L’arbre, notre frère

L’arbre, notre frère
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Contrairement à ce que beaucoup pensent, l’intersection entre l’Économie Sociale et l’écologie est assez ténue. Ce n’est pas la nébuleuse de petites associations sympathiques œuvrant pour la protection de la nature qui pèse bien lourd ! Il y a toutefois quelques pépites : le réseau Pro Silva en est une…

Actualité de l’économie sociale

Contrairement à ce que beaucoup pensent, et à ce que certains affirment, l’intersection entre l’Économie Sociale et l’écologie est assez ténue. On cite de façon emblématique telle ou telle structure d’insertion spécialisée dans la récupération ou la valorisation des déchets ; mais je ne connais aucun exemple de producteurs de déchets ou d’eaux usées qui se soient groupés en coopératives pour traiter eux-mêmes, en toute autonomie, leurs effluents ou leurs ordures. Ces industries sont entièrement dépendantes de l’argent public, ou au moins régulées par l’État, et se partagent entre grandes sociétés cotées en Bourse, régies municipales et entreprises publiques locales. Dans le monde de l’énergie, la place de l’Économie Sociale est encore plus congrue.

Il y a, bien sûr, dans l’imaginaire collectif, une nébuleuse d’associations et de petites structures sympathiques œuvrant dans le bio ou la protection de la nature et des sites. Mais il faut garder la tête froide avant d’y voir une force en devenir. D’abord parce quand on en fait le décompte, cela ne pèse finalement pas bien lourd. Ensuite parce que cela n’a rien de nouveau ; on en parlait dans les mêmes termes il y a un demi-siècle. Enfin, parce que c’est un ensemble extrêmement hétérogène et aux frontières impossibles à définir ; on y trouvera aussi bien les chasseurs que les anti-chasseurs, ou les pro-éoliens comme les anti-éoliens.

Quand on évoque l’écologie, on est d’abord assourdi par le vacarme tribunicien, avant de discerner ce qu’y sont les activités productives et leurs corollaires en termes d’emploi, de rentabilité et de gouvernance. Or la tribune, c’est de l’action politique, pas de l’économie. Mais cela produit un discours qui imprègne toute la société, et il n’est donc pas étonnant d’entendre les porte-parole de l’Économie Sociale revendiquer pour eux la place de meilleur élève de la croisade écologique. À mon sens, ce ne sont que des mots, de la com’ maladroite et inappropriée, sur le même registre que les proclamations sur l’égalité homme/femme ou la RSE.

Il reste qu’il existe, au sein de l’Économie Sociale, quelques pépites authentiquement écologiques qui mènent, loin du tumulte, une action exemplaire. Le réseau Pro Silva, qui regroupe propriétaires et gestionnaires forestiers, plus quelques électrons libres simplement amoureux de la forêt, dont votre serviteur, est l’une d’entre elles, et je me fais un devoir de relayer ici l’appel que sa section française a lancé à l’issue de sa dernière assemblée générale. J’en ai quelque peu modifié les termes, aussi la version reprise ici n’engage-t-elle que moi.

Pro Silva, qui est présent dans différents pays d’Europe avec une très forte implantation dans le monde germanique, milite pour une sylviculture raisonnée et respectueuse de la nature, faisant appel autant à l’expérience concrète des exploitants qu’aux travaux des scientifiques, assumant les inévitables incertitudes et tâtonnements qu’impose la diversité des sols, des peuplements et de leur histoire. Le réseau organise rencontres, visites et confrontations, assure des formations, publie… et se voit également contraint de dénoncer vigoureusement la montée de pratiques anti-écologiques qui menacent, au delà de la santé proprement dite des forêts, l’équilibre même des relations entre l’homme et le milieu naturel.

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Nombre de forêts de France et d’Europe traversent actuellement, au niveau sanitaire, une crise sans précédent.

Pour rester pleinement confiants dans l’avenir de la forêt et dans ses capacités à assurer à la fois une production de bois de qualité (et c’est une priorité), mais aussi la protection des sources et du cycle de l’eau, de la biodiversité et des paysages, le stockage du carbone, enfin l’accueil du public, il nous faut dénoncer certaines pratiques forestières qui portent une grave responsabilité dans la situation dramatique que traverse actuellement la filière forêt/bois.

Loin de nous l’idée de crier victoire, mais force est de constater tout de même que les idées de Pro Silva sont celles qui résistent le mieux aux bouleversements actuels. Rappelons-en quelques-unes.

Nous voulons travailler avec des essences adaptées à leur milieu, qu’elles soient autochtones ou exotiques, privilégier le mélange, la diversité, pour une adaptation en continu, en fonction des réactions individuelles et des évolutions du climat. L’essence miracle n’existe pas. La monoculture forestière est une hérésie.

