La politique d’exception culturelle appliquée aux radios musicales
Quel est l’impact des plates-formes de streaming sur la radio, canal historique de diffusion des œuvres musicales ? Une exception culturelle fondée sur l’établissement de quotas est-elle encore pertinente ? Tels sont notamment les enjeux de la recherche menée par Sarah Jacqueline Lang.
Sarah Jacqueline Lang a achevé une thèse professionnelle, dirigée par Elena Borin à la Burgundy School of Business (BSB), sur l’impact des politiques d’exception culturelle française, dans un contexte d’évolution technologique. À travers l’exemple de la diffusion de la musique par la radio, elle s’interroge non seulement sur la pertinence d’une politique des quotas à l’heure où les plates-formes de streaming se multiplient, mais également sur différents impacts tels que la diversité culturelle, la diffusion-consommation ou encore la rémunération des artistes.
Elle propose, pour la première fois, une synthèse de ses recherches dans une série de trois articles publiés en exclusivité dans Profession Spectacle.
Exception culturelle et diffusion musicale (1/3)
Radio et consommation de la musique, une relation historique
Au réveil, en voiture ou en salle d’attente, la radio incarne le média de prédilection pour la diffusion musicale. Écoutée quotidiennement par près de 43 millions d’individus de 13 ans et plus, il n’est pas étonnant que la radio représente traditionnellement le moyen préféré des Français pour écouter la musique, première motivation avant les informations et la météo.
Radios généralistes (ex. RFM) ou spécialisées (ex. Jazz Radio), comment le programme est-il géré ? Comme tout produit culturel, la diffusion de la musique ne fait pas exception et est soumise à des réglementations.
Les politiques de quotas au nom de la protection et promotion de la diversité culturelle…
En France, la culture est une question spécifique, notamment depuis son fort développement politique dans les années soixante. Les produits culturels n’étant pas des produits communs, il a été depuis convenu que la création ne peut se résoudre aux lois des forces du marché et doit être protégée afin de soutenir son financement.
Cet état de fait prend racine dans le concept « d’exception culturelle », à l’époque du développement massif du cinéma hollywoodien et des lois de libre-échange : en 1994, après presque une décennie de négociations, le GATT (l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, créé en 1947, devenu l’Organisation mondiale du commerce – OMC – en 1995) confère enfin à la culture nationale la nature d’exception dans le cadre des traités internationaux. Les pays européens menés par la France ont ainsi souhaité donner aux pays des moyens économiques pour protéger leur industrie culturelle de l’import des produits culturels étrangers.
La création juridique du terme « diversité culturelle« par l’OMC ou encore la ratification par l’UNESCO de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle (2001) ont institué à chaque signataire la liberté de protéger et promouvoir ses produits culturels dans la lignée de l’exception culturelle. Ainsi, « la diversité devient l’objectif et l’exception culturelle le moyen d’y parvenir »1.
… appliquées aux radios musicales
Le secteur de la radio est ainsi régulé en France dès 1994 avec la loi Carignon, imposant des quotas de diffusion : le régime général requiert qu’au moins 40 % du programme diffusé contienne des morceaux créés ou interprétés par des artistes français ou francophones, dont la moitié provenant de nouveaux talents ou productions (< 1 an d’existence), le tout diffusé à des heures d’écoutes significatives.
Si l’association UPFI (Union des producteurs phonographiques français indépendants) reconnaît dans Les Echos en 2016 que « la production française aurait été laminée sans les quotas », la régulation propose un double objectif, en considérant les biens culturels comme des biens publics (dans notre cas, les chansons produites par des artistes nationaux) : promouvoir la musique francophone afin de limiter la standardisation des programmes radiophoniques et la protéger des lois de l’offre et de la demande qui peuvent exister dans l’économie de la diffusion, entre les radios et les auditeurs.
En effet, avec la mondialisation, la pop culture, le partage instantané et sans frontière par internet, etc., l’industrie musicale est aujourd’hui conduite par les musiques anglophones. Quel auditeur français peut encore se targuer de ne connaître, ni voire d’apprécier, au moins une chanson d’outre-Atlantique ? Ces dernières ont ainsi une place prépondérante chez les radios et sont une source d’attractivité inévitable. Concentrer les programmes diffusés sur celles-ci représente donc une stratégie de minimisation du risque pour les radios, dans la mesure où elles sont certaines de plaire au plus grand nombre. Cependant, la diversité des programmes ne semble donc pouvoir être assurée qu’en limitant cette stratégie grâce à la régulation (la musique française étant jugée plus « risquée »).
Pour répondre à cette inquiétude, les auteurs avancent même que les quotas permettraient à la production nationale d’être plus captive : par l’augmentation de la diffusion des musiques françaises, il y a incitation à plus de création française en parallèle d’une adaptation des goûts des auditeurs ; attirant en conséquence plus de financements ; incitant à nouveau à plus de création, tel un cercle vertueux.
Face à la réalité du marché, des effets ambigus
Cependant, il est très vite apparu que ce cercle vertueux a laissé les professionnels de la radio prudents, dont la stratégie s’est à nouveau tournée vers une minimisation du risque. Dans la pratique, un effet appelé « taux de rotation »2 va décroître finalement la diversité au profit d’une fréquence plus concentrée sur une poignée de chansons françaises, jugées les plus prospères, afin d’atteindre les quotas. Par exemple, les radios les plus populaires telles que NRJ ou Skyrock ont ainsi fondé jusqu’à 75 % et 67 % de leurs diffusions mensuelles sur seulement… dix titres !
Défi raté pour les autorités, qui ont répliqué en 2016 par le durcissement de la loi : la diffusion concentrée sur dix chansons nationales et dépassant la moitié du quota requis (pour rappel, 40 % de la diffusion totale) n’est plus prise en compte pour son calcul. Cette nouvelle étape dans la bataille a surtout mis en lumière un effet jusque-là ignoré : les genres et langues sont imparfaitement substituables.
Par ailleurs, la réglementation semble relativement éloignée de la réalité de la création française, dans la mesure où un artiste français performant en langue étrangère n’est pas considéré dans le calcul des quotas. C’est pourquoi certains pensent qu’il est aujourd’hui désuet de ne pas prendre en compte que plus de 80 % de la musique produite par les labels français est en anglais. Ce dispositif semble donc « trop enfermé dans une logique d’exception culturelle au détriment de la diversité culturelle »3.
Si la notion d’exception culturelle est noble pour la musique française, le domaine de la radio ne peut pas, ou plus, se permettre d’ignorer les forces extérieures, liées à l’évolution du domaine.
Sarah Jacqueline LANG
Notes
1 Farchy J. (2008), « Promouvoir la diversité culturelle. Les limites des formes actuelles de régulation », Questions de communication, n°13, pp. 171-195.
2 Perona M. (2011), « Comment les quotas de diffusion radiophonique nuisent à la diversité », Revue économique, vol.62, n°3, pp. 511-520.
3 Mouron P. (2014), « Les langues dans le droit de l’audiovisuel », L’Europe des langues, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, pp. 101-114.
Bonjour, je suis très gêné par l’assimilation de l’exception culturelle et de la diversité culturelle qui est une notion fondatrice du patrimoine de l’humanité et, seulement à titre secondaire, une question de marché. La lecture de la déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001 aurait pu éviter ce détournement de sens, qui pour être fréquent, n’en est pas moins malheureux au regard de l’enjeu culturel posé par les droits culturels.Dommage