La jeune Scène nationale de Toulon sombre dans la folie
Chaque année, le Liberté, scène nationale de Toulon dirigée par Charles Berling et Pascale Boeglin-Rodier, organise des Théma bimestriels autour de thèmes inspirés des propositions artistiques de la saison ou de sujets de société. Jusqu’à fin novembre, c’est celui de la folie qui sera abordé, à travers une douzaine de spectacles, neuf films, trois expositions, neuf rencontres et trois conférences. L’intitulé, repris à Raymond Devos, dévoile clairement la ligne : « La raison du plus fou est toujours la meilleure ».
Si la liberté est une quête intemporelle, le Liberté, lui, est bien jeune. Sa récente histoire commence dans les années 2000, lorsque Hubert Falco, maire LR de Toulon, décide de créer un lieu culturel et pluridisciplinaire au cœur de sa ville. À sa demande, les architectes conçoivent trois salles : la première, dédiée à Albert Camus, compte 700 places avec une fosse d’orchestre ; la seconde, modulable et portant le nom de Fanny Ardant, peut accueillir 130 personnes ; la dernière, baptisée Daniel Toscan du Plantier, est consacrée au cinéma.
À la conquête des publics…
Pascale Boeglin-Rodier et Charles Berling en prennent la direction en 2010, pour une première saison en 2011-2012. « Il n’y avait pas de théâtre à Toulon, se souvient Pascale Boeglin-Rodier, ancienne administratrice du théâtre national de Chaillot (1998-2001) puis de l’Opéra-Comique (2001-2010). Nous ne voulions pas créer une scène nationale similaire aux autres. Nous voulions inventer, développer une habitude pour le public… Ce fut exaltant, car nous avions une page blanche devant nous. »
La conquête d’un public tenu à distance du théâtre pendant de longues années les conduit à multiplier les innovations originales : une programmation hors-les-murs au cours du mois de juin, la 4e scène, les billets suspendus, les Théma…
Trois scènes… plus une.
Chaque année en juin, le Liberté franchit les murs de son enceinte pour gagner la basse-ville, afin de proposer à tous les habitants des spectacles de rue, des concerts et du cinéma. En juin dernier, il a même investi les plages du Mourillon en proposant trois concerts électro qui ont rassemblé près de 50 000 personnes. Au programme : le Toulonnais Kungs, le natif de Biot Feder et le duo parisien Ofenbach.
L’intuition la plus intéressante est probablement la création, dès l’ouverture du Liberté, de la 4e scène, rassemblant l’ensemble de l’activité liée à l’image, à la vidéo et au numérique. « Ce n’est pas une scène en dur, mais un espace de création, d’accueil et de diffusion, explique Pascale Boeglin-Rodier. Dans l’organigramme, nous avons une équipe entièrement consacrée à la quatrième scène : vidéastes, techniciens… Cela aboutit par exemple à la réalisation de films, notamment tournés par des lycéens et collégiens, dans le cadre de Théma portant sur des sujets de société. » Certains courts-métrages, tournés par des jeunes et encadrés par les équipes de la 4e scène, ont été ainsi vus plus de deux millions de fois sur YouTube.
Des Théma pluridisciplinaires et souples
Le mélange des disciplines et l’ouverture à des publics toujours plus importants sont précisément à l’origine des Théma. Chaque saison, quatre thématiques sont abordées à travers des expositions, des spectacles, le cinéma, des tables rondes et des projets participatifs. « Nous avons inventé les Théma pour cela, parce que nous voulions un lieu pluridisciplinaire. Charles [Berling, NDLR] et moi sommes des personnes parfois impatientes. Il faut parfois des mois pour mettre en œuvre un projet ; la temporalité est souvent lente. Les Théma sont créés dans un temps relativement court. Nous bouclons parfois le programme quelque quinze jours avant le début. »
Les sujets sont variés, tantôt liés à l’actualité, au politique, tantôt plus artistiques, voire « farfelus ». Un théma est annuellement consacré à un sujet de discrimination : « Ève n’a pas dit son dernier mot », sur la place de la femme dans la société (2016), « Dignité » qui abordait les questions liées au racisme, à la précarité, aux migrants, l’an dernier… En perspective pour l’année 2018, la problématique du « fric ».
Théma : un parcours pour l’artiste
Vient de s’ouvrir, le 16 septembre, un théma sur la folie, dont le titre est repris à Raymond Devos : « La raison du plus fou est toujours la meilleure ». L’idée est venue avec la création du dernier spectacle de Zabou Breitman, produit par le Liberté : Logiquimperturbabledufou. Chaque artiste invité en ce début de saison est appelé à contribuer au théma en proposant un film, voire une playlist pour la douche sonore dans le hall, sur le sujet travaillé. Zabou Bretiman présentera ainsi Se souvenir des belles choses, comédie qu’elle a coécrite et réalisée, avec Isabelle Carré, Bernard Campan et Bernard Le Coq.
« Ces Théma sont une façon de proposer aux artistes un parcours, confirme Pascale Boeglin-Rodier. Cela crée un lien supplémentaire, avec le lieu et avec le public. Il y a comme une synergie qui émerge de ces différentes propositions. »
Sedef Ecer, qui met en scène E-passeur.com, a choisi Head-on de Fatih Akin ; Pauline Bayle, qui joue dans Clouée au sol, a opté pour Une femme sous influence de John Cassavetes ; Valeria Bruni Tedeschi viendra présenter Folles de joie de Paolo Virzi… Deux films d’animation sur le thème de la folie seront par ailleurs proposés aux enfants.
Tous les fous sont-ils artistes… ou le contraire ?
Une table ronde – « Tous les artistes sont-ils fous ? » – et quatre expositions complètent cette proposition artistique atypique : la photographie avec Epectase, la vidéo avec Moussa Sarr et la peinture avec René Caussanel – triple exposition à laquelle il faut ajouter un quatrième, hors-les-murs, dans cinq lieux du centre-ville : des œuvres de patients du centre hospitalier de Pierrefeu-du-Var.
« Nous essayons toujours, à chacune des problématiques traitées, d’inviter des habitants du territoire, insiste Pascale Boeglin-Rodier. Nous voulons d’abord mettre en avant ce qui se fait chez nous. Étant donné qu’il y a un atelier d’arts plastiques dans le centre hospitalier de Pierrefeu, il nous a semblé intéressant d’exposer les œuvres réalisées dans ce cadre. Cela pose également la question : est-ce que c’est de l’art ou non ? »
Dès la création, le théâtre fut soutenu par les quatre tutelles : l’État, la région, le département et la ville. En 2015, Le Liberté ad experimentum a obtenu le précieux label « scène nationale » – preuve que le travail de création artistique et les actions auprès des différents publics appartiennent bien à la mission de service public.
Photographie de Une – Logiquimperturbabledufou (crédits : Vincent Bérenger / Le Liberté, scène nationale de Toulon)