Interview. Camille Vidal-Naquet et l’invisible prostitution masculine

Interview. Camille Vidal-Naquet et l’invisible prostitution masculine
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Le mercredi 29 août sort, dans les salles de cinéma françaises, le premier long-métrage du réalisateur français Camille Vidal-Naquet : Sauvage s’immerge dans le quotidien de la prostitution masculine pour un film choc où dureté, liberté et quête d’amour se télescopent. Le film a été présenté en compétition à la Semaine de la Critique lors du dernier festival de Cannes.

Synopsis – Léo (Félix Maritaud), 22 ans, se vend dans la rue pour un peu d’argent. Les hommes défilent. Lui reste là, en quête d’amour. Il ignore de quoi demain sera fait. Il s’élance dans les rues. Son cœur bat fort.

Entretien Cineuropa avec Camille Vidal-Naquet.

D’où est venue l’idée de développer l’intrigue de votre film dans le milieu de la prostitution masculine ?

Je ne suis pas parti d’un milieu, mais d’un personnage. J’ai imaginé un outsider, hors des règles, rejeté, à l’abandon et en quête d’amour. Un personnage qui ne se soucie pas de la vie matérielle et qui ne correspond à rien de ce que nous connaissons des normes sociales. C’est ce qui m’a amené dans un second temps au milieu de la prostitution masculine. J’ai donc commencé à me renseigner sur cette prostitution très particulière qu’est la prostitution de rue, qui relève de la précarité car ce sont des gens qui vivent dans la rue. Or, j’étais très intéressé par le thème du corps parce qu’on imagine que dans la prostitution, on doit avoir un corps beau, entretenu, soigné, pour le vendre, le louer. Mais quand on est dans la rue, on n’a pas accès à l’hygiène, on mange mal, on a des blessures non soignées, etc. Je trouvais que c’était une idée forte d’arriver à concilier le corps qui subit la dureté de la rue avec le fait que c’est un objet de désir. Et je me suis aussi rendu compte que la prostitution masculine de rue n’est pas représentée : on en parle très peu et elle est très peu filmée.

On ne connaît jamais le passé du personnage principal, ni même son nom. Pourquoi ces choix ?

Le film n’est pas une analyse sociologique. Beaucoup de films ou de documentaires pourraient se poser la question très intéressante de pourquoi on en arrive là. Mon film cherche plutôt à vivre avec le personnage, à proposer une expérience assez sensorielle, pour montrer l’état de sidération qu’on peut ressentir quand on subit la violence de l’exclusion. On est plus dans l’étourdissement, la violence, la fulgurance des instants qu’il vit, pas dans l’explication.

Quid de la quête d’amour du personnage ?

On n’a pas l’habitude de voir des histoires amour dans un milieu aussi dur que celui de la prostitution masculine. On a tendance à oublier que cette activité est très déshumanisante et on la résume souvent à une fonction : la prostitution. Mais avant d’être des prostitués, ce sont des individus. J’ai essayé de montrer que ce personnage de 22 ans est en demande d’affection, que c’est plus fort que tout, comme cela peut l’être pour beaucoup de gens, mais que lui envisage la prostitution et la dureté de la rue comme une normalité, ce qui est totalement incompréhensible pour nous. Il ne se plaint jamais, on ne le voit jamais essayer de s’en sortir, il n’a pas d’ailleurs, il ne rêve pas de quelque chose à atteindre : c’est sa vie et il l’assume. Il y a juste un épisode qui se passe très mal et il demande réparation.

Quels ont été vos partis-pris de mise en scène ?

On cherchait une image qui soit âpre, juste quand même par rapport à la dureté de ce qu’on filmait, et qui ne soit pas trop esthétisante car cela posait un problème moral d’embellir. Nous avons cherché un juste milieu, en nous laissant porter par les scènes. Certaines appelaient des moments beaucoup plus poétiques et nous avons aussi profité d’éclaircies, d’instants de soleil, pour donner un peu de rayonnement, et à l’inverse de choses plus brutes.

Félix Maritaud porte littéralement le film sur ses épaules.

Oui, d’autant plus que c’était compliqué car c’est un rôle où il parle peu. Ce sont des déplacements, des gestes. Il devait exister presque uniquement par son corps.

Jusqu’où vouliez-vous aller ou ne pas aller dans la représentation de la sexualité ?

L’idée était de restituer la réalité de ce que vivent ces garçons et de montrer les situations qu’ils rencontrent, parfois bienveillantes, parfois machinales, ainsi que cette violence, cette dureté. D’ailleurs, cela m’a toujours étonné qu’on emploie l’expression « faire une passe », comme pour éviter de nommer précisément ce que cela implique. J’avais donc envie que le film ait le courage de montrer à quoi ce quotidien d’un travailleur ressemble exactement… et encore, on ne montre pas tout ! Cela n’aurait pas de sens de « l’ellipser » ; ce serait comme un film sur un boulanger, sans le montrer en train de fabriquer du pain. Et cela nous dit aussi beaucoup de choses sur le personnage, sa douceur, sa recherche d’affection, sa générosité, son don vers l’autre, le souci qu’il a de la qualité de la relation ou parfois son inconscience totale.

Propos recueillis par Fabien LEMERCIER

 



Photographie de Une – Camille Vidal-Naquet (crédits – Les Films de la Croisade)



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