« La guerre des salamandres » : l’équation tradition et modernité de Robin Renucci
Robin Renucci met en scène une œuvre d’anticipation, La Guerre des salamandres (1936) de Karel Čapek, et clôt un cycle entamé il y a trois ans par Les Tréteaux de France qu’il dirige. Une mise en scène indissociable du projet artistique et politique de ce centre dramatique national à part dans le théâtre français.
L’itinérance. L’empreinte des Tréteaux de France. Une itinérance perpétuelle qui revient indéfiniment au kilomètre zéro. À l’image de sa troupe, toujours à sillonner les lieux où l’offre culturelle ne va pas de soi, avec son QG à Aubervilliers. Un mouvement double qui fait de chaque projet des planètes indépendantes les unes des autres tout en gravitant autour du même astre : un théâtre artistique et politique.
La Guerre des salamandres s’inscrit dans cette itinérance ancrée. D’abord parce qu’elle est le dernier opus d’un cycle thématique dédié au travail, à la richesse et à la création de valeur. En sous-texte de ce cycle, il faut lire un engagement pour donner à voir les ravages du capitalisme débridé sur l’humain. Chacune des pièces de cette programmation 2015-2018 éclaire les autres et amène le spectateur qui chemine avec Les Tréteaux à approfondir cette question en suivant des ateliers, des rencontres avec les artistes, etc. On retrouve là une fidélité des Tréteaux à l’éducation populaire, laquelle est un cap depuis leur création en 1959 par Jean Danet.
Une fable dystopique
Dans cette cohérence, chaque création possède ses singularités fortes. L’Avaleur de Jerry Sterner (2017) donnait à voir une bande-dessinée vivante. Le Faiseur de Balzac (2014) touchait à la fresque historique baroque. La Leçon de Ionesco en 2014 conjuguait l’absurde à une esthétique très contemporaine, etc. Pour La Guerre des salamandres, la singularité repose sur le genre de l’anticipation façon Orwell ou Huxley avec la légèreté humoristique en plus. Si cette double entrée brouille la force de dénonciation, elle offre l’avantage de dédramatiser des sujets tragiques.
Un riche entrepreneur, par l’intermédiaire d’un capitaine aventurier – truculent Gilbert Epron –, découvre et exploite le potentiel des salamandres qui vivent entre terre et mer. Celles-ci passent rapidement du statut d’esclave à celui de colonisateur. La trame est simple. La fièvre des journalistes, scientifiques, politiques et spéculateurs de cette première moitié du XXe siècle résonne étrangement avec ce début de XXIe siècle et avec les récits d’apprentis sorcier et autres Cassandre en matière d’intelligence artificielle, de transhumanisme, de robotisation… Il faut dire que l’auteur, Karel Čapek, est un homme de lettres visionnaire… qui utilisa le premier le terme de robot.
Noblesse de l’artisanat théâtral
L’adaptation de son texte – par la dramaturge Evelyne Loew – souligne la mise en garde du mariage de déraison entre découvertes humaines et spéculation. La scénographie de Samuel Poncet et les costumes de Jean-Bernard Scotto nous guident clairement vers un univers à la Jules Verne et à la Fritz Lang (Metropolis), daté et connoté au point d’entamer la charge poétique. Les trouvailles de mise en scène viennent compenser : bruitage à vue d’une scène aquatique avec tuba, bac à eau et scie musicale ; multi-usage d’une « table-monde » massive au centre de la scène, à la fois plateau de jeu, table de réunion, bureau ; chœur aggloméré autour d’une chaire… Robin Renucci célèbre la noblesse de l’artisanat théâtral, mission de service publique en bandoulière.
Sur scène, les comédiens jouent, chantent et se livrent à du bruitage. L’artisan comédien est pluriel aux Tréteaux. Certains (puristes, souvent) regretteront le classicisme de la direction d’acteurs. Celle-ci, comme le parti pris d’ensemble, reste une main généreusement tendue vers les publics éloignés du théâtre qui peuvent le redouter, voire le mépriser. Au-delà de leurs formes, c’est aussi à cette aune qu’il faut recevoir chaque nouvelle création des Tréteaux de France.
Spectacle : La Guerre des salamandres
- Création : juillet 2018 au festival Villeneuve
- Durée : 1h40
- Public : à partir de 12 ans
- Langue : français
- Texte : Karel Čapek
- Adaptation : Evelyne Loew à partir de la traduction de Claudia Ancelot
- Mise en scène : Robin Renucci
- Avec : Judith d’Aleazzo, Solenn Goix, Julien Léonelli, Sylvain Méallet, Henri Payet en alternance avec Gilbert Epron, Julien Renon, Chani Sabaty
- Scénographie : Samuel Poncet
- Objets/accessoires animés : Gilbert Epron
- Lumières : Julie-Lola Lanteri-Cravet
- Costumes et perruques : Jean-Bernard Scotto assisté de Judith Scotto et Cécilia Delestre
- Bruitages : Judith Guittier
- Assistante mise en scène : Karine Assathiany
- Direction technique : Éric Proust et Émile Martin
Crédits photographiques : Christophe Raynaud de Lage et Jean Christophe Bardot
En téléchargement
OÙ VOIR LE SPECTACLE ?
Spectacle vu le 25 octobre 2018 à la Maison des métallos (Paris)
- Dimanche 13 janvier 2019 : La Tuilerie à Bédarieux (34)
- Jeudi 17 janvier : Castelnaudary
- Samedi 19 janvier : espace culturel Des Corbières à Lezignan-Corbières (11)
- Mardi 29 janvier : TAP à Poitiers
- Vendredi 1er février : L’arc – scène nationale du Creusot
- Vendredi 8 février : salle des fêtes de Gisors (27)
- Mardi 19 février : théâtre des Sources à Fontenay-aux-Roses (92)
- Jeudi 21 mars : ATAO – théâtre d’Orléans
- Vendredi 29 mars : Carré Sam à Boulogne-sur-Mer
.
Découvrir toutes nos critiques de spectacles