Laurent Durupt – Une musique minimale pour un déplacement maximal

Laurent Durupt – Une musique minimale pour un déplacement maximal
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L’entrée dans la gare de l’Est, l’une des plus belles stations ferroviaires de la ville de Paris, est aussitôt perturbée par un double son régulier, deux impulsions sonores qui tantôt semblent se confondre, tantôt résonnent distinctement, selon que nous nous déplaçons vers le centre ou les extrémités de la vaste nef, longue de près de 200 mètres. La gare tout entière est rythmée par cette pulsation que viennent renforcer deux éclairs lumineux et qui ne s’interrompt qu’au moment des annonces.

« L’enjeu était de trouver une musique qui prenne en compte à la fois l’architecture de la gare et les informations données aux voyageurs », explique Laurent Durupt, compositeur, ancien pensionnaire de la Villa Médicis et concepteur de l’installation intitulée : « Minimal music for maximal space ». Pourquoi ce choix de la minimale ? « J’ai d’abord testé une sorte d’arpège, qui part du grave vers l’aigu, pour savoir comment l’espace répondrait à ces différentes tonalités. Mais cette harmonie provoque l’écoute musicale ; or ce que je souhaite, c’est que les voyageurs se mettent à l’écoute du temps. »

Au commencement était l’acoustique

La régularité de l’impulsion empêche la recherche cérébrale de la durée, d’un swing… Il ne reste que l’acoustique, dans sa pureté originelle, dans son existence brute, une acoustique dépouillée, voulue pour elle-même, si souvent ignorée par des visiteurs uniquement concentrés par l’arrivée de leur train. Certains crieront à l’intellectualisme ; pour qui sait prendre le temps d’écouter, c’est en réalité à un acte essentiellement contemplatif que nous invite le jeune compositeur : « En règle générale, l’acoustique est un paramètre parmi d’autres de la musique ; ici, c’est exactement l’inverse. Nous sommes à un extrême de la musique, ce moment où l’on sort du rapport musicien/rythme, pour ne plus écouter que l’acoustique. »

Par son attachement à ce qui est habituellement un élément matériel de l’œuvre, en considérant ce dernier dans sa beauté première, Laurent Durupt inscrit finalement ses pas dans ceux de nombreux artistes contemporains : l’élément est débarrassé de son objet. L’acoustique est voulue pour elle-même, de même que la couleur était intensément désirée par Mark Rothko. Il ne s’agit plus d’abord de comprendre, mais de voir, d’entendre, de respirer, de goûter, de toucher… La vie sensitive retrouve sa pleine légitimité.

Le monde ferroviaire est à l’image de notre société : la gare est saturée d’informations jusqu’à l’overdose. Tout est adapté en fonction de ces informations, de telle sorte que nous prenons pour naturel ce qui est en réalité artificiel. La finalité de cette installation n’est finalement rien de moins que de redécouvrir un espace naturel et sonore, une caisse de résonance étonnante et unique : « Nous voulons tenter de déplacer les voyageurs par un geste, un son, une lumière, une musique, s’enthousiasme Mouna Mekouar, curatrice de l’événement, dans le cadre de la FIAC hors-les-murs. Si nous sommes parvenus à changer, même deux minutes, la perception que les voyageurs ont de la gare, le pari est réussi. »

Des grandes orgues pour une cathédrale ferroviaire

Sur cette installation minimale est venu se greffer l’ensemble LINKS, fondé par Rémi et Laurent Durupt. Ce soir, une pianiste, Trami Nguyen, et un trompettiste, Brice Pichard, interagissent en fonction de l’installation, du lieu et de leur sensibilité – d’autres fois, c’est un percussionniste qui fait écho au piano. « Ils sont comme des spectateurs doués d’un droit de réponse, confirme Laurent Durupt. Le piano constitue un centre sonore fixe, placé très exactement au centre de la nef, tandis que le trompettiste ne cesse de circuler dans la gare, attisant la curiosité et provoquant parfois le déplacement des voyageurs. » Ce déplacement extérieur et intérieur des voyageurs est la clef de la réussite de l’installation.

L’ensemble monumental de la gare laisse place à un réceptacle d’accords parfois solennels, parfois intimes, selon la perception des artistes étonnamment effacés : « Jouer ici à un côté très immersif, presque imposé par la gare, reconnaît Trami Nguyen. Il n’y a pas de place pour l’ego ; nous disparaissons pour que jaillisse l’espace. Le challenge était de trouver un minimalisme musical dans un maximalisme architectural : j’ai donc construit mon improvisation sur des accords, comme des sons d’orgue, à partir des impulsions sonores qui me parvenaient. »

L’influence du minimalisme domine la musique de Laurent Durupt. L’ensemble LINKS a récemment interprété la fameuse pièce de Steve Reich, Music for Eighteen Musicians, associée à une chorégraphie de Sylvain Groud. Elle sera de nouveau jouée à la Gaîté Lyrique, le samedi 14 novembre prochain, dans le cadre du Festival « Marathon! ». La veille, Laurent Durupt présentera par ailleurs une de ses dernières créations : « Hip Hop Algorithms ». Un nouveau déplacement en perspective.

Pierre GELIN-MONASTIER

Laurent Durupt (Crédits - Marikel Lahana)

Laurent Durupt (Crédits – Marikel Lahana)

LINKS

Trami Nguyen (Crédits – Marikel Lahana)

Brice Pichard (Crédits - Marikel Lahana)

Brice Pichard (Crédits – Marikel Lahana)



 

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