Le Carreau du Temple à Paris, un lieu exceptionnel au carrefour de (presque) tous les arts

Le Carreau du Temple à Paris, un lieu exceptionnel au carrefour de (presque) tous les arts
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En 2014 est inaugurée, à côté de la mairie du 3e arrondissement de Paris, une nouvelle halle, complètement rénovée et restructurée : le Carreau du Temple. Une direction a fait la préfiguration des lieux, entièrement en bois, en acier et en inox. Deux mois après l’ouverture, le directeur, Jean-Luc Baillet, est démis de ses fonctions par Pierre Aidenbaum, maire socialiste. Nouvel appel à candidatures : Lucie Marinier et Sandrina Martins l’emportent.

Seule aujourd’hui à la direction, Sandrina Martins, qui voit dans le Carreau du Temple « un des plus beaux équipements de la ville de Paris », s’apprête à souffler ses trois ans en mai prochain. Rencontre.

Quel projet avez-vous présenté lors de l’appel à la direction du Carreau du Temple ?

Il y a eu un appel à candidatures. Nous étions deux au départ, Lucie Marinier et moi. Nous avions conçu un projet qui visait à rendre le bâtiment aux Parisiens. Sur les 80 candidatures, c’est la nôtre qui a finalement été retenue.

« Rendre le bâtiment aux Parisiens »… c’est-à-dire ?

Il faut comprendre la diversité de ce lieu. Ce n’est pas évident de réaliser, de l’extérieur, que cet espace a plusieurs missions. Il y a trois grands axes au projet, que nous avons choisi de mêler.

Notre mission de service public première, c’est de développer une activité en direction d’associations, afin qu’elles puissent donner des cours, un peu comme un centre d’animation. C’est pourquoi nous avons, au sous-sol, un gymnase, un studio de danse et un dōjō, qui permettent l’organisation de 90 créneaux de cours par semaine, à destination notamment des scolaires.

Nous avons par ailleurs une salle de spectacle, dans laquelle nous faisons une programmation à l’année, ainsi que la halle, qui est notre principal gagne-pain, puisque nous avons 70 % d’autofinancement.

Sandrina Martins (crédits : Pierre Gelin-Monastier)

Sandrina Martins (crédits : Pierre Gelin-Monastier)

En raison des privatisations ?

Oui, mais l’idée est de limiter de plus en plus les privatisations, les événements qui ne sont pas ouverts au public. Nous pourrions louer la halle aux plus riches, capables de payer 25 000 euros par jour. On ferait moins de location et on arriverait rapidement à obtenir nos trois millions d’euros par année. Mais… ce n’est pas le projet. Le projet est de garder une ligne par rapport aux grands axes de programmation du Carreau du Temple, en cohérence avec ce qui se passe dans la salle de spectacle et en bas. Les locations concernent exclusivement, sur les projets publics, le sport, la culture, l’art et tout ce qui tourne autour du life style : gastronomie, mode, design… Nous recevons énormément de demandes de location mais restons très sélectifs.

Quel est le rapport entre cette halle et le fait de « rendre le bâtiment aux Parisiens » ?

Dès le début, il fut très clair pour nous que la halle n’était pas uniquement destinée à recevoir des projets portés par d’autres. Nous avons-nous-même notre propre programmation, dans la halle. Certes, nous ne pouvons pas le faire trop souvent, mais nous arrivons quand même à créer plusieurs événements qui visent d’abord et avant tout le quartier.

Lesquels ?

Nous avons un événement gastronomique qui s’appelle Food Temple, au mois de septembre, qui est vraiment bien. Nous sommes positionnés sur des problématiques du bien-manger, du circuit court, du bio, du travail avec les producteurs… Cela n’a rien à voir avec les événements du type « omnivore ». Nous cherchons à valoriser des initiatives comme Refugee Food Festival.

Un autre grand projet est le Second Square, qui mixe pratiques amateurs et pratiques professionnelles, principalement grâce à des ateliers. Aux vacances scolaires, des activités sont proposées dans la halle, en fonction d’un thème, à toutes les familles. Il y a quelques jours s’est ainsi tenu « Retour vers le… Second Square », qui a rassemblé les débrouillards 2.0 autour du bricolage et du numérique. Au printemps, du 20 au 22 avril, ce sera Jonglopolis, centré sur le cirque.

Concernant le spectacle vivant, outre la programmation de votre salle, avez-vous des projets plus spécifiques ?

Oui, nous aimerions proposer régulièrement des spectacles dans la halle, ouverts au public. Plutôt cirque et arts de la rue… J’ai beaucoup travaillé dans les arts de la rue, puisque je me suis occupée du cirque et des arts de la rue pour la ville de Paris pendant cinq ans. C’est un secteur d’activités que je connais très bien et que j’aime beaucoup. On a quand même une très belle halle ; il faut pouvoir faire des propositions innovantes dans ce secteur-là. On va donc proposer de plus en plus de spectacles grand format dans la halle. Dans la salle de spectacles, il y a déjà du théâtre. Mais nous ne voulons pas être un théâtre de plus à Paris ; nous désirons répondre à des besoins. C’est pourquoi j’ai décidé d’orienter la programmation sur la danse contemporaine. Jusqu’à présent, je ne disposais que de peu d’argent pour les spectacles. J’ai donc établi des partenariats avec des structures, notamment des festivals comme Concordan(s)e ou encore « Faits d’hiver ».

