“Le Quai des brumes” : voyage musical dans les docks du Havre
Philippe Nicaud signe une adaptation théâtrale du film mythique de Marcel Carné, Le Quai des brumes. Si la lumière est quasi cinématographique, la proposition qui nous est faite est incontestablement originale, à voir et à ressentir. Nous voilà emportés bien volontiers dans cette tragédie moderne.
Qui ne connaît pas le chef-d’œuvre de Marcel Carné, qui a consacré le couple mythique formé par Jean Gabin et Michèle Morgan ? Le Quai des brumes, paru il y a plus de quatre-vingts ans, pourrait tomber dans l’oubli qu’il resterait encore ces visages, ainsi que cette parole entrée dans l’histoire des répliques du cinéma : « T’as de beaux yeux, tu sais ».
Jean, le déserteur, arrive de nuit au port du Havre pour quitter le pays. Près des docks, chez Panama, le bar le plus tranquille de la côte, où un peintre suicidaire a élu domicile, il fait la rencontre de Nelly. C’est le coup de foudre. Sous l’emprise de Zabel, son effroyable tuteur, Nelly vit dans la peur. En ville, le beau Maurice a disparu. Meurtre ou cavale ? Lucien, petit truand de quartier, est à sa recherche et Zabel sait quelque chose. Jean se retrouve pris au piège de ce terrible engrenage.
Sur les quais du port du Havre, ce sont les âmes perdues que l’on ramasse. Le texte de Jacques Prévert nous offre une vision impitoyable de la nature humaine, des vies gâchées qui se croisent, faute de mieux. Des gens qui se détestent pour ne pas se détester eux-mêmes mais qui s’accordent aussi avec générosité pour contrer leur solitude. Bien que datant de 1938, ce texte n’a jamais été adapté au théâtre et nous n’avons pour référence que le film de Marcel Carné. Et c’est en revoyant ce film que Philippe Nicaud a vu là « comme une évidence ». L’évidence d’une tragédie moderne, éternelle et par-dessus tout théâtrale.
Le metteur en scène n’a pas d’abord vu l’occasion de revisiter le film, mais plutôt d’apporter une autre vision, une autre narration où la musique prend une place majeure dans le récit. Le spectateur est emporté par le jeu d’un accordéoniste sur scène qui ponctue l’action et supporte les comédiens en ajoutant de l’ampleur dramatique au jeu. Les comédiens, parfois aussi musiciens, ne sur-jouent pas : leur voix est posée juste comme il faut. Le texte est là avec sa puissance tandis que l’accordéon, tantôt violent, tantôt doux, et même quasiment muet quand seul un souffle de vent en sort, ondule son corps comme la mer, devenant alors un élément visuel de la scène.
Pour cette création, Philippe Nicaud a souhaité travailler l’esthétique de façon photographique. Chaque scène est particulière ; la mise en lumière est réfléchie comme des plans de cinéma, en découpe et en profondeur, le tout avec une parfaite cohérence. Ce sera là le seul point commun avec l’œuvre de Marcel Carné… N’en cherchez pas d’autre, il n’y en a pas.
Lors d’un rapide échange avec Philippe Nicaud, au hasard d’une rue dans Avignon, il m’a confié qu’il avait pris le pari d’offrir au spectateur du festival une création particulière plus aboutie encore, allant jusqu’à revoir la distribution. Le casting qu’il nous présente est des plus remarquables. Il signe par ailleurs les composition musicales et l’adaptation, tout en incarnant le personnage de Jean.
Ce Quai des brumes est incontestablement à voir, à ressentir, car il s’agit bien là de sensations et d’émotions que le metteur en scène a voulu faire passer. Philippe Nicaud, les comédiens et le texte de Prévert nous emportent bien volontiers dans les docks du Havre. Le pari était de taille ; il est réussi.
Spectacle : Le Quai des brumes
Création : 2018
Durée : 1h15
Public : à partir de 12 ans
Texte : d’après le scénario original de Jacques Prévert.
Mise en scène : Philippe Nicaud, Hélène Darche
Avec : Karine Ventalon, Patrick Courteix, Jonathan Hostier, Sylvestre Bourdeau, Sébastien Albillo, Philippe Nicaud
Composition musicale : Philippe Nicaud
Chargé de production et diffusion : Passage production – François Nouel : nouelfrancois@gmail.com / 06 74 45 38 64
Crédits photographiques : Marie Le Stanc et Pierre Paradis
Où voir le spectacle ?
Spectacle vu le 16 juillet 2019 à La Factory (Avignon).
– Du 5 au 28 juillet à 16h : La Factory (Avignon)
Tournée : voir toutes les dates.
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