Le 6b, le gigantesque atelier d’artistes va devenir pérenne
Depuis 2009, cet espace de 7000 m2 basé à Saint-Denis et dédié aux créatifs permet principalement à des plasticiens d’y installer leur atelier d’artiste, avec des tarifs intéressants. Autrefois tourné vers l’événementiel et les soirées, le 6b entame des démarches pour pérenniser son espace et maintenir l’esprit de solidarité et de partage.
Actuellement association loi de 1901, le 6b pourrait devenir une SCIC* en fin d’année. La perspective de racheter le lieu est à l’initiative de cette volonté de créer une coopérative : l’enjeu est à la fois de prolonger la participation des acteurs de la société civile au projet ancré dans l’esprit de l’ESS et de pérenniser un endroit à l’origine éphémère.
L’esprit ESS, un fil rouge conducteur
Le principe du 6b est de louer des espaces à des créatifs et principalement des artistes plasticiens. Ceux-ci adhèrent à l’association et bénéficient alors d’un tarif préférentiel de location, soit 12€ du m2, qui répond à la situation précaire de nombre d’entre eux.
Si l’aubaine financière peut attirer plus d’un artiste, l’association veille à ce que l’esprit du lieu fasse également partie de sa motivation. Ainsi, « avec chaque artiste, nous signons une convention, généralement d’un an, et nous leur demandons de respecter les espaces communs, le travail d’autrui, pour assurer le vivre ensemble », explique Hélène Lust, chargée de médiation culturelle et de gestion des résidents.
« Nous lui faisons part, lors d’un entretien préalable, de l’esprit de l’association », esprit qui revendique explicitement son lien à l’économie sociale et solidaire, « même s’il n’y a pas d’obligation d’implication de sa part, puisque chacun fait selon ses disponibilités. Par contre, le degré de motivation et les propositions d’initiatives ou de projets qui fédèrent sur le territoire, comptent beaucoup dans nos critères de sélection », précise Hélène Lust. Enfin, il est stipulé « que l’artiste peut partir avant un an s’il le souhaite, sous réserve de nous prévenir un mois à l’avance, le temps de lui trouver un remplaçant ».
Adhésion libre et solidarité réelle
Les artistes sont donc assez libres d’adhérer, complètement ou non, aux valeurs de partage et de solidarité du lieu, d’autant plus que leur grand nombre a eu tendance à en déresponsabiliser certains. Heureusement, un noyau dur d’artistes permet un seuil d’investissement minimal de leur part. « Certains sujets et événements fédèrent beaucoup les artistes, mais l’implication au quotidien est moins mobilisatrice », reconnaît la médiatrice.
En revanche, la solidarité est réelle. « Les artistes arrivent à se donner du travail les uns les autres, d’autant que leurs pratiques sont souvent complémentaires. Des rencontres artistiques et amicales qui sont nées de cette promiscuité », se réjouit Hélène Lust.
Le collectif AAAAA!, formé par des artistes colombiennes qui ne se connaissaient pas avant, est par exemple né ici. Elles réalisent des fresques et des œuvres en extérieur et répondent maintenant ensemble à des appels à projet de communes.
Une équipe réduite face aux nombreux artistes
Un conseil d’administration et une équipe salariée, assez restreints tous les deux, se partagent la gestion de l’association. Ils parviennent tout de même à déléguer certaines décisions aux résidents, dont l’implication n’est pas égale, à travers des comités formés selon des thématiques spécifiques.
Le conseil administratif est constitué de sept personnes élues chaque année lors de l’assemblée générale et de résidents du 6b. « Ce sont donc des personnes qui connaissent le lieu et le fonctionnement de l’association », fait remarquer Hélène Lust. Parmi eux, un président, un trésorier, un vice-président, une secrétaire et trois autres adhérents se retrouvent toutes les semaines pour évoquer les problématiques du 6B, notamment les questions des artistes.
Parallèlement, il existe des comités résidents pour déléguer certaines responsabilités du fonctionnement de l’association. Cela permet aux artistes de s’impliquer dans certaines problématiques du fonctionnement interne et de soulager les salariés, peu nombreux, de certaines décisions. « Les résidents se réunissent en comité avec des thématiques particulières, dans lesquels ils investissent du temps bénévolement. » À l’occasion de l’ouverture d’un restaurant, « il a fallu réaménager tout un espace ; les résidents se sont réunis en comité pour pouvoir créer cet espace et le penser. Chacun peut, selon son temps et son bon vouloir, s’impliquer selon des thématiques différentes ». Un comité est également dédié aux expositions ; les résidents étudient avec le CA et l’équipe salariée les propositions artistiques reçues par l’association.
