Juste les réflexions d’un mec de gauche…

Juste les réflexions d’un mec de gauche…
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Impréparation, improvisation, confusion et valse des egos, voilà le programme commun de la gauche pour les élections présidentielles 2022.

Arrêt Buffet

Alors d’abord, soyons clairs, je ne suis pas journaliste politique, politicien, politologue. Je ne suis membre d’aucun parti. Cette chronique me permet simplement d’évoquer avec vous les questionnements d’un mec qui vote à gauche depuis des décennies*. Et qui, comme beaucoup d’entre nous, ne comprend pas, avec la meilleure volonté du monde, ce qui se passe ou plutôt ce qui ne se passe pas à gauche, à quelques semaines de l’élection présidentielle.

Commençons par une petite histoire…

Sonnerie de téléphone. Georges décroche.

Georges – Allô ?

François – Bonjour Georges, c’est François !

Georges – Ah ! Salut ! Ça fait plaisir de t’entendre ! Tu vas bien ?

François – Très bien, merci. Et toi ?

Georges – Ça va, merci. Et Danièle, comment elle va ?

François – Elle va bien. Et Liliane ?

Georges – Tout va bien !

François – Tant mieux ! Dis-moi Georges, je voulais te parler d’un truc…

Georges – Je t’écoute…

François – C’est pour l’élection présidentielle…

Georges – Ah, c’est vrai, y a ça cette année !

François – Eh oui…

Georges – C’est quand ?

François – Le premier tour, c’est le 26 avril…

Georges – Non, je te crois pas !

François – Dans trois mois…

Georges – Ah, la vache ! Le temps passe… Je voyais ça plus loin…

François – Je me disais… Si on faisait un programme commun… Qu’est-ce que tu en penses ?

Georges – C’est pas con… Ça va pas prendre trop de temps ?

François – On pourrait se faire un petit week-end à Château-Chinon, je connais un hôtel « Au vieux Morvan »…

Georges – C’est une bonne idée mais…

François – Mais quoi ?

Georges – T’as oublié Robert…

François – Ah oui, c’est vrai ! C’est pas grave, si t’es d’accord, je l’appelle dans la foulée…

Georges – Bien sûr que je suis d’accord ! Faut que j’en parle avec Liliane…

François – Pourquoi ?

Georges – Quoi pourquoi ? Je comprends pas ta question…

François – Je pensais qu’on irait tous les trois… Robert, toi et moi…

Georges – Entre hommes ?

François – Oui…

Georges – C’est encore mieux ! Comme ça, on aura tout le temps de parler du menu commun…

François – Le programme commun, Georges, le programme commun…

Alors bien sûr, entre François Mitterrand, Georges Marchais et Robert Fabre, ça ne s’est pas du tout passé comme ça, mais alors pas du tout. Le programme commun a vu le jour en juin 1972 et a explosé en plein vol en septembre 1977, à quelques mois des législatives de 1978. Eh oui, la gauche a toujours eu ce don particulier pour fabriquer des machines à perdre à quelques mois d’élections cruciales. Les trois formations politiques se sont présentées en ordre dispersé, à chacun ses candidats et candidates. Comme de bien entendu, entre les deux tours, les trois formations ont conclu des alliances de circonstances. Et comme c’était couru d’avance, Giscard a gagné. Enfin, la majorité présidentielle. Bien joué ! Car en 1978, ces élections législatives semblaient imperdables pour la gauche.

Mais l’idée de voter pour un autre candidat, pour un autre parti s’est diffusée, a gentiment infusé dans l’esprit des électeurs et des électrices de gauche. En 1981, pour l’élection présidentielle, François Mitterrand a repris une grande partie du programme commun pour l’insérer dans ses fameuses 110 propositions.

Au premier tour de l’élection présidentielle de 1981, Georges Marchais (PC) obtient 15,35 % des votes exprimés et François Mitterrand (PS), 25,85 %. Plus de 41 % à eux deux. Ça laisse rêveur… Georges Marchais appelle à voter François Mitterrand au second tour. Nous connaissons le résultat final.

Victoire du PS. Ou plutôt victoire de la gauche avec un gros coup de pouce, en coulisses, de Jacques Chirac. Qui, lui, avait ce don particulier de fabriquer des machines à faire perdre les autres. Qui marchaient très bien car il les avait longtemps testées sur lui-même.

C’était une union politique. Une union à la Florentine avec une dague dans le dos prête à surgir au moindre faux pas. Mais ça a marché. Avec le recul de plusieurs décennies, on peut penser à juste titre que le Parti communiste a beaucoup perdu dans cette union. Georges Marchais pensait plumer le Parti socialiste. Il s’est vite retrouvé une main devant, une main derrière. Mais la chute du PC est également liée au fait qu’il n’a pas suffisamment anticipé et compris les changements sociaux au sein de notre société. Le délitement de la classe ouvrière, le culte de l’individualisme, le sacre de la société de consommation, la réussite sociale érigée en but ultime de l’existence.

Quand on y pense, en se permettant une comparaison estampillée années 1970, Georges Marchais et François Mitterrand, c’est Danny Wilde et Lord Brett Sinclair. Tout les séparait. Absolument tout. Et pourtant, ils sont arrivés à trouver des points de convergence.

