“La République des Abeilles” de Céline Schaeffer : conte didactique et responsabilité citoyenne
Céline Schaeffer propose une adaptation de La vie des abeilles de Maeterlinck sous la forme d’un conte didactique et social. La voix-off d’Agnès Sourdillon domine cette histoire imagée, un brin scolaire, qui trouve de jolis développements poétiques dans un décor aux tons de miel.
Le plateau, à notre arrivée, se présente de manière assez dépouillée. À l’avant-scène, côté cour, un double panneau indique, en écho aux chantiers urbains : « Ici des abeilles travaillent. Merci de ne pas les déranger », panneaux retirés, on ne sait trop pourquoi, dès l’ouverture. Au centre est disposée une ruche en bois, tandis que sur une grande toile placée en fond de scène est projetée une forêt, tout d’abord fixe et en noir et blanc, puis en mouvement et en couleurs. « La nature se réveille de l’hiver », annonce une voix-off – celle de la comédienne Agnès Sourdillon, narratrice omniprésente tout au long du spectacle – qui cite pêle-mêle les bourgeons, l’anémone, la violette, la pervenche, les fleurs de noisetier… et les abeilles. Leur bourdonnement recouvre peu à peu totalement les bruits d’oiseaux qui nous accueillaient à l’arrivée.
Petit éloge de l’intelligence collective
D’entrée de jeu, nous percevons l’absence de construction dramaturgique. Plus qu’un acte théâtral, Céline Schaeffer nous propose un conte imagé, construit à partir de « la vie des abeilles », selon l’essai que consacre Maurice Maeterlinck à ces insectes aux ailes membraneuses. Si l’hommage au grand écrivain belge d’expression francophone est assumé par Céline Schaeffer, la plasticienne précise néanmoins – dans l’interview publiée dans le programme remis aux spectateurs du festival d’Avignon – qu’elle lui ajoute d’autres influences, des Géorgiques de Virgile à des lecteurs et recherches diverses, le texte originel n’étant « pas toujours très juste d’un point de vue scientifique ».
Un tel choix se comprend aisément, en vue d’un conte sur le fonctionnement de la ruche à destination des enfants. Comme l’on comprend le fait que Céline Schaeffer ait remplacé le très métaphysique mot « vie » par celui plus social de « république », à condition néanmoins de saisir ce dernier vocable en son sens étymologique : res publica, la chose publique, l’organisation politique d’une société, quel que soit le régime en place. « Je choisis le mot république pour la dimension sociale de ces insectes, poursuit la metteure en scène dans cette même interview. La ruche, c’est du multiple dans l’un. Un être avec son propre fonctionnement, ses propres équilibres. Un super-organisme constitué de milliers d’individus indissociables les uns des autres. Parler de république permet de raconter la vie de la ruche, son organisation en miroir avec notre société. L’esprit de la ruche, la façon dont les êtres sont reliés, l’intelligence collective font écho à une sorte de république idéale. »
Il serait absurde de poser un jugement sur cette organisation naturelle d’une société animale, mais je ne peux qu’être interloqué par la fin de l’analyse que donne Céline Schaeffer : une « république idéale » ? La vie de la ruche comprend une future reine qui massacre ses rivales pour régner en maîtresse ou encore des abeilles qui chassent au loin (exilent ?) les paresseux bourdons du nectar… S’il y a intelligence collective, elle n’est pas le fruit d’un processus paisible et serein.
Didactisme teinté de poésie
Mais soit, La République des abeilles. Tel est donc le titre adopté par l’auteure et metteure en scène afin d’insister de manière générale, sans y regarder de trop près, à la dimension sociale, collective, d’un ensemble d’individus.
Nous suivons la vie de cette ruche républicaine, de la naissance de la reine à la fabrication du nectar, en passant par la fécondation souveraine et par le danger que constituent les pesticides pour notre temps : une liste des produits utilisés par les hommes est ainsi affichée en rouge, tandis qu’une fumée s’étend sur la scène et que le nom des différents types d’abeilles est cité.
Nous l’avons écrit précédemment : nulle construction dramaturgique dans cette proposition artistique, mais un conte à la fois didactique – proche du dessin animé Il était une fois la vie ou de C’est pas sorcier, célèbre émission de vulgarisation scientifique destiné aux enfants, animée par Fred et Jamy – et poétique ; la musique de Peter Chase elle-même rappelle parfois les compositions de Haim Saban et Shuki Lévy dans Les Mystérieuses cités d’or.
