle ; il est donc hors de question de faire travailler les professionnels gratuitement. Notre engagement est naturellement financier. L’auteur touche ses droits ; le metteur en scène et les comédiens sont rémunérés.
L. D. – L’entrée est libre, certes, mais le spectacle n’est pas gratuit. Attention à cette confusion, largement répandue à l’heure d’Internet ! Il y a une économie dans le spectacle vivant, encadrée par des lois et des règles syndicales très précises. Choisir de laisser l’entrée « libre » est un choix politique, qui ne signifie pas que ce qui se passe sur le plateau est gratuit : il y a un coût réel.
P. T. – Les auteurs sont fatigués d’entendre : « Venez jouer dans mon théâtre ; à défaut de gagner de l’argent, cela permettra de vous faire connaître. » Il en est également de même pour les troupes invitées à Avignon, qui doivent débourser 15 000 euros, simplement pour la location de la salle, sous prétexte d’avoir une visibilité. Nous ne désirons pas entrer dans un tel système, qui met sur la paille tant de personnes. Nous avons la chance de bénéficier de subventions de la DGCA et de la SACD, nous nous en servons pour soutenir la créativité émergente, dont les Mardis Midi sont une fenêtre majeure.
Quels sont vos chantiers prioritaires, comme actuel président ?
P. T. – Chaque président a effectivement ses marottes. Les miennes portent principalement sur la promotion des émergents, la formation de la relève et la mise en place de filiales régionales, pour décloisonner le côté parisiano-centré. Je suis également attentif à l’accueil des auteurs : nous avons plus de 50 nouveaux adhérents cette année.
Comment expliquez-vous un tel succès ?
L. D. – La crise sévit dans tous les milieux artistiques : les auteurs sont particulièrement touchés, ce qui explique un besoin réel de se fédérer, pour trouver des solutions ensemble.
P. T. – Le système français n’est clairement pas en faveur de l’auteur. Il y a une paupérisation croissante des dramaturges. Ils sont souvent sous-payés, voire pas payés du tout. Les sommes allouées aux résidences d’auteurs et aux commandes d’écritures ont beaucoup baissé, quand elles n’ont pas tout simplement disparu. Lorsqu’un théâtre voit sa dotation diminuer de 100 ou 200 000 euros, l’auteur dramatique est systématiquement la première victime.
L. D. – Avant, 70 % des financements allaient à la culture et 30% à l’administration. La décentralisation a complètement inversé le système : il ne reste souvent que 20 % pour l’activité artistique. Tout l’argent est pris par le fonctionnement administratif.
Qu’est-ce que vous proposez pour remédier à cela ?
L. D. – Très souvent, l’auteur n’est pas dans l’encadrement artistique d’un théâtre. Notre première demande, que nous répétons depuis la création des EAT, est d’associer un auteur à chaque théâtre, dans chaque centre dramatique, sur chaque scène nationale.
P. T. – Le cœur de la bataille est d’inscrire l’auteur dans la chaîne de production, de lui permettre d’être rémunéré autant que le technicien de surface.
L. D. – Quand vous ouvrez la plaquette de n’importe quel théâtre, vous trouvez les noms du directeur, du sous-directeur, du directeur technique, de Mme Communication, de Mme Programmation, etc. Il n’y a jamais d’auteur associé ! Or c’est tout de même le cœur du théâtre, le centre de la Maison-Théâtre. Les administrateurs habitent cette maison, mais pas les dramaturges… Cherchez l’erreur ! L’artiste doit sonner pour pouvoir y entrer, montrer patte blanche et s’essuyer les pieds pendant 1/2h.
P. T. – Les auteurs de théâtre ont très peu accès au plateau ; ils sont davantage à la rue.
Comment embaucher des auteurs avec de telles baisses de subventions ?
P. T. – La question n’est pas financière ; cela relève d’une volonté politique. Ce n’est pas une personne de plus ou de moins qui risque de coûter cher. Il y aurait un décret signé demain, cela passerait sans souci. Des directeurs ont su rester pendant parfois près de 30 ou 40 ans à leur poste. Pourquoi un auteur n’aurait-il pas la possibilité d’être embauché pour 3 ou 5 ans ?
Les comédiens pourraient dire la même chose…
P. T. – Oui, évidemment… et ils le disent !
L. D. – De nouveau, le problème vient que tout est bouffé par l’administratif. Prenons l’exemple du festival d’Avignon : Olivier Py monte deux spectacles pour un résultat médiocre. Pourquoi ? Parce qu’il est complètement pris par son travail de directeur de festival.
Philippe Touzet – Comme Ribes qui a dû faire trois ou quatre mises en scène en quinze ans… On ne peut pas être partout ! C’est un choix. Les gens ont besoin de sens… un auteur en amène. Il est impératif qu’il soit enfin remis à l’honneur.
Finissons sur une note positive : Jacques Nerson confiait récemment à Profession Spectacle que la nouvelle génération de metteurs en scène est plus respectueuse des auteurs que la précédente…
P. T. – C’est vrai que nous fondons beaucoup d’espoirs dans la jeune génération. Toutefois, ne nous leurrons pas, la disparition de l’auteur reste encore d’actualité.
L. D. – Il est certain que les metteurs en scène respectent davantage les auteurs. Comme disait Michel Vinaver : « Ce n’est pas de la mise en scène que l’on fait sur mes textes, mais de la mise en trop. » Si le travail de certains metteurs en scène occultait effectivement le texte, la multiplication des collectifs résonne aujourd’hui comme une invitation à travailler ensemble.
P. T. – Cela fait maintenant 15 ans que les EAT travaillent avec les écoles d’art dramatique et les théâtres pour expliquer le travail de chacun et l’intérêt du travail collectif. Cela paie parfois, mais il faut se battre ! Il y a encore du travail…
Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER
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