Notre approche de sylviculteur ne peut se faire qu’au niveau des arbres eux-mêmes, chacun étant considéré comme un individu à part entière. Certains ont un rôle à jouer (économique, écologique ou social) et doivent être conservés, préservés et choyés, d’autres n’en ont plus et ils peuvent être prélevés. C’est bien sur le terrain, au contact des arbres, en pleine connaissance des dynamiques naturelles, que se prennent les décisions de prélèvement, et non dans un bureau ou par un document de gestion ou de planification globale. C’est cette approche par l’arbre qui crée des peuplements mélangés, variés, irréguliers. C’est cette approche par l’arbre qui crée des peuplements stables et résilients, condition incontournable pour une économie performante et sereine.

Toutes les interventions en forêt sont d’abord des perturbations pour les peuplements. Et plus elles sont fortes, plus grave sera leur incidence, et plus le peuplement aura de difficultés ou besoin de temps pour se restaurer un équilibre plus stable ou moins instable. Il nous semble évident qu’en ajoutant des perturbations à des perturbations, la forêt ne peut qu’afficher un état de faiblesse souvent durable.

Nous percevons bien aussi aujourd’hui l’impasse de l’hyper-mécanisation, qui s’oriente vers des engins toujours plus gros, toujours plus lourds, toujours plus chers jusqu’à en oublier la fragilité de nos sols, le véritable potentiel d’accroissement de nos peuplements, l’importance de préserver le microclimat local qui accompagne et protège chaque arbre. Il n’y a pas de fatalité, c’est bien à nous, gestionnaires et propriétaires, de nouer avec les intervenants professionnels de véritables relations partenariales, pérennes et durables. Cela peut coûter quelques euros supplémentaires, mais nous restons persuadés que c’est la seule voie pour une meilleure santé de nos peuplements, et cela n’a pas de prix.

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Une forêt conduite selon les principes de Pro Silva produit du bois, certainement autant si ce n’est plus que n’importe quelle autre approche sylvicole, tout simplement parce que la croissance est sans cesse stimulée par le mélange, par l’absence d’à-coups, ou de phase brutale de décapitalisation, par les choix orientés en faveur des arbres de meilleure vigueur individuelle et collective. Et évidemment, cette production est de meilleure qualité, et la rentabilité améliorée puisque cette sylviculture et l’automation biologique œuvrent dès les premiers stades de développement.

La régénération sera préférentiellement naturelle quand le peuplement mère est de qualité, et certainement la sélection naturelle renouvelée depuis des millions d’années permettra aux meilleurs de sortir du lot, même dans le contexte d’évolutions climatiques rapides et brutales. Mais loin de nous aussi l’idée de renoncer à planter, d’abord pour pallier aux insuffisances du renouvellement, ensuite pour enrichir avec de nouvelles espèces, de nouvelles provenances. Gardons-nous cependant de jouer les apprentis sorciers en tirant des conclusions trop rapides, en adoptant des solutions trop simples, trop générales, trop caricaturales.

Enfin la forêt, à n’en pas douter, est l’un des derniers espaces où la biodiversité peut s’exprimer plus ou moins librement. Il nous revient, non seulement de la prendre en compte, mais aussi de la favoriser, et cela passe par la diversité et la richesse des structures, par le maintien du bois mort, par des espaces de libre évolution…

La santé et la pérennité de nos forêts dépendent aussi de notre volonté à régler enfin le gravissime problème du déséquilibre forêt/gibier qui prévaut depuis trop longtemps maintenant, menaçant en maints endroits l’existence même de la forêt. Nous appelons des mesures fortes et énergiques en ce sens. Dans plusieurs de nos régions, le dépeuplement et le vieillissement du monde rural ont amené une forte diminution du nombre de chasseurs. Cela en réjouit peut-être certains, urbains pour la plupart, mais cela se traduit aussi par une croissance incontrôlée du gros gibier prédateur des jeunes arbres, allant jusqu’à l’impossibilité faite au peuplement de se régénérer normalement.

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Le rôle de Pro Silva n’est pas de faire la leçon, ou de délivrer des solutions passe-partout qui de toutes façons n’existent pas. Le rôle de Pro Silva est de nous apprendre à observer, à comprendre et à accompagner les dynamiques naturelles, à prendre les bonnes décisions au bon moment et au bon endroit, à contrôler, qualifier et quantifier les actions menées…

Pro Silva veut éviter la sectorisation de l’espace forestier et l’impasse sociétale d’une forêt dédiée uniquement à l’industrie ou à l’opposé, à une mise sous cloche.

La société appelle à la constitution de forêts à la fois productives et belles pour que les objectifs de multifonctionnalité soient pleinement assurés de façon continue et durable. C’est cette logique, couplée à l’analyse de ses résultats, que Pro Silva promeut et défend, à travers toute l’Europe, depuis maintenant plus de 30 ans.

 

Philippe KAMINSKI

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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.

Philippe Kaminski - Actualité de l'économie sociale



 

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