En 2015, le 6b comptait 171 résidents et quinze salariés. Trois ans plus tard, le personnel est réduit de plus de moitié pour un même nombre de résidents. Quatre CDI partagés entre une administratrice de production, une chargée de gestion et de médiation, un comptable et un administrateur représentent désormais les emplois fixes du 6B. À cela s’ajoute le CDD du gardien et deux services civiques, dédiés à la communication et à la médiation. Un changement qui n’est pas sans interroger la situation financière du lieu.
À la suite de sa croissance rapide et du succès des soirées organisées, l’embauche a pu se faire assez facilement, mais l’apparition de voisins à l’entour a entraîné la forte diminution des événements festifs, entraînant du même coup une baisse de rentrée d’argent et des licenciements. « Nous souhaitons toujours organiser des activités en extérieur, des soirées et une activité de diffusion, assure Hélène Lust, mais c’est plus réduit, car nous n’avons plus forcément le budget pour assurer la diffusion. Cela représente maintenant trois ou quatre événements durant l’été ».
Transition fragile, vision ambitieuse
Quelle stabilité financière, quel avenir pour le 6b ? Les subventions restent très faibles, « à peine 20 % du budget total », pour cette association qui privilégie l’autofinancement, grâce à la participation aux frais des résidents. « On espère améliorer notre financement grâce à l’espace restaurant récemment aménagé, qui a vocation à être un endroit convivial, ouvert à l’extérieur, mais aussi à accueillir des séminaires en privatisation », confie Hélène Lust.
Mais la solution est bien plus ambitieuse. L’association projette de passer en SCIC* d’ici la fin de l’année. Il s’agirait « d’un regroupement du 6b, du propriétaire Quartus et des politiques publiques, pour racheter le bâtiment et surtout le réhabiliter intégralement, car il est complètement vétuste, explique la chargée de médiation culturelle. Nous visons une contractualisation pour fin 2018, afin de commencer les travaux entre 2020 et 2021. Pendant ce temps, nous serons relocalisés à Saint-Denis ».
Un objectif à la hauteur de l’espace occupé, qui permettrait de pérenniser le projet d’ateliers partagés et de mettre fin à la pression des échéances des baux signés avec le propriétaire. Dans cette perspective, d’autres projets sont en réflexion, « comme la création d’un FabLab, d’un espace de diffusion culturelle avec plus de moyens et d’un restaurant panoramique sur le toit ».
Place des artistes dans ce projet d’avenir
Si les loyers risquent d’augmenter, le but est de rester dans l’esprit ESS, d’où la participation de plusieurs partenaires comme Quartus, la ville de Saint-Denis, l’agglomération, la métropole et la caisse des dépôts. « C’est une manière de penser le projet de façon pérenne et de réfléchir à un moyen de garder des tarifs abordables pour les artistes en situation précaire ou pour les startups. »
Concernant l’implication des artistes résidents dans le projet à venir, « ceux-ci seront toujours membres de l’association du 6B et membres de la SCIC qui gère l’immeuble, à travers l’association » ; associés de la coopérative, ils « seront ainsi toujours impliqués dans les décisions et acteurs du projet global ». Les artistes seront donc sociétaires de la coopérative via leur adhésion à l’association, puisque celle-ci sera l’une des trois personnes morales constituées de la SCIC.
La nouvelle stabilité du lieu favorisera peut-être la participation de certains, en espérant que l’augmentation des tarifs de location ne fasse pas le jeu d’une sélection naturelle des plus volontaires. Quoi qu’il en soit, l’équipe du 6B affirme sa volonté de préserver les membres les plus anciens, à qui l’expansion du lieu incombe en partie.
Louise ALMÉRAS
* La société coopérative d’intérêt collectif (Scic) est une société coopérative constituée sous forme de SARL, SAS ou SA à capital variable régie par le code de commerce. Elle a pour objet la production ou la fourniture de biens ou de services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale. La Scic peut concerner tous les secteurs d’activités, dès lors que l’intérêt collectif se justifie par un projet de territoire ou de filière d’activité impliquant un sociétariat hétérogène ou multisociétariat, le respect des règles coopératives (1 personne = 1 voix), et la gestion désintéressée par un réinvestissement dans l’activité des excédents (en savoir plus)