Le CNC se félicite de son bilan 2015 : un succès certain qui exige quelques nuances
Profession Spectacle s’est rendu à la conférence de presse de l’Observatoire de la production audiovisuelle, organe du CNC qui présentait le bilan de son action sur l’année écoulée (2015). Étaient notamment présents la présidente du CNC, Frédérique Bredin, son directeur général délégué, Christophe Tardieu, et le directeur de l’audiovisuel et de la création numérique, Vincent Leclerq. Voici notre analyse en deux parties : la première – aujourd’hui – porte sur la fiction, l’animation et le spectacle vivant ; la seconde s’attachera au cas particulier et délicat du documentaire.
Un budget des soutiens stable, un volume d’œuvres aidées en hausse
La conférence de presse est introduite par des constatations larges sur le bilan du CNC sur l’année écoulée : si le fonds de soutien audiovisuel reste quasiment identique à celui de l’année précédente (à peu près 240 millions d’euros, dont 225 millions attribués à l’aide à la production), le volume des heures aidées – représentatif des productions qui bénéficient du soutien du CNC – augmente légèrement (+2,4 %) pour atteindre les quelque 5 000 heures ; il s’agit du troisième niveau le plus élevé depuis la fondation du COSIP (Compte de Soutien à l’Industrie des Programmes Audiovisuels) il y a 30 ans. Cette augmentation des volumes aidés par le CNC, en dépit de la stagnation de ses apports, s’explique en partie par le renforcement des formats de série, qui induit une baisse des devis de fictions (baisse de 15 % cette année).
Fiction française : un succès confirmé
Indéniablement, la fiction française connaît de bonnes audiences face aux fictions étrangères, américaines en particulier. En 2015, sur les 100 meilleures audiences enregistrées, la fiction française représente plus d’une fiction sur deux. Une tendance qui semblerait se renforcer au début 2016 : sur les quatre premiers mois en effet, la fiction française réalise 71 des 100 meilleures audiences. Des indicateurs qui font dire à Frédérique Bredin, présidente du CNC : « En 2015, le succès de la fiction française à la télévision se confirme et se renforce. Tous les indicateurs sont au vert, la fiction française est en tête du palmarès des meilleures audiences. »
Le résumé officiel de la réunion sur le site du CNC abrège même cette première conclusion de l’Observatoire par un raccourci discutable : « Ce succès illustre la diversité de la création française, le savoir-faire des auteurs et des producteurs. »
Vous avez dit diversité ? Peut mieux faire…
Discutable, car si les chiffres peuvent nous renseigner sur un succès d’audimat ou économique, ils ne peuvent conduire à une déduction systématique sur la diversité de la création. Nous avons donc vérifié que les exemples cités par la présidente étaient bien représentatifs de cette diversité : L’Emprise, Borderline, Parents Mode d’Emploi, Disparue, Plus belle la vie, Crime à Aigues-Mortes, Meurtres à Collioure, La Stagiaire, Scènes de Ménages et Péplum sont les dix exemples invoqués, soit six œuvres rattachées au genre policier ou d’enquête, et quatre à celui de la comédie familiale. Vous avez dit diversité ?
Rajoutons à cela un certain phénomène d’ancienneté pour la plupart des séries de fictions françaises : 64 % du volume est représenté par des séries datant de 5 ans et plus ! Il devient décidément difficile de conclure à une diversité ou une véritable vivacité de la création française.
Ce pénible constat de l’absence d’une véritable diversité de la créativité mérite néanmoins une nuance : le policier est étonnement sous-représenté dans les nouvelles séries arrivant sur les ondes. Ne boudons pas notre plaisir : la sortie du « sacro-saint policier » est bien un signe positif pour la diversité des créations, que ne manquent d’ailleurs pas de relever Frédérique Bredin et Christophe Tardieu.
Une production en manque d’international ?
Au-delà du débat sur la diversité et la valeur des créations, l’enjeu dans un futur proche sera pour les productions de répondre à cette demande de manière pertinente. Le volume des fictions aidées par le CNC, qui représente l’essentiel des productions, continue de diminuer, pour représenter moins de la moitié des volumes de fictions allemands ou britanniques, comme l’indique Vincent Leclercq, directeur de l’audiovisuel et du numérique au CNC.
