Le cinéma et les femmes : les raisons d’une (si) lente évolution
Sous-représentation et salaires inférieurs : pas facile d’être une femme réalisatrice en France, souligne l’universitaire Brigitte Rollet, auteure de Femmes et cinéma, sois belle et tais-toi !, alors qu’est projeté samedi au festival de Cannes Les filles du soleil, d’Eva Husson, l’une des trois réalisatrices en lice pour la Palme d’or.
Entretien.
Pourquoi est-ce plus difficile pour les réalisatrices ?
Il y a moins d’un quart de films de réalisatrices en France mais c’était pareil au milieu des années 90. Il devrait y avoir beaucoup plus. Ce n’est pas parce qu’on en parle que ça change.
Pourquoi ? Il y a l’idée que le cinéma est une technologie et que les femmes seraient moins compétentes dans ce domaine. Certaines aussi s’autocensurent, d’autres ne se sentent pas légitimes. L’idée qu’on ne va pas confier une somme importante à une femme reste également présente : avoir des budgets et des succès qui permettent après d’avoir des budgets plus élevés, c’est plus compliqué (moins de 3 % des films de plus de 15 millions d’euros sont confiés à des femmes).
Pourquoi le cinéma échapperait à ce qui caractérise la société ? C’est un métier, avec ses organisations et ses failles. Le cinéma fait par les femmes est moins financé, les réalisatrices sont payées entre 35 et 40 % de moins. […] C’est un cinéma un peu fauché, avec l’expérience – le nombre de films et de succès – qui ne bénéficie pas autant aux femmes.
Y-a-t-il un cinéma de femmes ?
Dans leur très grande majorité, les réalisatrices choisissent des femmes comme protagonistes, à qui elles donnent un regard et une voix, qui ne sont pas juste des objets regardés. Avec le système de l’avance sur recettes, c’est un certain type de films qui est privilégié comme les histoires d’apprentissage avec des jeunes filles… Le CNC formate un peu un type de cinéma, donc il est difficile pour une femme de sortir d’un cadre narratif.
Et quand une réalisatrice surprend (avec des thèmes différents, des films de genre, etc.), on fait comme si elle était pionnière. Mais il fut un temps où Claire Devers présentait Noir et blanc sur le sadomasochisme entre deux hommes, Caméra d’or en 1986 à Cannes, où Catherine Breillat faisait tourner une star du porno (Romance en 1999)…
Comment accroître leur visibilité ?
Une réalisatrice a souvent moins d’argent, des choix limités dans les genres cinématographiques et des difficultés à passer au deuxième film. Je suis donc favorable aux quotas là où il y a de l’argent public.
En France, le système de financement du cinéma est très généreux, mais il n’est pas fait pour les femmes : 17 % seulement des fonds publics sont attribués à des films faits par des femmes. Le CNC pourrait jouer un rôle extrêmement important en instaurant la parité dans la répartition des fonds.
Il faut aussi rendre plus visibles les réalisatrices via un travail de diffusion et de restauration des films de la Cinémathèque. Et aussi que les étudiants apprennent une histoire du cinéma qui ne soit pas uniquement masculine, car les femmes n’ont pas toujours d’histoire au cinéma : en parlant régulièrement d’une « nouvelle » donne, on efface toutes celles qui étaient là avant.
Source : AFP
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