Interview. Marta Bergman et l’émancipation de la femme à travers l’homme… ou pas
Diplômée de l’INSAS, Marta Bergman est reconnue pour son travail documentaire, notamment avec et autour des communautés rom. On lui doit des films comme Clejani, Heureux Séjour, ou Un jour mon prince viendra, qui suit la quête de trois jeunes filles roumaines qui cherchent un homme occidental – et une meilleure vie. On retrouve déjà les germes fictionnels de Seule à mon mariage, son premier long-métrage de fiction, présenté dans la sélection de l’ACID lors du dernier festival de Cannes.
Synopsis – Insolente, spontanée, drôle, la jeune Rom Pamela (Alina Șerban) ne ressemble à aucune femme de sa communauté. Elle vit seule avec sa grand-mère et son bébé dans une cahute où elles partagent le même lit. Mais que faire avec une enfant de deux ans quand on rêve d’être libre ? Pamela s’embarque vers l’inconnu, rompant avec les traditions qui l’étouffent. « Lapin, pizza, amour », trois mots de français et l’espoir d’un mariage pour changer son destin et celui de sa fille.
Entretien Cineuropa avec Marta Bergman.
Comment avez-vous « rencontré » le personnage de Pamela ?
C’est plutôt Pamela qui est venue me chercher ! Pamela est née des films documentaires que j’ai faits précédemment, notamment en Roumanie, et de certaines situations que j’ai pu rencontrer. J’ai repensé à ces filles que j’avais filmées, sans doute parties se prostituer, et je me suis demandé ce qu’elles étaient devenues. Le personnage de Pamela est né de ce magma, de ces images, ces rencontres, ces émotions. Ce n’est pas un premier long-métrage pour moi, mais c’est un premier long-métrage de fiction. Je ne fais pas de frontière franche entre documentaire et fiction, l’un se nourrit de l’autre. Dans mes documentaires, je regarde les gens comme des personnages, et dans mes fictions, j’entends qu’elles s’inscrivent dans une certaine vérité.
Quel est l’itinéraire du personnage finalement ?
La thématique du film, c’est celle d’une femme qui s’émancipe, qui pense qu’elle doit le faire à travers un homme, et qui découvre qu’elle peut le faire par elle-même.
Pamela est déchirée entre sa féminité et sa maternité…
Exactement, ce déchirement infuse toutes les séquences. Sa grand-mère, sa communauté, c’est quelque chose qu’elle fuit et qu’elle recherche en même temps. Dans son village déjà, Pamela était isolée par sa différence, elle n’était pas comme les autres filles, elle n’obéissait pas aux règles, n’endossait pas le rôle que l’on attendait d’elle. Et en Belgique, bien sûr, elle est seule. Mais elle, elle voudrait être libre, comme elle imagine que les femmes le sont en Belgique.
Avec Bruno, ce sont deux solitudes qui ne se rencontrent jamais vraiment ?
Cette solitude, c’est ce qui les rattache. Bruno [interprété par Tom Vermeir, NDLR] est quelqu’un de très seul, et quand Pamela fait irruption auprès de lui, la vie qu’elle amène change peu à peu son regard. Bruno est un homme qui n’a pas encore trouvé la flamme, le courage de quitter ses parents, d’être qui il est. Cette histoire n’est pas un échec, mais un vecteur de changement pour les deux.
La musique a beaucoup de place dans la narration…
On a commencé à réfléchir à la musique avant le tournage. J’ai fait appel à un compositeur roumain, Vlaicu Golcea, qui est plutôt électro, mais qui a aussi été arrangeur pour un groupe de musique tzigane. On l’a rencontré avant le film, et il nous a fait des premières propositions. Puis, après avoir vu de premières images de montage, il a retravaillé les propositions électro de départ. Moi, je tenais beaucoup à avoir des musiques plus roots. Je suis retournée enregistrer avec un violoniste traditionnel, et Vlaicu a incorporé ces violons à sa musique. Ces compositions musicales sont à part entière les états d’esprit et les émotions de Pamela.
Comment avez-vous réagi en apprenant cette sélection à l’ACID ?
Je suis ravie, bien sûr, et le fait que ce soit à l’ACID, c’est vraiment super car ils accompagnent le film. Ils ont tout un réseau de salles et un circuit de distribution en dehors des salles, pour rencontrer un autre type de publics. Ce qui me plait aussi, c’est que c’est une programmation de cinéastes.
Propos recueillis par Aurore ENGELEN