Le Lucernaire, lieu mythique de la scène parisienne, fête ses cinquante ans
Rares sont les lieux qui auront connu, au XXe siècle, une telle destinée : le Lucernaire, lieu mythique du théâtre à Paris, fête cette année son cinquantième anniversaire, avec un riche programme à la clef. Rendez-vous les 21 et 22 septembre prochains pour en connaître le cœur.
Dany Boon, Sylvie Joly et Michel Boujenah y ont fait leurs premiers pas. Laurent Terzieff, Catherine Salviat, Gérard Depardieu, Judith Magre, Michael Lonsdale, Claude Piéplu ou encore Denis Lavant y ont joué. Longue est la liste de ces comédiens ayant joué au Lucernaire.
Une histoire marquée par Laurent Terzieff
Le Lucernaire tire son nom de ce moment où, dans la liturgie chrétienne, devant l’affaissement du jour et l’expansion des ténèbres, les croyants allument leurs chandelles et font monter leur louange vespérale. Belle et profonde vocation que celle de ce théâtre qui souhaite ainsi porter une clarté et une voix au cœur de nos temps souvent troublés.
Le Lucernaire naît dans l’impasse Odessa, près de la gare Montparnasse, en 1969, avant de déménager sept ans plus tard dans une ancienne usine de matériel de soudage, la rue Notre-Dame-des-Champs. « C’était une époque de grande liberté, avec un foisonnement non seulement de lieux, comme le Lucernaire et le Café de la Gare, mais aussi d’artistes : Miou-Miou, Lanvin, Depardieu, Henri Guybet… Tout le monde est passé par là ! », s’enthousiasme Benoît Lavigne, actuel directeur du lieu depuis 2015, à la suite de Philippe Person (2009-2015).
Le pari osé que se lancent Christian Le Guillochet et Luce Berthommé est dès les débuts soutenu par le comédien Laurent Terzieff, qui signe sa première mise en scène au Lucernaire dès 1970 et y associe implicitement son nom ainsi que son œuvre jusqu’à sa mort, en 2010. « Il était un peu un incontournable de la maison, précise l’actuel directeur du Lucernaire. Il a créé plus d’une dizaine de spectacles ici. Christian racontait même que Laurent était un peu le directeur de la maison, ce qui n’était évidemment pas la réalité. »
Lorsque Christian Le Guillochet et Luce Berthommé arrivent au 53 rue Notre-Dame-des-Champs, ils transforment les lieux en y intégrant dès les origines des salles de cinéma, un restaurant, un bar, une galerie d’expositions et des salles de théâtre. Au fil des années, le Lucernaire s’enrichit d’une salle de cinéma supplémentaire, une salle davantage dédiée aux écritures contemporaines (le Paradis), la librairie et tout récemment une école de théâtre dirigée par Philippe Person. « C’était un lieu très ouvert, se souvient-il. Christian Le Guillochet était généreux avec les compagnies, certes pas toujours financièrement, mais en leur donnant souvent la possibilité de jouer dans un lieu majeur à Paris. Il faisait facilement confiance dès lorsqu’il sentait la passion et la compétence. »
Passage du public au privé
Le Lucernaire a connu de nombreuses difficultés, essentiellement financières, même après sa reprise par les éditions l’Harmattan en 2004. « Lorsque j’ai rencontré la famille Pryen, propriétaire du Lucernaire, elle m’a demandé d’écrire un projet artistique. Si j’ai accepté, c’est notamment parce que j’aime beaucoup le Lucernaire, qui est l’un des rares lieux à avoir comme vocation profonde d’aider les compagnies. »
Les grandes lignes de ce projet artistique sont notamment les retrouvailles avec le public de quartier et la diversité dans la programmation, par la réintroduction de genres historiques qui avaient depuis disparu. « Nous avons donc essayé de trouver un chemin entre public et privé. Nous souhaitons valoriser une création exigeante, en invitant aussi bien des artistes du public tels que Xavier Gallais, Jean-Quentin Châtelain, Yann Collette, Philippe Calvario ou Clément Hervieu-Léger, que des comédiens et metteurs en scène du théâtre privé. Dans le même temps, nous avons relancé une politique autour de trois axes : les jeunes compagnies, le jeune public et l’humour. » Il faut croire que la formule fonctionne puisque le Lucernaire met en exergue une progression de 55 % du nombre de spectateurs ces quatre dernières saisons.
