La compagnie des Matapestes : des clowns pionniers de la gouvernance démocratique
La compagnie de clowns « Les Matapestes » existe depuis bientôt 40 ans à Niort. Elle a tourné dans plus de 50 pays et prône l’importance du rôle social du clown dans la société. Elle a innové bien avant la majorité des acteurs culturels en se lançant dans un modèle d’économie sociale et solidaire (ESS) plus complet en 2006. La mise en pratique de l’ESS fait écho à sa conviction que le clown, par nature, est au-delà des modes et des hiérarchies.
Forte de nombreuses créations propres ou avec des clowns d’autres pays, la compagnie Les Matapestes revendique son origine dans l’éducation populaire, qu’elle perpétue grâce au Patronage laïc, lieu qu’elle occupe et gère depuis 30 ans, via une convention avec la ville de Niort. Les enfants, jeunes et adultes y sont les bienvenus, pour des ateliers et activités de toutes sortes.
Influence de l’éducation populaire
Le lien entre cette compagnie et l’économie sociale et solidaire s’exprime dans la démarche éthique et démocratique de sa gestion.
En 2003, l’équipe décide de créer « Le Très Grand Conseil Mondial des Clows », qui réunit des clowns du monde entier à Niort. L’ampleur de leurs activités les amène à favoriser le caractère démocratique de la gouvernance en quittant le statut associatif, forcément dépendant de décisionnaires parfois loin des réalités des activités de la compagnie. « Nous avons fait ce choix là parce qu’à un moment de notre développement, la forme associative ne nous convenait plus, explique Francis Lebarbier, un des clowns co-fondateurs des Matapestes. Non pas que nous étions contre, mais parce qu’on devenait des gérants de fait, sans en avoir les décisions ».
Et d’ajouter que « le système associatif est très bien, il permet à des tas de personnes de démarrer, mais le conseil d’administration peut être un problème au bout d’un moment ». D’autre part, le Patronage est un lieu collectif, dans l’esprit de l’ESS. « Très vite, nous voulions faire de ce lieu un outil de partage en l’ouvrant aux compagnies amateurs et professionnelles de Niort et de la région, toutes disciplines confondues. »
Ouvert pour des répétitions ou des ateliers, une quarantaine d’utilisateurs réguliers partagent ce lieu de vie. « La notion de partage, de simplicité et de curiosité est importante, l’éducation populaire nous a aussi appris cela », déclare Francis Lebarbier. Le tarif de location est bas, fixé par la ville ; la compagnie met également à disposition des autres du matériel de son et lumière.
La compagnie participe ainsi d’une vision au sein de laquelle les droits culturels des participants sont respectés, en leur offrant la liberté et la possibilité d’exprimer, de partager et de transmettre leur identité culturelle, individuellement et en commun.
Un plongeon dans l’ESS grâce à la création d’une SCOP
Quand, en 2006, la compagnie décide de passer du statut associatif à une société coopérative ouvrière de production* (SCOP), elle fait office de pionnier : ce changement reste assez innovant et leur permet de rejoindre véritablement le monde de l’économie sociale et solidaire. « Encore aujourd’hui l’ESS reste rare dans le milieu de la culture, déplore Francis Lebarbier. À l’époque, on pensait même que d’autres compagnies allaient se lancer dans l’aventure, mais en réalité, aucune n’a franchi le pas. Cela commence à se répandre dans le milieu culturel mais ce n’est pas encore courant. »
La pratique collective se manifeste par la mise en place d’associés qui prennent des parts dans la SCOP. « À la différence d’une société privée, nous ne touchons pas de dividendes, tout est reversé au pot commun. Ensuite, chaque année, une part nous revient ; on peut alors décider de la toucher ou non, mais généralement elle reste dans le pot commun. Au niveau du mode de gouvernance, il y a un gérant officiel, Hugues Roche, qui est clown, puis nous avons des réunions hebdomadaires pour prendre des décisions ensemble sur les grandes lignes », détaille-t-il.
Contraintes d’une transformation en coopérative
Le fonctionnement d’une SCOP permet à la compagnie de s’inscrire davantage dans l’ESS, mais ce n’est pas sans certaines contraintes, que toutes les associations ne sauraient assurer. Si une compagnie souhaite franchir le pas, il faut réunir quelques conditions « et il n’y a pas toujours les moyens », assure le co-fondateur des Matapestes.
« Une compagnie est une très petite entreprise (TPE) avec un employé et demi maximum, à mi-temps ou intermittent. » Or, pour passer en SCOP, il faut que le gérant soit un permanent en CDI. « Les compagnies n’ont pas toujours les moyens de payer un permanent, explique-t-il. Ce qui représente donc un frein. En 2006, nous avons rendu les six postes administratifs, techniques et artistiques permanents. J’ai été clown permanent pendant sept ans, mais les aléas des baisses de budget de la culture ont fait que j’ai basculé à nouveau dans l’intermittence ». Il faut donc avoir les moyens d’assurer des rémunérations fixes et durables pour gagner le droit d’une gouvernance démocratique et solidaire.
Les changements majeurs observés par la compagnie depuis son passage à l’ESS se situent surtout sur le plan de la gestion financière, et surtout sur celui de la gestion collective, qui améliore la cohésion et la direction des activités en temps réel. Une composante qui convaincra peut-être d’autres associations à s’orienter davantage vers la pratique ESS…
Louise ALMÉRAS
* SCOP : Sociétés coopératives et participatives, désignent les entreprises à statut Scop (Société coopérative de production) et à statut Scic (Société coopérative d’intérêt collectif). Soumises à l’impératif de profitabilité comme toute entreprise, elles bénéficient d’une gouvernance démocratique et d’une répartition des résultats prioritairement affectée à la pérennité des emplois et du projet d’entreprise (en savoir plus).
Photographie à la Une – Crédits : Petit de Clowns
Affiche – Crédits : Jonny Berouette