“L’Avare” revu par Frédérique Lazarini : un Molière funambulesque réussi

“L’Avare” revu par Frédérique Lazarini : un Molière funambulesque réussi
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Vous désirez ardemment voir une pièce de Molière à Paris et il n’y a plus de place à la Comédie-Française pour Les Fourberies de Scapin ? Qu’à cela ne tienne ! Rendez-vous au Théâtre 14 Jean-Marie Serreau pour assister à la nouvelle création de Frédérique Lazarini : L’Avare. Une pièce aux accents funambulesques, mêlant avec talent le lyrisme amoureux aux délire bouffons d’Harpagon, interprété par un réjouissant Emmanuel Dechartre.

« Peste soit la sincérité, c’est un mauvais métier. Désormais j’y renonce, et je ne veux plus dire vrai. » (Maître Jacques – Acte II, scène 2)

La note d’intention d’un metteur en scène se situe constamment sur des planches savonneuses, tant le dessein initial exprimé résiste parfois difficilement à la mise en œuvre réalisée. J’apprécie personnellement la discussion autour de ces notes projectives, car une proposition artistique ne peut se satisfaire d’un « j’aime » ou « je n’aime » d’autorité, dont tout le monde se contrefout, quand bien même le critique serait – ce qui n’est guère mon cas – une sommité incontournable dans son domaine de prédilection.

Une montée en puissance farcesque et passionnelle

Frédérique Lazarini écrit : « Ce sera là notre tâche : rendre compte de ce double aspect, farcesque et passionnel à la fois (« grostesque » au sens hugolien), c’est-à-dire tenter d’atteindre cet « autre théâtre » qu’a inventé Molière. » La metteure en scène évoque, dans cette dernière expression, la réflexion d’Antoine Vitez qui constatait que le dramaturge français reprenait pour chaque scène « un schéma farcesque archaïque, très simple », pour le renouveler intégralement. L’affaire n’est pas nouvelle : tout maître de maison, a fortiori théâtrale, ne doit-il pas tirer de son trésor – artistique – du neuf et de l’ancien ?

À l’image du grand maître Molière, Frédérique Lazarini retrouve la sève classique pour la donner à goûter sur la scène contemporaine du théâtre 14. Si l’entame est quelque peu difficile, si certaines scènes manquent encore de souffle, si certains jeux d’acteurs (et d’actrices) sont encore à affiner, si – enfin – la compréhension de certaines phrases souffre d’une diction par endroits imprécise, ce ne sont probablement là que les défauts d’une première.

Car la montée en puissance, réelle, de cette proposition artistique touche in fine son but : passion et farce s’entremêle harmonieusement, portées par un Emmanuel Dechartre de plus en plus réjouissant au fil des scènes, à tel point que la dimension funambulesque semble comme nous projeter à l’intérieur de son délire paranoïaque.

Dans l’attente d’une lumière pérenne

Nous sommes dans un jardin déserté, asséché, à l’image du cœur d’Harpagon, incapable de considérer les situations, ses serviteurs, jusqu’à ses enfants, autrement que par le biais pécuniaire. Tout ce qui recouvre l’avarice, symbolisée par la cassette enterrée bien à notre vue au creux de cette terre défraîchie, est destiné à mourir, gangréné par ce mal intérieur, personnel, moral et relationnel. Les orages ponctuent régulièrement les scènes, dans l’attente d’une lumière pérenne, à l’image des poètes d’hier et d’aujourd’hui.

lumière opaque

le ciel scellé comme un tombeau

qui roulera le bloc

du soleil pétrifié ?*

L’avarice pétrifie toute espérance ; l’être broyé par une lésine aux serres impitoyables plonge dans une folie psychotique que la mise en scène de Frédérique Lazarini déploie avec adresse, de rapides scènes absurdes, ajoutées librement au texte de Molière, en apparitions fugaces de visages carnavalesques au sommet d’une palissade.

Certains comédiens suivent la progression d’Emmanuel Dechartre, tel Guillaume Bienvenu – dans le rôle de l’apparent flagorneur servile Valère ; les deux acteurs nous offrent d’ailleurs l’une des scènes les plus réussies de la pièce, lorsqu’un quiproquo conduit le second à confesser son amour pour la jeune Élise (Charlotte Durand-Raucher), fille du premier.

Cédric Colas est un crédible Cléante tandis que Didier Lesour, dont le jeu pourrait parfois être plus nuancé, réussit à donner des traits cocasses à un La Flèche saugrenu. Katia Miran est une Marianne lisse et paisible ; Charlotte Durand-Raucher assume peu à peu, de l’intérieur, les transports amoureux de son personnage au fil de la pièce ; quant à Jean-Jacques Cordival, rendons hommage à son interprétation quasi muette d’une Dame Claude ubuesque. Si Michel Baladi peine encore à trouver son rythme en Maître Jacques, Frédérique Lazarini est une amusante Frosine, en entremetteuse proche de la mère maquerelle, en Madame Claude bas de gamme (référence détournée du personnage Dame Claude de la pièce ?).

Élan amoureux dans les lieux de désolation

Ces petits défauts – facilement rectifiables – et les grandes qualités sont le signe de la vitalité du spectacle vivant ! Frédérique Lazarini et sa compagnie Minuit 01 réussissent leur pari d’un théâtre à la fois exigeant et populaire, ouvert à un large public – à partir de 12 ans. Un bel hommage au père de la metteure en scène, Henri Lazarini, mort en juillet dernier, qui signe la dramaturgie.

Concluons avec le poète qui, plus que bien d’autres, sait ressaisir la substance de cet élan amoureux qui envahit de son éclat les lieux de désolation.

longtemps j’ai arpenté l’attente

et puis voici tes yeux
tes lèvres

et ce corps silencieux

et moi qui ne sais comment vivre
pour ne pas t’espérer*

Et c’est ainsi que Valère et Élise d’une part, Cléante et Marianne d’autre part, se marièrent, avec la bénédiction d’un père et la ladrerie d’un autre. La bonté l’emporterait-elle finalement sur l’avarice ? Puisse l’ultime acte d’espérance de Molière être contagieux…

Pierre GELIN-MONASTIER & Pauline ANGOT

* Les deux poèmes cités sont de Nicolas Waquet et extraits de son dernier recueil : Puisqu’il fait jour, Corlevour, 2017, 96 p., 16



DISTRIBUTION

Mise en scène : Frédérique Lazarini
Texte : Molière
Avec Michel Baladi, Guillaume Bienvenu, Cédric Colas, Jean-Jacques Cordival, Emmanuel Dechartre, Charlotte Durand-Raucher, Denis Laustriat, Frédérique Lazarini, Didier Lesour, Katia Miran
Scénographie : Philippe Le Roy
Lumières : Cyril Hamès
Musique : John Miller
Assistante à la mise en scène : Lydia Nicaud
Conception graphique : Cédric Gatillon

Crédits de toutes les photographies : Laurencine Lot

Informations pratiques
– Durée : 1h55
– Public : à partir de 12 ans
– Site internet : Compagnie Minuit 01
– Administratrice de production : Inger-Kerstin MusicDiffusion au 06 14 25 62 88  et info@minuit01.com



OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

Spectacle créé au théâtre 14 Jean-Marie Serreau le mardi 14 novembre 2017.

Tournée
– Du 14 novembre au 31 décembre : Théâtre 14 Jean-Marie Serreau (Paris)



 

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