Isabelle Huppert, l’actrice française du moment, en Une des Cahiers du Cinéma
Isabelle Huppert est probablement l’actrice française la plus à l’honneur en France et à l’étranger depuis de longs mois. Preuve que ses choix payent ! Capable de jouer sous la direction d’un réalisateur connu ou de s’investir dans des premiers longs-métrages qu’elle estime intéressants, Isabelle Huppert fait toujours preuve de goût et de discernement. Il n’était dès lors pas étonnant que Les Cahiers du Cinéma la choisissent pour sa Une : édito & sommaire de ce numéro sorti hier en kiosques.
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Édito – « Cannes, le retour » de Sébastien Delorme
Les festivals se suivent et ne se ressemblent pas. L’an passé nous étions cinglants tant la sélection officielle nous avait déçus par ses décisions malheureuses. Cette année la compétition a tenu son rang. La rédaction s’est choisie deux Palmes d’or à l’unanimité. Elle de Paul Verhoeven, vertigineux sous tous ses aspects, d’une souplesse de fauve, bondissant d’un genre à l’autre, du rire à l’effroi, avec une classe phénoménale. Et Toni Erdmann de Maren Ade, dont nous attendions beaucoup après Everyone Else (2009), qui nous a émerveillés par son humour, sa nonchalance et son jusqu’auboutisme, poussant jusqu’au délire la relation aimante entre un père et sa fille. Il faut ajouter le foudroyant The Neon Demon, mais aussi Aquarius, Paterson, Loving, Julieta, Ma Loute, Rester vertical, Juste la fin du monde. Soit la moitié de la compétition.
Le palmarès, à côté de la plaque, aura été à l’opposé de ce qui se disait sur la Croisette, et, il faut le préciser, pas seulement parmi les critiques mais dans le public et l’industrie. Le favori Toni Erdmann a été autant ovationné en projection officielle qu’en projection de presse. À l’inverse I, Daniel Blake (encore une fois le naturalisme triomphe à Cannes !) est à peine intervenu dans les discussions de terrasse tant ce film pas désagréable, plutôt un bon Loach, relevait de la routine pour le recordman de sélection en compétition (13). Ce jury très conservateur aura donc récompensé les « films à scénario », à rebours de l’intelligence éclatante de la mise en scène de Verhoeven, Maren Ade ou Refn. Loach, Mungiu (ironiquement Prix de la mise en scène pour un film reposant sur un scénario habile), Farhadi deux fois (scénario et actrice), et même Dolan, dont le psychodrame adapté de Jean-Luc Lagarce a dû toucher la corde sensible d’un jury jurant par la famille : famille recomposée idéale du Loach, décomposée de Dolan, Farhadi, Mungiu. Les prix d’interprétation sont logiquement allés à des acteurs transparents, convoyeurs du scénario (Jaclyn Jose et Shahab Hosseini), comme un rejet violent de tout acteur artiste – Isabelle Huppert, Sonia Braga ou Adam Driver.
Le triomphe de Toni Erdmann, le film le plus remarqué du festival, est un encouragement majeur pour l’avenir. Une grande bouffée d’air qui rappelle que le festival sert d’abord à changer le destin d’un cinéaste et pas seulement à nous donner des nouvelles des grands auteurs. Sa réalisatrice de 39 ans met (enfin !) sur le devant de la scène une génération maintenue souvent de force dans le petit bassin. Le refus du film formidable d’Antonin Peretjatko, La Loi de la jungle, qui sort ce mois-ci, par les trois sélections cannoises, en est une preuve supplémentaire. Or le succès de Toni Erdmann vient aussi du fait que c’est une comédie : on n’ose imaginer les croulements de rire devant une farce aussi franche que La Loi de la jungle s’il avait été sélectionné en compétition. Car contrairement à ce qu’on peut imaginer, le public du festival est le plus chaud du monde pour les comédies. Espérons que sont passés de mode les films glauques au sérieux de pape filmés à coups de marteau.
Pendant tout ce festival un esprit veillait sur nous. Elle était à la fois en pleine lumière dans le film le plus festif de la compétition, et à la fois faufilée en douce, passagère clandestine de ce festival où elle est venue tant de fois. Isabelle Huppert venait présenter le film de Verhoeven. Comment George Miller n’a-t-il pas vu que la guerrière de Mad Max était la sœur de l’héroïne de Elle, notre Furiosa française ? Elle venait aussi tourner en toute discrétion le nouveau film de Hong Sang-soo selon le programme spontané du maître coréen. Le secret a été éventé au bout de quelques jours par les médias coréens mais les deux complices ont eu l’air de s’amuser de jouer au chat et à la souris. Ce grand écart entre Verhoeven et Hong Sang-soo mettait en valeur l’absence de souci de carrière d’une actrice avançant au coup de cœur, répondant présente aux aventures qu’on lui propose. Il fallait l’interroger longuement, passer du temps avec elle, pour comprendre (autant soit peu) le mystère de son jeu, et simplement le mystère du jeu. Isabelle Huppert, avec beaucoup d’attention, de modestie et de lucidité, énonce des formules essentielles qui lèvent un voile extrêmement précieux sur son art d’actrice.
Sommaire du numéro de juin