La dimension poétique tient essentiellement au décor, constitué progressivement de cinq alvéoles de forme et de taille différentes, panneaux en toile et de structure métallique déplacés par les trois comédiens sur scène, qui semblent édifier une cathédrale animale : la couleur ocre, aux tons de miel, rappelle les vitraux de Pierre Soulages dans l’abbaye de Conques, capable de réfléchir différentes lumières – tandis que ces alvéoles reçoivent nectar et projections vidéo. L’ensemble n’est pas sans émerveiller par endroits, même si l’on sent parfois la scénographie à la remorque du discours.
Écouter la parole
Sur scène, deux comédiennes et danseuses, Polina Panassenko et Marion Le Guével interprètent joliment les abeilles, la reine, les bourdons… Un troisième comédien, Étienne Galharague, endosse sur le papier un rôle de narrateur et d’ouvrier de la ruche. Sa pertinence au plateau n’apparaît pas clairement, puisqu’il n’œuvre qu’en marge à la ruche et fait doublon dans la narration avec la voix-off d’Agnès Sourdillon. L’aspect instructif et documentaire en deviendrait presque trop scolaire, tant le récit s’ajoute au récit, alors que la scène pourrait offrir d’autres ouvertures et espaces possibles.
Si ce spectacle peut contribuer à la prise de conscience écologique, citoyenne et généralisée, s’il offre ici et là de jolies images et senteurs (du parfum est parfois diffusé dans la salle), il peine néanmoins à sortir du seul cadre de l’histoire imagée et inculquée, jusqu’à la phrase finale qui confirme cette direction : « Spectateur, écoute la reine des abeilles. » Est-ce l’effet voulu par Céline Schaeffer ? En sautant de la verticalité vitale à l’horizontalité républicaine, il semblerait que oui. Si tel est le cas, son pari est incontestablement réussi.
Nous restons quant à nous avec cette ultime parole de Maeterlinck, projetée sur la toile au fond de la scène, tandis que les comédiens saluent : « En ce lieu, comme partout où on les pose, les ruches donnent aux fleurs, au silence, à la douceur de l’air, aux rayons de soleil, une signification nouvelle. On y entend l’âme heureuse et visible de la nature. »
Spectacle : La République des Abeilles
Création : 16 juillet 2019 à la chapelle des Pénitents blancs
Durée : 1h
Public : à partir de 7 ans
Texte : Céline Schaeffer, libre adaptation de La vie des abeilles de Maurice Materlinck
Mise en scène : Céline Schaeffer
Avec Polina Panassenko, Marion Le Guével, Étienne Galharague
Voix-off : Agnès Sourdillon
Scénographie : Céline Schaeffer, Élie Barthès, Lola Sergent
Musique : Peter Chase
Lumières : Jean-Pascal Pracht
Images : Élie Barthès
Costumes et accessoires : Lola Sergent
Dramaturgie et collaboration artistique : Julien Avril
Régisseur général : Richard Pierre
Crédits photographiques : Christophe Raynaud de Lage
Où voir le spectacle ?
Spectacle vu le 17 juillet 2019 à la chapelle des Pénitents blancs, festival d’Avignon.
– Du 16 au 22 juillet 2019 : chapelle des Pénitents blancs, festival d’Avignon
– 6-8 octobre 2019 : théâtre d’Aurillac
– 15-18 octobre 2019 : théâtre Montansier à Versailles
– 22-23 octobre 2019 : théâtre Maurice-Novarina à Thonon-les-Bains
-13-14 novembre 2019 : théâtre forum Meyrin (Suisse)
– 21-23 novembre 2019 : le Grand Bleu à Lille
– 26-28 novembre 2019 : le Grand R à La-Roche-sur-Yon
– 10-20 décembre 2019 : théâtre Nouvelle Génération à Lyon
– 10-11 janvier 2020 : théâtre de l’Olivier à Istres
– 14-15 janvier 2020 : théâtre Le Forum à Fréjus
– 19-21 janvier 2020 : scène du Sud-Aquitain à Bayonne
– 24-25 janvier 2020 : théâtre de Nice
– 29-30 janvier 2020 : Scènes Vosges à Épinal
– 2-3 février 2020 : Créa festival Momix à Kingersheim
– 6-8 février 2020 : centre dramatique national de Normandie-Rouen
– 1er-2 mars 2020 : théâtre-cinéma Paul-Éluard à Choisy-le-Roi
– 12-13 mars 2020 : la Méridienne à Lunéville
– 6-10 avril 2020 : théâtre Olympia à Tours
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