Mais ils n’ont pas entamé le dialogue trois mois avant l’élection présidentielle…

Alors pourquoi nous, quatre décennies plus tard, nous retrouvons-nous dans une telle situation ? Un tel bazar ! Pourquoi les partis de gauche n’arrivent-ils pas à dégager une candidature unique ? Parce qu’ils ont quand même eu cinq ans pour préparer cette élection présidentielle. On ne peut pas dire qu’ils ont été pris au dépourvu. On peut en faire des choses en cinq ans ! À commencer par organiser des réunions. Dans un esprit de concertation. De dialogue. Ouvrir des négociations. Mais rien n’a été fait. Rien ! Chacun est resté dans son couloir. Chacun pour soi et les subventions publiques pour tous. À croire que les partis de gauche privilégient davantage leurs intérêts propres que l’intérêt général.

Ces candidatures de dernière minute et cette primaire populaire ressemblent à une triste farce. Comme si on pouvait se présenter à l’élection présidentielle, à la dernière minute, sans parti, sans programme. Cette primaire populaire est un vrai piège. Sûrement conçue, je l’espère, avec de bonnes intentions. Mais un piège redoutable. Tous les candidats, à part Christiane Taubira, refusent d’y participer. Prenons un cas de figure, Yannick Jadot arrive en tête. Qu’est-ce qu’il peut faire ? Refuser le résultat. Auquel cas, il s’assoit sur le vote de plusieurs centaines de milliers de personnes. C’est pas génial à quelques mois de l’élection. Ou alors, malgré ce qu’il a déclaré auparavant, il accepte le résultat. Au risque de passer pour un opportuniste, une girouette, sans conviction mais avec beaucoup d’ambitions. C’est pas super à quelques mois de l’élection.

Toute cette improvisation, cette confusion, cette impréparation donnent une image désastreuse de la gauche. Ce qui est pire que tout, ce sont ces faux appels à l’union… Y. Jadot à l’automne dernier. C. Taubira, il y a quelques semaines.

Hypocrisie, médiocrité et mesquineries, voilà le programme commun des partis de gauche pour l’élection présidentielle 2022.

Les hommes et les femmes politiques de gauche passent plus de temps à se critiquer entre eux qu’à critiquer le camp d’en face. C’est quand même incroyable après les cinq ans que nous venons de vivre avec la casse sociale, la casse du service public, une arrogance et un mépris rarement atteints au sommet de l’État (et pourtant, avec Nicolas Sarkozy, on pensait avoir touché aux limites du genre), c’est quand même incroyable que les partis de gauche ne soient pas parvenus à une plate-forme commune avec une candidature unique.

Parce qu’il faut expliquer aux électeurs et aux électrices de gauche pourquoi la France insoumise, Europe écologie les Verts, le Parti communiste et le Parti socialiste parviennent à des accords, à des unions pour les élections municipales et régionales et pas pour la présidentielle, si ce n’est pas pour préserver des intérêts de boutique et ménager les egos des leaders ! Et faut aussi expliquer aux gens de gauche pourquoi les « appareils » sont déjà en train de conclure des accords pour les prochaines législatives ? Après la présidentielle. Pas de groupe à l’Assemblée nationale est égal à plus d’argent dans les caisses.

En parlant du nerf de la guerre, Fabien Roussel et Anne Hidalgo, qui plafonnent depuis des mois en dessous des 5 %, seuil de remboursement pour les frais de campagne, vont-ils encore longtemps jouer avec le feu ? On pourrait presque croire que ces deux partis ont besoin de présenter un candidat à la présidentielle pour légitimer les futures candidatures aux prochaines législatives.

Si ça continue sur ce tempo, les partis de gauche vont se faire balayer au premier tour. Grains de poussière aux pourcentages dérisoires. L’ego des uns contre le besoin d’égalité des autres. Parvenir à ce résultat après cinq années de présidence Macron, cinq années de start-up Nation, c’est un sacré tour de force !

Chapeau, les artistes ! Chapeau bas ! Aussi bas que vos sondages. On se revoit dans cinq ans. D’ici là, ça vous laisse le temps de préparer les accords et les unions pour les élections intermédiaires. Ne changez rien ! On ne change pas une équipe qui perd aussi brillamment. Avec autant de panache et de désinvolture vis-à-vis de ses électeurs et électrices.

Ne changez rien, revenez avec les mêmes, ne préparez pas la relève. Grâce à vous, dans cinq ans, on aura droit au second tour de la présidentielle à un beau duel entre Valérie Pécresse et Éric Zemmour, ça serait bête de manquer ça…

Philippe TOUZET

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* Les tribunes de nos chroniqueurs n’engagent évidemment que leurs auteurs, et non l’ensemble de la rédaction.

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Auteur de théâtre, scénariste de fictions radio, président des Écrivains associés du théâtre (E.A.T) de 2014 à 2019, Philippe Touzet tient une chronique bimensuelle dans Profession Spectacle depuis janvier 2021, intitulée : « Arrêt Buffet ».



 

 

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