Interview. Christophe Ghristi, bouillonnant patron du théâtre du Capitole à Toulouse
Après dix ans de dramaturgie au théâtre du Capitole, cinq ans comme directeur artistique à l’Opéra de Paris, Christophe Ghristi a remplacé Frédéric Chambert à la direction artistique du Capitole de Toulouse, en septembre 2016. C’est avant tout un passionné d’opéra qui revient à la tête d’une maison au triple rayonnement local, régional et national. Quelles nouvelles couleurs pour l’une des institutions culturelles phare de la ville rose ?
Au sein de l’Hôtel de Ville de Toulouse, dans les grands salons du Capitole – parquets boisés, frise et photos de représentations aux murs –, Christophe Ghristi échange une franche poignée de mains. Dans cette pièce – une scène à elle seule ! – notre interlocuteur, détendu et accueillant, partage avec simplicité et enthousiasme sa vision, les enjeux liés au Capitole et ce qu’il souhaite dorénavant développer.
Vous avez un parcours professionnel riche et varié. Comment expliquez-vous votre trajectoire et appréhendez-vous votre retour au Capitole ?
C’est vraiment la passion qui conduit mes projets ! Dès mes études de lettres à Normale, je souhaitais travailler à l’opéra. Depuis toujours, je suis mélomane et fasciné par toute la machine de l’opéra. Journaliste dans les milieux musicaux pendant mes années d’enseignements, j’ai travaillé ensuite pour Radio Classique, ce qui m’a permis de rencontrer les personnes qu’il fallait. Je suis alors arrivé au théâtre du Capitole. Si cette nomination est un événement important dans ma vie, mon énergie est tournée vers l’avant. Ce n’est pas du tout comme s’asseoir dans un vieux fauteuil que j’aurais laissé et que je reprendrais ! C’est très agréable de revenir dans un endroit qu’on connaît et qu’on aime ; dans le même temps, les nouvelles équipes et mon nouveau poste donnent une énergie tout autre.
Quels objectifs vous fixez-vous ?
Comme je suis passionné par l’artisanat de l’opéra, je reste toujours attentif à la scène et aux ateliers. Dans une maison comme le Capitole, où le rythme est artisanal, je peux me permettre de venir à la réunion technique chaque mercredi matin. On y parle boulons et tissus, mais c’est là que se trouve l’un des nerfs de la guerre. J’observe et reçois les informations du directeur technique – ce qui évite de plus une autre réunion !
Mon objectif est que la maison tourne bien à deux niveaux : en interne, que les équipes soient emportées ensemble dans le projet ; en externe, que le théâtre affiche complet… pour les bonnes raisons ! Il y a un travail à faire autour de la programmation et de la communication. Nous sommes un service public : il est de notre devoir d’informer la population, de façon pédagogique, sur nos activités. Car je ne m’adosse pas à l’illusion que tout le monde connaît le répertoire que je vais proposer. Il faut encore donner les clés : pourquoi telle œuvre, pourquoi ces artistes ? Je pense que la passion et l’énergie sont des moteurs.
Comment comptez-vous vous y prendre ?
Le Capitole doit par exemple mener une communication plus offensive via le numérique. J’ai participé à la naissance du site internet du Capitole ; aujourd’hui, il semble nécessaire d’améliorer sa structure. J’espère aussi pouvoir travailler très activement avec le rectorat et ainsi toucher plus de jeunes – étudiants et enfants. Il faut prendre son bâton de pèlerin et aller dans les écoles. S’il n’y a pas quelqu’un qui incarne la parole qu’on peut retrouver dans les médias sur un art humain, ça ne sert à rien. Il y a enfin un combat très intéressant à mener auprès des quadragénaires actifs de la métropole toulousaine. Je veux aller à leur rencontre par le biais de l’aspect technologique de la scène. J’aimerais avoir une espèce de laboratoire sur ce que pourraient être les arts vivants dans vingt ans.
Beaucoup de projets qui demandent un certain budget. Comment vous organisez-vous financièrement ?
Un autre grand combat à mener tourne autour du mécénat, notamment du mécénat de compétences, pour le théâtre. Lorsque nous faisons venir les entrepreneurs au Capitole, nous leur montrons ce que nous faisons, en passant outre l’image, parfois fausse, qu’ils peuvent avoir de notre activité.
L’opéra a un budget de 21 millions : 15 millions de frais fixes et 6 millions pour la programmation. Je souhaite concentrer davantage le budget sur le plateau : les chanteurs, le travail technique, les costumes… Toute cette communication auprès du public n’a de sens que si nous proposons un travail de bonne qualité. J’aimerais jouer, pendant deux ou trois années, sur une alternance entre des œuvres célèbres, qui fédéreront un public, et des œuvres moins connues, avec pour thème central : l’éveil de la curiosité. Que la maison ait un rapport électrique avec son public ! À partir de créations et de reprises, nous trouverons un équilibre entre nouvelles productions, fonds propre et locations de spectacles découverts ailleurs. Sans perdre de vue, évidemment, notre répertoire de ballets ! Tous ces éléments – opéra, ballets rares et célèbres – vont s’équilibrer et créer une relation de confiance et de désir avec le public.
Dans un entretien à un journal local, votre prédécesseur mentionne une relation difficile avec la ville de Toulouse, qui a une mainmise importante sur l’organisation au Capitole. Neuf mois après votre retour en Occitanie, comment vivez-vous cette relation à la ville ?
Je perçois ce que veut dire Frédéric Chambert, mais ce que je vois surtout, c’est la puissance de création de cette maison. La ville en est le premier financeur ; il est donc normal que la métropole soit présente dans la maison. Le théâtre se trouve à une place stratégique – dans l’Hôtel de Ville –, ce qui constitue une chance inestimable ! Nous avons localement un monopole de l’art lyrique et, par conséquent, la mission de le porter le plus largement autour de nous.
Vous parliez de votre implantation et de votre rayonnement. Avec les importants remaniements territoriaux qui ont eu lieu récemment, quels sont les liens à créer ou à entretenir avec d’autres institutions d’Occitanie, notamment l’Opéra Comédie de Montpellier ?
Il se trouve que je connais Valérie Chevalier ; je sais que nous allons avoir une dynamique commune. Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire d’être humble et intelligent, de travailler ensemble plutôt que d’être l’un contre l’autre. Nous mettrons en place des partenariats avec l’Opéra Comédie ainsi qu’avec le festival Radio France Occitanie. Je souhaite monter des projets qui rayonneront dans toute la région. Ce qu’on ne peut plus jouer ici, il faut l’emmener ailleurs et ainsi rencontrer d’autres publics.
Que suscite en vous l’arrivée de Françoise Nyssen au ministère de la culture ?
Je trouve que c’est un beau geste d’avoir mis quelqu’un qui s’occupe de livres à la tête du ministère. Actes Sud est une maison un peu à part, non seulement du fait de son implantation géographique, mais également par ses choix exigeants. Je me réjouis de cette nomination. Françoise Nyssen connaît, par sa fonction, les enjeux artistiques et économiques. C’est bien que la personne soit attentive aux deux ! Comme le livre est la base de la culture, je ne me fais pas de soucis pour le spectacle vivant.
Propos recueillis par Joséphine RABANY
Photo de Une – Christophe Ghristi
Crédit : Pierre Beteille