Une concurrence décevante qui pourrait être renforcée par l’incitation au financement de la fiction par les chaînes TNT, encore problématique1, mais surtout par le développement des apports étrangers (en baisse de 57 % en 2015) et l’exportation. Un développement qui devrait bientôt avoir lieu, selon Vincent Leclercq : « Jusqu’à présent, la fiction française était orientée vers le format de 90 minutes, difficilement exportable. Le relèvement du crédit d’impôt pourrait inciter à redynamiser les séries, tandis que la perspective d’un festival international des séries pourrait faire mieux connaître la production hexagonale. »
Parmi les objectifs, le CNC énonce sa priorité : la mise en valeur et l’accompagnement des séries françaises – citons Versailles, la production franco-canadienne portée par Canal + et Capa – sur le marché européen. Réagissant au relatif plébiscite des séries européennes actuelles, le CNC souhaite faire preuve de plus de soutien à l’exportation des œuvres et d’ouverture du marché aux productions étrangères.
La création d’un futur festival/marché des séries européennes, qui s’organiserait en continuité avec Séries Mania, est la grande annonce qui irait dans ce sens. La France ne souhaite pas passer à côté de l’énergie dégagée par les séries anglaises, scandinaves, allemandes et italiennes. La création de ce festival, additionné à celui de Séries Mania, devrait permettre de pousser un peu plus ces créations franco-européennes et internationales : elles ont en effet besoin de financements particuliers, répartis entre différents partenaires – il est question de budgets allant de 1 à 3 millions d’euros par épisode pour ces grosses productions.
Le secteur de l’animation toujours vivace et en expansion
L’animation fait encore office, quant à elle, de fierté française. Le milieu continue son expansion ; le CNC l’accompagne en 2015 avec une hausse des volumes aidés de près de 10 % (285 heures). On observe une relative baisse en apport des diffuseurs, mais les effets du crédit d’impôt à l’animation sont apparemment forts et efficaces, avec notamment le rapatriement de certaines productions en France : Xilam à Lyon, Superprod et Samka à Angoulême. Ces exemples, qui permettront la relocalisation des tournages en France, sont, pour Frédérique Bredin, la conséquence directe du crédit d’impôt.
Recentrage du soutien aux adaptations de spectacle vivant
Enfin, pour ce qui concerne le spectacle vivant, le volume des heures aidées par le CNC progresse de 11 % en 2015 pour atteindre plus de 1 000 heures ; ce chiffre sera toutefois amené à baisser, compte tenu de la volonté pour l’institution française de recentrer son soutien autour des « œuvres les plus créatives, notamment celles qui font l’objet d’un travail de post-production important ».
On peut se féliciter du succès actuel de la fiction française qui, cette fois-ci, semble bien « résister encore et toujours à l’envahisseur ». Si le CNC parvient, malgré cette période de resserrement budgétaire, à conserver un impact important en terme de volumes d’heures aidées, et donc à soutenir une production française toujours plus concurrencée, il peine encore à développer une véritable diversité de la création fictionnelle.
La capacité des séries françaises à s’imposer dans un cadre international dépendra – au-delà de la création de festivals destinés à les mettre en valeur et de la possibilité de trouver de nouvelles sources de financement – de l’habilité des producteurs et des institutions à faire surgir une génération d’auteurs avides d’expérimentations, de regards différents. Le succès des productions nordiques (Bron, Occupied, Real Humans, Borgen…) est là pour nous en montrer un bel exemple.
Maël LUCAS
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1 Durant la conférence de presse est abordée l’évolution des parts d’apports des diffuseurs, c’est-à-dire des chaînes de télévision. On sent l’agacement des instances dirigeantes du CNC, en constatant le décalage pour les chaînes de la TNT entre les parts d’audience et les parts de marché publicitaire d’une part, et l’apport dans la production audiovisuelle d’autre part : les chaînes TNT/TNT HD « profitent » en effet de plus de 35 % du marché publicitaire, et représentent plus de 26 % des audiences télévisuelles, tout en ne participant qu’à hauteur de 4 % dans les apports pour la production et la création audiovisuelle. Selon le CNC, les chaînes TNT donnent ainsi l’impression de « récolter » les semences de l’audiovisuel sans s’impliquer vraiment dans la création. Un décalage qui sonne peut-être comme une injustice en période de resserrement budgétaire.