Le génie Béjart se perpétue, 10 ans après sa mort
À la fois adulé et critiqué pour son éclectisme, mal aimé aux États-Unis, Maurice Béjart semble avoir pris sa revanche d’outre-tombe: sa troupe continue son bout de chemin, plus de dix ans après la mort d’un des plus grands chorégraphes français du XXe siècle. Une compagnie de danse survit-elle vraiment à la disparition de son fondateur et inspirateur ?
[avec AFP]
« Il y a des gens qui disent que si le chorégraphe n’est plus là, c’est que la compagnie n’existe plus ou n’est plus intéressante », affirme à l’AFP Gil Roman, directeur artistique du Béjart Ballet Lausanne (BBL), fondée il y a 30 ans en Suisse où Béjart s’était établi. « Notre compagnie, elle est mieux que jamais », assure M. Roman qui revient avec la troupe après deux ans d’absence à Paris pour présenter au Palais des congrès du 7 au 11 février la Flûte enchantée, une des œuvres les plus célèbres du chorégraphe disparu en 2007 à 80 ans.
Une continuité unique en Europe
Préserver l’héritage d’une troupe tout en se renouvelant n’est pas une évidence.
Merce Cunningham avait décidé que sa compagnie serait disloquée après sa mort, celle d’Alvin Ailey ne danse presque plus ses œuvres, la Martha Graham Dance Company s’est éloignée du style de la grande prêtresse de la danse moderne, tandis que la Tanztheater Wuppertal Pina Bausch continue de se nourrir des œuvres de la géante de la danse contemporaine.
Au New York City Ballet, créé par George Balanchine – fondateur du ballet américain – le directeur artistique Peter Martins a réussi le pari de préserver les œuvres du génie de la danse du XXe siècle et de créer ses propres ballets, avant d’être forcé de prendre sa retraite en janvier à la suite d’allégations de harcèlement sexuel et d’abus physique.
Dans le monde francophone, le Ballet Béjart Lausanne offre un modèle de continuité.
Un même esprit de transmission
« Quand je reprends des ballets de Maurice, je ne fais pas de création, je fais du nettoyage… c’est comme un chef d’orchestre qui nettoie une partition d’un compositeur », explique Gil Roman, danseur fétiche sous Béjart depuis l’âge de 19 ans.
À 57 ans, l’« héritier », auteur d’une dizaine de ballets, a vu de nombreux danseurs quitter la troupe après la mort du fondateur et doit assurer la moitié de son financement – la deuxième moitié étant assurée par la ville de Lausanne.
Mais même avec les nouveaux artistes qui n’ont jamais travaillé avec Maurice Béjart, il persiste à garder intact l’esprit de transmission de cet art si éphémère qu’est la danse. « Je retourne à l’essentiel de ce que Maurice voulait, du sens du pas, de la musicalité. Dans une pièce de théâtre, les comédiens investissent le texte petit à petit à petit, c’est pareil avec un ballet. »
Les États-Unis face à Béjart et son orgie monotone
Avec 60 à 70 spectacles par saison, la troupe fait beaucoup de tournées, d’Athènes à Shanghai, mais un pays lui reste insensible : les États-Unis. La presse américaine – mais aussi britannique – n’a pas été tendre avec Béjart et l’Amérique restera la grande blessure du chorégraphe.
Pour Ariane Dollfus, auteure française en 2017 de la biographie Béjart, le démiurge, les Américains ont vu par exemple du « soft porn » dans Le Boléro, chef-d’oeuvre de Béjart créé sur la célèbre musique de Maurice Ravel.
Le critique Clive Barnes du New York Times, connu pour sa plume acérée, avait qualifié Le Sacre du printemps, autre chef-d’oeuvre, d’« orgie à laquelle personne n’imaginerait être invité. Avec une chorégraphie dont la monotonie ressemble à celle d’un marteau-pilon ».
Un voyage, du bouddhisme à Nietzsche
D’après Ariane Dollfus, qui a bien connu le chorégraphe, ce dernier était extrêmement modeste. « Il me disait, sur les 300 ballets que j’ai créés, il y en a 250 à mettre à la poubelle. Certains sont extrêmement datés comme Messe pour le temps présent… mais il y a des ballets qui sont intrinsèquement des chefs-d’œuvre comme L’Oiseau de feu, Le Sacre, Le Boléro, La Flûte enchantée. »
Grand voyageur, Béjart « ramenait des ballets cartes postales, des carnets de voyage ». Dans ses œuvres, on retrouve du bouddhisme, de l’hindouisme, un poète persan, du Malraux et du Nietzsche.
« Il a voulu ouvrir la danse au grand public mais a été victime d’une image de chorégraphe qui aurait fait dans la facilité », affirme Ariane Dollfus.
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Photographie de Une – Danseur à la Maison Béjart de Bruxelles (crédits : Eliott Chalier /Profession Spectacle)