Le Dernier métro
« N’allez pas au théâtre, couchez-vous ! » Un siècle après le cri lancé non sans provocation par Roger Vitrac, voilà que nous y sommes, contraints par le confinement et les errements de nos gouvernants. Quand nous nous risquons dans un théâtre, nous ressemblons aux figurants du Dernier métro de Truffaut, pris dans une clandestinité assez dérisoire…
Entre clandestinité et résistance : dérisoire !
« N’allez pas au théâtre, couchez-vous ! » lançait dans les années 1920 Roger Vitrac, un rien provocateur, à son habitude. Il est vrai que le théâtre de ces années-là, sur les scènes parisiennes, ne devait guère inciter à sortir. Avec son ami Antonin Artaud, l’auteur de Victor ou les enfants au pouvoir décida donc de secouer le cocotier théâtral. « Couchez- vous ! » Comment faut-il entendre cette invitation ? À rêver comme l’entendait l’auteur surréaliste ? À lire ? Peut-être, mais pas que.
En tout cas, pour aujourd’hui, un siècle plus tard, pas besoin de faire le paresseux effort de ne pas aller au théâtre : le confinement nous y contraint. Couchons-nous donc et tentons de rêver, ce qui est loin d’être évident après les coups de massue du confinement, du reconfinement, puis des errements – un petit pas en avant, trois de côté, deux en arrière, une vraie chorégraphie – assénés par nos gouvernants… Couchons-nous donc, répétons-le, et lisons ou plutôt tentons de lire : bibliothèques et librairies n’étant pas considérées, lors de ce deuxième (que l’on aimerait second) confinement, comme vraiment nécessaires à notre survie. Déjà que dans le milieu théâtral, la lecture n’est pas un acte très courant…
Si nous nous couchons aujourd’hui, c’est hâve, au bord de la dépression – plus envie de se lever ! – : notre nourriture (théâtrale) quotidienne nous est enlevée ! Et ce ne sont pas les ersatz télévisuels qui nous aurons consolés, bien au contraire : l’effet est même inverse. Alors dans un ultime sursaut, prêts à affronter tous les dangers, munis de nos fameuses « attestations de dérogations de déplacement temporaire », nous nous glissons dehors, rasons les murs, et filons vers un de ces lieux que l’on appelait autrefois théâtre, et qui, toutes lumières éteintes, se livre aujourd’hui à une activité quasi clandestine. On se retrouve là, après avoir franchi une porte que l’on a bien voulu déverrouiller en toute discrétion pour nous, perdu au milieu d’un hall quasi désert et plongé dans une semi-pénombre. Une autre silhouette vous fait signe que la chose se passe par là, en bas des escaliers, et que vous pouvez vous y rendre. Là, ô merveille, nous sommes bien une dizaine, un peu gênés aux entournures, de lointaines connaissances sur lesquelles vous ne parvenez plus à mettre un nom, et d’ailleurs vous ne pouvez voir qu’une partie de leurs visages, voilà qui donne un alibi à toutes les confusions. On chuchote dans l’attente de l’ouverture des portes de la salle, enfin du lieu où doit se dérouler la cérémonie.
Vous y êtes enfin, assis à deux, voire trois sièges d’un autre « privilégié » (car vous avez été choisi, bien sûr, journaliste ou professionnel, comme on dit), une salle quasi déserte face au plateau encore vide et plongé dans l’obscurité. Juste une petite lumière pour éclairer une personne (c’est parfois carrément l’auteur et/ou le metteur en scène) venu vous expliquer la règle du jeu, s’excuser et vous remercier : tout ça à la fois.
Nous avons vraiment la sale impression d’être des figurants du Dernier métro de François Truffaut, avec le danger qui nous guette, dehors, à chaque coin de rue. Entre clandestinité et résistance : dérisoire !
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– Le temps des reprises
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Critique dramatique et rédacteur en chef des Lettres Françaises, fondateur et rédacteur en chef de la revue Frictions, Jean-Pierre Han est une des plumes incontestées du monde théâtral, privilégiant une approche essentiellement politique. “Vagabondage théâtral” est sa chronique mensuelle pour les lecteurs de Profession Spectacle.
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