Sous la direction de Benoît Lavigne, le Lucernaire quitte le giron labélisé du théâtre public pour rejoindre le Syndicat national du théâtre privé. Pourquoi un tel choix ? « Nous étions subventionnés par la ville de Paris. Dès le premier rendez-vous, on m’a fait comprendre qu’il n’y aurait pas plus de 30 000 euros par an pour le Lucernaire, autant dire rien du tout. Ça ne servait à rien sinon à être catalogué dans les théâtres publics et d’avoir des difficultés ensuite dans la gestion avec les compagnies, qui pensaient que nous recevions beaucoup d’argent des pouvoirs publics. » Un des gros chantiers, ces dernières années, fut de nettoyer les contrats de tous les flous et incertitudes sur les conditions d’accueil et de rémunération : les contrats avec les compagnies privilégient dorénavant de vraies coréalisations à 50-50, y compris sur les droits d’auteur, sans minimum garanti ni préférence sur recettes. « Ce qu’on a simplement fait, c’est instaurer un droit de garde, un peu comme dans tous les théâtres privés : un euro est ajouté au prix des places, pour le fonctionnement du lieu. »
L’intégration aux théâtres privés lui a permis de commencer à produire des spectacles (Le Gorille d’Alejandro et Brontis Jodorowski, Le Cercle de Whitechapel de Julien Lefebvre mis en scène par Jean-Laurent Silvi et aaAhh Bibi de Julien Cottereau), de bénéficier du fonds de soutien, d’avoir des aides tant sur les places jeunes que sur les travaux d’amélioration des salles. Une section de diffusion a également été créée il y a quatre ans, aussi bien sur les exploitations parisiennes qu’à Avignon, renforcée par la mise en place de partenariats avec différents théâtres tels que le Ranelagh, le Rond-Point, le Monfort, l’Œuvre (que dirige également Benoît Lavigne), le Poche-Montparnasse…
Célébration jubilaire
Aujourd’hui, cinquante ans après la création du Lucernaire, le lieu retrouve quasiment l’équilibre budgétaire : 50 % des recettes sont générées par la billetterie, auxquelles s’ajoutent le restaurant, le bar et la librairie.
Autant dire que ce jubilé arrive à point nommé. Les célébrations ont commencé depuis plusieurs mois, à travers notamment une soixante de témoignages, sous forme de pastilles vidéo, de personnalités ayant marqué ou bien connu le lieu : Michel Boujenah, Catherine Salviat, Justine Heynemann, Albert Delpy, Fabienne Pascaud, Jacques Nerson…
Le cœur des festivités est prévu pour le week-end des 21 et 22 septembre : vernissage d’une exposition constituée d’archives retraçant l’histoire du Lucernaire, spectacle et visite des coulisses du théâtre pour les enfants, programmation de films emblématiques, menus thématiques qui reprennent les plats préférés d’acteurs célèbres, un concert, un florilège – par les élèves de l’école – de répliques prises à des auteurs et des spectacles majeurs joués en ces lieux (Ionesco, Israël Horowitz, Sylvie Jolie…), ainsi que de nombreuses rencontres, tant avec des personnalités qu’avec des personnes travaillant ou ayant longuement travaillé au Lucernaire.
Cet anniversaire est non seulement l’occasion de fêter l’histoire écoulée, mais encore de prolonger, voire intensifier la dynamique en cours. Benoît Lavigne ne manque pas de projets ni d’envies, entre l’embellissement du restaurant, l’agrandissement de la salle du Paradis, la création éventuelle d’autres classes pour l’école (voire d’une troisième année), la création d’un lieu de résidences et de représentations à Avignon…
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1969/2019 – 50 ans du Lucernaire : découvrir le programme complet des festivités
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Image de Une : Le Lucernaire (DR)