La Scala Paris : un modèle d’entrepreneuriat culturel et de programmation artistique
Sept mois après son ouverture, la Scala Paris est devenue un lieu incontournable de la vie artistique dans la capitale, grâce à un modèle qui unit missions de service public et financements privés, grâce surtout à une belle programmation, riche de sa diversité.
Le 11 septembre 2018, la Scala Paris rouvrait ses portes, après une histoire magnifique : création en 1874, célèbre café-concert à l’origine, puis salle de cinéma art décoratif, complexe multisalles consacré au cinéma pornographique, avant de tomber en désuétude jusqu’au rachat du lieu – « un coup de cœur dès la première minute » – par Mélanie et Frédéric Biessy, en février 2016.
Hybridation financière
Selon Philippe Baverel, du journal Le Parisien, 11,5 millions d’euros ont été nécessaires, dont 7 ont été consacrés aux travaux – l’État a contribué, selon les chiffres donnés par les responsables du lieu, pour 800 000 euros, la région à hauteur de 500 000 euros et la ville de Paris pour 80 000 euros, soit 1,38 millions au total. Un fonds de dotation et une association permettent de fédérer par ailleurs des mécènes, particuliers, entreprises et institutions. La Scala se revendique ainsi comme « un modèle d’entrepreneuriat culturel privé/public à même de favoriser l’innovation dans la création artistique et de promouvoir la jeune génération d’artistes ».
Lorsque le couple décide de reprendre le lieu, il sait que le chemin sera long, qu’il lui faut inventer un nouveau modèle en sortant des sentiers battus. « La Scala est un lieu sur lequel on travaille et pour lequel on s’investit depuis plus de trois ans avec Frédéric, explique Mélanie Biessy, et avec une grande partie de l’équipe depuis deux ans. On a passé des jours et des nuits à rêver, à déconstruire, à reconstruire, à se projeter, à imaginer ce qu’on aimerait avoir dans ce lieu, à penser à cette utopie qui serait le théâtre idéal pour les artistes, pour le public. »
Sept mois après le lancement de la saison inaugurale, la Scala avance des chiffres que d’aucuns lui envieraient : 55 000 spectateurs avec une moyenne d’âge de 29 ans, 32 spectacles correspondant à 250 levers de rideaux, 4 500 élèves venant de 78 établissements scolaires (une des missions essentielles de service public, revendiquée fièrement par les responsables du lieu), des milliers de consommateurs au bar et au restaurant…
« Je suis particulièrement heureuse parce que je me suis investie comme une dingue dans ce projet, poursuit Mélanie Biessy. Au-delà de mon énergie, de mon enthousiasme, de mes idées, j’ai mis énormément d’argent. J’ai investi massivement, me mettant à risque financièrement, parce que je crois profondément à ce que nous sommes en train de construire. »
Hybridation artistique
La Scala Paris est non seulement un projet hybride financièrement, mais également artistiquement. « On avait décidé que la Scala serait un lieu totalement modulable, un outil ultra performant, confirme Frédéric Biessy. C’est bien beau de le dire. On peut avoir le meilleur acousticien du monde et rater l’acoustique… Au contact des artistes et du public, on s’est aperçu qu’on était bien au-delà de ce qu’on avait rêvé. »
Reste l’enjeu du croisement des artistes, de la pluridisciplinarité artistique. Pour la seconde partie de cette saison 2018-2019, le comédien et metteur en scène Hugues Duchêne côtoiera l’artiste plasticien et vidéaste belge Hans Op de Beeck, tandis que Pauline Bayle, Pierre Richard, Aliénor Dauchez ou encore Raphaëlle Boitel prendront successivement possession des lieux.
Lieu de représentation, mais aussi lieu de création : la Scala Paris intègre parmi ses missions de service public la commande d’œuvres de musique contemporaine. « L’acoustique de notre théâtre est variable, ce qui est totalement nouveau à Paris, explique Rodolphe Bruneau-Boulmier, conseiller musique de la Scala. Nous sortons du festival Intégrale au cours duquel nous avons changé l’acoustique, d’un concert à un autre, selon le souhait des pianistes. Le second élément unique est que nous avons notre propre piano, que nous avons été choisir à Hambourg : l’histoire de cet instrument se construit maintenant avec les artistes qui en jouent. »
Opus, performance audio-visuelle commandée par l’IRCAM dans le cadre du festival ManiFeste 2019, sera créée en juin par Matteo Franceschini, qui a reçu en février dernier le Lion d’argent pour la musique de la Biennale de Venise. À l’automne 2019 aura lieu la seconde édition de “Aux armes, Contemporains !”, qui a la particularité de ne faire entendre que des compositeurs en vie.
« Chaque interprète choisit ainsi son compositeur vivant », insiste Rodolphe Bruneau-Boulmier, qui évoque par ailleurs un soutien renforcé à la jeune génération – autre mission de service public : « L’enjeu quand je suis arrivé ici a été notamment de défendre la jeune génération à laquelle j’appartiens. La place de la musique à la Scala est précisément à mi-chemin entre toutes ces frontières. Notre lieu pluridisciplinaire a naturellement pour vocation de décloisonner les genres. »
Présence croissante des arts visuels
Les arts visuels occupent enfin une place croissante dans cette programmation. Outre les vidéos projetées dans la salle, des installations sont également présentes dans le hall et le foyer. « S’il n’y a pas de programmation précise et définie pour ces artistes, explique Aline Vidal, conseillère arts visuels de la Scala, ils ont une place majeure. »
Clément Cogitore, prix Marcel-Duchamp 2018, présente actuellement un autoportrait vidéo d’une durée de douze minutes. Un “fauteuil” est par ailleurs confié chaque trimestre à un plasticien dans le hall du théâtre : Annette Messager, Stéphane Thidet et Fabrice Hyber signent les installations de la saison inaugurale ; le peintre Hervé di Rosa, artiste majeur de la « figuration libre », prendra leur suite en septembre prochain. Autant de signes que la belle histoire de ce lieu n’est pas près de s’arrêter.
Crédits photographiques : Pierre Gelin-Monastier