L’art de la sieste
La sieste est un plaisir solitaire. On ne fait pas la sieste à deux ou alors ce n’est plus une sieste. C’est autre chose.
S’allonger au pied d’un arbre, sentir l’herbe fraîche qui vous caresse gentiment la plante des pieds. Regarder le soleil à travers le feuillage d’un chêne centenaire. Saluer le vent qui vient en voisin, jamais loin, qui prend votre visage pour ce qu’il est, un jardin d’enfant abandonné. Les yeux se ferment doucement, les deux ailes d’un papillon qui a tout son temps.
La sieste a ses amateurs et ses détracteurs. Pour certains, la sieste est un pur plaisir. Pour d’autres, la sieste est une vraie calamité. Si vous désirez mettre un peu d’ambiance dans un repas de famille qui ronronne puissance dix, il suffit d’évoquer avec délectation la joie profonde que vous éprouvez rien qu’à l’idée d’aller faire la sieste. Vous verrez, c’est imparable. La tablée va se diviser aussitôt en deux partis bien distincts, les pour et les contre. Comme le pain sur la table, les avis sont tranchés. Il n’y a pas de « sans opinion » dans ce type de discussion. Et comme le couteau à côté de l’assiette, les arguments sont particulièrement affûtés. Les convives n’hésitent pas à se couper la parole. Du côté des pour, on va arguer que la sieste est un cadeau des Dieux et qu’il serait bien malpoli de le refuser et encore plus stupide de ne pas s’en servir. Du côté des contre, on va rétorquer que la vie est bien courte, que nos heures sont comptées et que c’est faire preuve d’inconséquence de les gaspiller en dormant l’après-midi. Comme vous le voyez, en parlant de la sieste, nous avons réveillé le repas de famille. Si vous êtes d’humeur guillerette, je vous conseille d’aborder, au moment du café, un sujet particulièrement consensuel : la tauromachie. Vous obtiendrez ainsi un repas qui restera gravé, à tout jamais, dans la mémoire familiale.
Faire la sieste, ce n’est pas dormir. Un petit peu, tout de même.
Maintenant, quelques petits conseils, si je puis me permettre… La sieste, c’est l’après-midi, pas la nuit, donc si on peut éviter le lit pour faire la sieste, c’est très bien. Bon, si votre fauteuil est défoncé, si votre télé est en panne, si votre canapé est squatté par le chien, si votre chef de service est dans la même pièce que vous et si dehors, il fait moins dix, il est bien évident que le lit fera l’affaire. Il ne faut pas être plus royaliste que le roi. Et ne jamais oublier que la race humaine doit sa survie à sa formidable capacité d’adaptation. Ne pas se mettre en pyjama. Tenue correcte exigée. La sieste est une activité habillée. Ou presque. Suivant la saison. Il est probable que si la température atteint les quarante degrés, un certain relâchement vestimentaire sera toléré. Dans tous les cas, il est fortement conseillé d’enlever ses chaussures.
Très important, pour ceux et celles qui ne peuvent vraiment pas se passer de leur plumard : il faut dormir sur le lit et non sous les draps. Et rien ne vous oblige à dormir sous le lit.
Très très important, la sieste est un plaisir solitaire. On ne fait pas la sieste à deux ou alors ce n’est plus une sieste. C’est autre chose.
À présent, il est temps de prendre son courage à deux mains. Il nous faut parler, sans détour, d’une sous-catégorie terriblement agissante : les nuisibles. À côté, les opposants à la sieste sont d’aimables plaisantins, des poètes de la vie quotidienne.
Le nuisible peut être humain, animal et même technique. Oui, le nuisible peut avoir une vie propre sans pour cela faire partie de la chaîne biologique. Par exemple, le robinet de la baignoire qui se met à goutter, ploc, ploc, ploc. La porte qui grince, le mur qui craque, la boule de Noël qui tombe du sapin, les exemples ne manquent pas, c’est la force de les énumérer qui nous fait défaut. Chez nos amis les animaux, le chien arrive en pole position. Ne vous fiez pas à sa gentillesse infinie et à sa loyauté légendaire. Le chien a l’esprit du mal chevillé au corps. Lui qui fait la sieste matin, midi et soir trouve le moyen, dans ses rares moments de lucidité, d’aboyer pour rien pendant la sieste de son fidèle compagnon. Au sujet de l’être humain, nous nous contenterons d’évoquer deux pathologies lourdes, le psychopathe des champs et le psychopathe des villes. Le psychopathe des champs est reconnaissable à son bob, son torse nu, son short en polyester, ses tongs en plastique naturel et sa tondeuse à gazon. Le psychopathe des villes est identifiable à son t-shirt troué, son jean miteux, ses baskets pourries et sa perceuse électrique. Malheur à vous si vous croisez un de ces sinistres personnages. Qui ne respecte rien. À commencer par le silence qui mène à l’absence momentanée.
Et c’est ainsi qu’après avoir laissé les mots vagabonder, en toute liberté, bulles de savon dans un ciel bleu sans nuage, le temps est venu d’aller coincer la bulle. Non pas une bulle de BD. Plutôt une bulle de bébé. Qui sourit dans son sommeil.
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Auteur de théâtre, scénariste de fictions radio, président des Écrivains associés du théâtre (E.A.T) de 2014 à 2019, Philippe Touzet tient une chronique bimensuelle dans Profession Spectacle depuis janvier 2021, intitulée : « Arrêt Buffet ».
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