“La Promesse de l’aube” de Romain Gary : Franck Desmedt impérial
Franck Desmedt adapte et interprète La Promesse de l’aube de Romain Gary, dans une mise en scène dépouillée, mise au service d’un texte à la tendresse et l’humour incomparables. Une tragi-comédie à ne pas rater, à Avignon puis en tournée.
AVIGNON IN/OFF 2021
« L’on guérit comme on se console :
on n’a pas dans le cœur de quoi toujours pleurer et toujours aimer. »
(La Bruyère)
Pour diverses raisons, qui tiennent autant de l’indifférence et du manque d’opportunité que d’un préjugé tenace faisant de lui un écrivain de seconde zone, je n’ai jamais lu la moindre ligne de Romain Gary jusqu’à aujourd’hui – du moins jusqu’au début de ce mois. Il a fallu une nouvelle mise en scène de La Promesse de l’aube pour que je m’intéresse enfin à un texte de celui qui doit davantage sa célébrité à sa prouesse d’un double Goncourt qu’à la reconnaissance d’un style original.
Pénétrantes critiques
Pourtant, original est bien son style – original et flamboyant, drôle et tendre. Sa mère, objet d’une vénération toute littéraire, devient sous sa plume l’héritière des Caractères de La Bruyère et la prolongation des héroïnes à l’exubérance fantasque de la littérature russe. « Parodies et caricatures sont les plus pénétrantes des critiques », écrit comme en écho Aldous Huxley, en parfait contempteur de son temps. Mais la force de Romain Gary est d’y mêler une tendresse filiale qui, en dépit des étouffements et humiliations, tisse le visage de cette femme impériale écrasée par une fatalité qu’elle combat néanmoins pied à pied, à travers son unique enfant, incarnation de toutes ses hyperboliques aspirations.
Nous sommes dans l’éloquence de l’intime, dans la grandiloquence saugrenue, qui construit un arc irréaliste au cœur d’un quotidien misérable. Les médiocres leçons sportive ou sexuelle revêtent ainsi les habits chatoyants de l’épopée, par la force du souvenir, de l’imaginaire et de l’écriture – ces trois pôles formant une pyramide parfaitement homogène. C’est bien par la force de sa voix romancée que Roman le boucher (« Kacew ») devient Romain l’incandescent (« Gary »), honorant ainsi les attentes d’une mère qui n’a jamais douté, jusqu’au cœur de l’horreur mondialisée.
Dans son adaptation scénique du texte original, le comédien Franck Desmedt s’intéresse essentiellement – mais non exclusivement, puisque certains récits pris à d’autres endroits du livre y sont mêlés – à la deuxième des trois parties du roman, celle qui se déroule à Nice, alors que le jeune Roman est âgé de treize ans. Il privilégie une forme relativement courte, d’un peu plus d’une heure, provoquant de facto une accélération de l’action, tandis que le roman prend son temps, au risque de souffrir de longueurs. Il n’en garde que les passages les plus savoureux, ces lieux où l’anecdote épouse l’humour, étreint les enseignements de vie, car il ne faut jamais oublier que ce roman, s’il ne se veut pas pleinement autobiographique, l’est tout de même formellement : c’est une autofiction, réalité qui précède l’invention de ce dernier vocable plus de quinze ans après la parution de La Promesse de l’aube.
Une adaptation scénique sans failles
Par son spectacle, Franck Desmedt nous invite ainsi dans l’histoire intime d’un écrivain. La mise en scène de Stéphane Laporte et Dominique Scheer est sobre : un fauteuil, un porte manteau, une valise, des colonnes polychromes peintes en toile de fond, qui rappellent vaguement le mouvement néo-gothique sévissant au XIXe siècle, et un habile jeu de lumières signé par Laurent Beal. Le comédien interprète avec justesse, tendresse et humour ce texte dans lequel celui qui est depuis devenu Romain Gary évoque sa relation avec sa mère. Le spectateur découvre, fasciné, une femme forte, extravertie et sensible. Noble jusque dans sa folie. Et un fils gêné, se débattant avec cet amour tout à la fois fusionnel et sacrificiel, porteur d’une espérance.
Le comédien fait vivre avec brio les différents personnages. Avec parfois un soupçon de cabotinage, heureusement superficiel, il habite à la fois la mère, le fils, la communauté russe, la France d’avant-guerre, l’enfance et l’âge adulte. Une prouesse artistique dans un rythme, un ton et une diction sans failles, portée par un humour dont Romain Gary écrivait qu’il avait été pour lui « tout le long du chemin, un fraternel compagnonnage » : « Je lui dois mes seuls instants véritables de triomphe sur l’adversaire. Personne n’est jamais parvenu à m’arracher cette arme, et je la retourne d’autant plus volontiers contre moi-même, qu’à travers le « je » et le « moi », c’est à notre condition profonde que j’en ai. » Le seul bémol est probablement ces musiques qui ponctuent inutilement la proposition artistique qui nous est faite.
Le spectateur se laisse mener au cœur de cette relation mère-fils ; il en ressent l’enjeu affectif, émotionnel et historique. Il est nourri par la beauté du texte, de la langue, de cet hommage incomparable à une femme, une mère. Enfin, il en sort grandi de l’intérieur, émerveillé par la nature humaine, sublime dans ses failles.
Pierre GELIN-MONASTIER
(avec Sandrina PIDOUX-JOAQUIM)
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Spectacle : La Promesse de l’aube
Spectacle vu au Lucernaire (Paris) le 3 juin 2021.
Durée : 1h10
Public : à partir de 14 ans
Texte : Romain Gary
Adaptation et interprétation : Franck Desmedt
Mise en scène : Stéphane Laporte et Dominique Scheer
Lumières : Laurent Beal
Production / Diffusion : Sea Art
Crédits photographiques : PHOTO LOT
DATES
– du 7 au 31 juillet 2021 à 18h25 : La Condition des Soies (Avignon Off) (relâches les lundis)
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