Interview. Pawel Pawlikowski et son voyage sentimental sous Staline
Oscarisé pour Ida, le réalisateur polonais Pawel Pawlikowski a vu son nouveau film sortir mercredi 31 octobre dernier en France : Cold War, présenté en compétition au 71e festival de Cannes, a été le premier film de l’artiste en compétition officielle pour la Palme d’Or.
Synopsis – Pendant la guerre froide, entre la Pologne stalinienne et le Paris bohème des années 1950, un musicien épris de liberté et une jeune chanteuse passionnée vivent un amour impossible dans une époque impossible.
Entretien avec Pawel Pawlikowski.
Pourquoi l’Europe de l’après-guerre est-elle un terreau si fertile pour une histoire d’amour ?
Il y avait beaucoup d’obstacles à l’époque ; lorsque l’on tombait amoureux, il fallait tous les surmonter. Pour moi, c’est difficile de raconter une histoire d’amour contemporaine, car les gens sont très distraits, il y a trop de téléphones, d’images, de pollution sonore. On n’a plus l’occasion de regarder simplement quelqu’un dans les yeux et de tomber amoureux. A l’époque de Cold War, les choses étaient plus simples, il y avait moins de distractions. Les gens étaient peut-être plus profonds, ils y étaient obligés car il y avait moins de divertissement. Je ne suis évidemment pas nostalgique par rapport au stalinisme, mais à l’époque, il y avait une sorte de clarté, de simplicité. Mais la nostalgie n’est pas le moteur du film. C’est plutôt une sorte de voyage sentimental. Quand vous cherchez des images et des sons, les idées surgissent toujours un peu du passé, des souvenirs.
Comment avez-vous travaillé avec les deux interprètes du couple au cœur du film ?
J’ai essayé d’écrire le scénario en images, sans décrire exactement ce qui se passait. Je voulais qu’au moment d’aborder le tournage, on puisse vraiment sculpter les images, le noir et blanc. Je ne voulais pas que le scénario se résume uniquement aux dialogues, mais que les différentes scènes fonctionnent sur le plan graphique avec une caméra très mobile. Et puis, je voulais que le film frappe par son aspect visuel, donc nous avons passé beaucoup de temps sur chaque prise avec le directeur de la photographie Lukasz Zal. Nous n’avons pas fait énormément de prises, mais nous les avons beaucoup travaillées, en recadrant en permanence. Et les acteurs ont été d’une certaine manière les victimes de ce processus car ils ont dû parfois beaucoup attendre pour qu’on peaufine le tout. Mais ce qui est palpitant avec le cinéma, c’est qu’on peut tout travailler en même temps : les images, le son, les acteurs. Ce n’est pas comme si on avait un scénario qui était traduit d’un coup en images, avec des prises courtes. C’est parfois douloureux, mais je pense que cela vaut la peine de lutter et de travailler de cette façon.
Pourquoi ce choix des deux pays où se déplace l’intrigue à partir de la Pologne : la France et la Yougoslavie ?
La France est un pays d’exil traditionnel pour les Polonais et c’est l’opposé de la Pologne. Pour un étranger, Paris est une ville très hermétique et on peut s’y sentir un peu suffoquer. Donc je pensais que c’était une bonne idée de mettre mes deux personnages à Paris pour détruire leur relation (rires). En ce qui concerne la Yougoslavie, il y avait l’intérêt de l’aspect visuel, mais aussi le fait qu’à l’époque, c’était un pays non-aligné. Donc si le personnage de Viktor ne pouvait plus retourner derrière le Rideau de fer, il pouvait aller en Yougoslavie. Sur le plan narratif, quand la Pologne réclame l’extradition de Viktor, les Yougoslaves n’accèdent pas, mais ils obligent néanmoins Viktor à rentrer à Paris.
Vous avez tourné vos deux derniers films en Pologne. Vous sentez-vous l’héritier d’une tradition cinématographique polonaise ?
J’aime les films des réalisateurs polonais, comme ceux d’Andrzej Wajda par exemple. Tout le monde me dit que j’incarne la renaissance du cinéma polonais, mais j’ai l’impression que j’appartiens davantage à la lignée de La Nouvelle Vague. Je trouve mon esthétique différente de celle du cinéma polonais en général, qui est parfois plus baroque, plus flamboyante, plus expressive au niveau verbal avec des dialogues beaucoup plus fournis que dans mes films. Moi, j’aime les choses un peu obliques, un peu de mystère.
Le film est dédié à vos parents. Ont-ils inspiré le couple de Cold War ?
Il y a beaucoup de choses en commun entre le couple du film et mes parents, y compris leurs noms que j’ai pu utiliser sans entrave car ils sont décédés. C’était un couple un peu désastreux : ils sont tombés amoureux, se sont séparés, sont retombés amoureux, en ont épousé d’autres, se sont remis ensemble, ont changé de pays, se sont séparés de nouveau et se sont encore retrouvés. Ce n’est pas le portrait de mes parents, mais il y a des similitudes sur le plan des mécanismes de la relation.
Propos recueillis par Fabien LEMERCIER
Source partenaire : Cineuropa