Les artistes peuvent-ils proposer spontanément leur projet ?

De manière générale, nous allons chercher nous-mêmes les artistes. Mais si un artiste a un très bon projet à nous présenter, il peut nous l’envoyer et nous le regarderons. Dans tous les cas, nous ne faisons jamais d’appel à projets, que ce soit pour PACT(e) ou pour la programmation générale en salles. C’est la connaissance que nous avons de la création contemporaine qui nous permet de sélectionner des artistes adaptés aux besoins du Carreau du Temple ou d’entreprises partenaires.

Façade du Carreau du Temple - 3e Arrondissement de Paris (crédits : Fernando Javier Urquijo)

Le Carreau du Temple (crédits : Fernando Javier Urquijo)

Du côté de l’audiovisuel et du cinéma, faites-vous des propositions artistiques pour les habitants ?

Nous programmons beaucoup de vidéastes, notamment dans le cadre des résidences PACT(e). Nous avons ainsi projeté les œuvres de Valérie Jouve, Ymane Fakhir, Katia Kameli… Nous avons également un partenariat avec Cinécaro, une association locale constituée de cinéphiles du quartier, qui propose tous les deux mois une superbe programmation. Comme nous ne passons pas Star Wars, l’initiative manque encore de visibilité et touche un public assez restreint. J’ai envie de voir comment on peut communiquer autrement sur la partie cinéma.

Nous avons déjà évoqué, dans Profession Spectacle, les résidences PACT(e). Avez-vous d’autres types d’accueil pour les artistes ?

Nous avons une salle de répétition pour le théâtre et nous avons ouvert un studio de danse à des résidences d’artistes. Nous proposons ainsi deux espaces avec du son, mais sans régie. Toutes les semaines, deux compagnies de spectacle vivant viennent ainsi répéter au Carreau du Temple.

Les artistes peuvent-ils postuler ?

Pour ça, oui ! Les artistes l’ont bien compris, car nous recevons des demandes tous les jours. Je fais le choix de ne pas prendre de compagnies trop émergentes, dans la mesure où l’on n’apporte pas de moyens financiers. Je privilégie plutôt des projets qui sont assez avancés, avec déjà des partenaires. Nous ne sommes pas un espace de démarrage, mais un espace de consolidation d’un projet qui est en cours.

Arrivez-vous à créer une unité dans toutes vos activités ?

C’est le plus compliqué. On se rend compte que les différents publics ne se rencontrent pas. On aimerait que ceux qui prennent un cours de yoga viennent voir un spectacle. Aujourd’hui, ça ne marche pas du tout. Quelqu’un qui vient pour son cours ne s’intéresse qu’à ça, quoi qu’on lui dise ou propose. On a essayé plein de choses, par le biais des newsletters, du journal de l’arrondissement, de places gratuites, mais ça ne déclenche rien.

Il faut dire que s’accorder une heure pour faire du yoga, quand on habite Paris, c’est parfois un exploit. Sans parler de l’offre surabondante de la capitale… Alors, nous allons naturellement aux événements qui nous intéressent d’emblée, qui nous ressemblent, au risque de ne pas nous mélanger vraiment.

Je pense que vous avez tout à fait raison. Cela se voit au bar. Quand on organise un concert, on renforce la bière et les assiettes de charcuterie-fromage, alors qu’on commande davantage de vin, de jus de fruit et des assiettes de quinoa les soirs de danse. Les publics n’ont pas les mêmes usages, les mêmes consommations.

Alors il n’y a rien à faire pour mélanger tous ces publics ?

Une petite tentative auprès des enfants est en cours d’élaboration. L’année prochaine, nous aimerions proposer aux enseignants un parcours en trois aspects pour les scolaires : une classe viendrait à la fois découvrir la sophrologie, visiter un salon d’art contemporain avec un guide et voir un spectacle. Tout ça sur une journée…

Profession Spectacle crée ces jours-ci un laboratoire dédié aux arts, aux droits culturels et à l’économie sociale et solidaire, autant de problématiques qui, ces dernières années, ont pris une importance sans précédent dans le milieu culturel. Comment se situe le Carreau du Temple par rapport à ces enjeux ?

Je suis personnellement intéressée par les travaux qui seront menés dans le cadre du laboratoire de Profession Spectacle. Les droits culturels et l’ESS sont des champs de réflexion qui trouvent toute leur place au Carreau du Temple, qui est un lieu hybride. Nous avons les moyens de porter cette réflexion, un peu plus approfondie que la simple obligation de faire de la location pour survivre financièrement. Comment, à partir des évolutions et des réflexions nouvelles sur les politiques culturelles, le Carreau du Temple peut-il offrir un espace concret pour la réflexion ? Nous aurons probablement l’occasion d’en rediscuter à l’avenir*…

Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER

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* Le Carreau du Temple a effectivement accueilli la première rencontre du conseil scientifique du Laboratoire, le mois dernier, ce qui n’était pas à l’ordre du jour au moment de l’entretien.

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Photographie de Une – Le Carreau du Temple avec les performeuses Elise Latiere et Ashley Molco Castello (crédits : Rubens Ben)



Grande halle du Carreau du Temple (crédits : Fernando Javier Urquijo)

Le Carreau du Temple (crédits : Fernando Javier Urquijo)



 

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