Interview. Benedikt Erlingsson : les femmes à la pointe du combat climatique
Dans Kona fer í stríð (« Femme en guerre »), son deuxième film après l’œuvre encensée Des chevaux et des hommes, Benedikt Erlingsson se concentre sur une femme (Halldóra Geirhađsdóttir) qui part pour une mission environnementale en Islande, tout en essayant d’adopter un enfant. En salles ce mercredi 4 juillet, le film était au programme de la Semaine de la critique lors du dernier festival de Cannes.
Synopsis – Halla, la cinquantaine, déclare la guerre à l’industrie locale de l’aluminium, qui défigure son pays. Elle prend tous les risques pour protéger les Hautes Terres d’Islande. Mais la situation pourrait changer avec l’arrivée inattendue d’une petite orpheline dans sa vie…
Entretien Cineuropa avec Benedikt Erlingsson.
Aviez-vous prévu dès le départ de raconter l’histoire autour d’un personnage central féminin ?
Elle l’exigeait, il ne s’agissait pas d’être politiquement correct. Les femmes sont très actives dans les combats pour protéger les Highlands, et dans toutes les batailles environnementales en général. Comme Berta Cáceres Flores, la militante écologiste hondurienne tuée en 2016, ou Sigríður Tómasdóttir, qui au XIXe siècle a réussi à protéger une chute d’eau qui est désormais la principale attraction touristique d’Islande. J’ai grandi avec Fifi Brindacier – elle a influencé ma vie et celle de ma fille. Cela dit, pour être franc, je ne fais pas trop attention au sexe.
Tous les événements du film sont liés les uns aux autres par la musique, comme cet orchestre étrange qui suit Halla.
Il s’agit d’un coryphée. Au théâtre, il y en a toujours un, sous une forme ou une autre – « verfremdung » ou distanciation, comme dans les pièces de Bertolt Brecht, par exemple. C’est dommage que ce ne soit pas plus utilisé dans les films. Frederic Fellini a toujours considéré les musiciens comme faisant partie de la réalité présentée. On peut citer aussi Mary à tout prix, où il y avait des troubadours. Ce groupe local et la chorale ukrainienne sont comme des voix dans la tête de mon personnage, qui essaient de la convaincre d’abandonner cette folle mission et de sauver l’enfant qu’elle a l’intention d’adopter. Ils se battent constamment les uns contre les autres.
C’était utile pour mieux comprendre son conflit intérieur, car en Islande, on ne dit jamais ce qu’on pense réellement. On parle à travers nos actions. Mon père avait l’habitude de dire qu’un homme nordique ne pleure pas : s’il ressent de la douleur, soit il éclate en sanglots et meurt, soit un flocon de neige sort de ses yeux. Au final, il a passé sa vie à pleurer [rires].
Au moment de trouver le coupable, les autorités dans le film réagissent en arrêtant le premier étranger qu’ils trouvent, mais c’est finalement un local qui se présente à eux.
Nous avons cette expression qui pourrait être traduite par « venant d’un rocher étranger ». C’est tellement facile pour les gens de notre pays de blâmer les « autres » quand quelque chose se passe. Même en Amérique, l’homme-dont-on-ne-doit-pas dire-le-nom le fait constamment. Dans ce film, le gouvernement suppose immédiatement que certaines organisations étrangères doivent être derrière tout cela : une organisation terroriste et criminelle. S’agissant de la lutte contre la chasse à la baleine, par exemple, elle est toujours menée par des étrangers. Les jeunes et les activistes se retrouvent criminalisés par les médias. C’est la logique des fascistes, la méthode la plus ancienne du monde.
Est-il vrai que vous avez eu l’idée du film en participant à un atelier de réalisation ?
C’était une merveilleuse expérience : nous parlions de notre processus de création, et sont entrées ensuite ces personnes très sérieuses du groupe de la Banque mondiale, qui voulaient que nous parlions du changement climatique ; mais vous savez comment c’est : les artistes n’aiment pas qu’on leur dise quoi faire. Nous avons promis de nous informer, et quand je suis rentré à la maison, c’est ce que j’ai fait, et j’ai enfin réalisé la gravité de cette question. Ayant moi-même été activiste dans ma jeunesse, différentes impulsions se sont amalgamées. J’ai fini par me demander : comment faire un « feel-good movie » sur le changement climatique ?
Le désespoir de Halla est palpable : armée d’un arc et d’une flèche, de rien d’autre, on dirait qu’elle est David contre Goliath.
La caractéristique des activistes est qu’ils combattent toujours les technologies de pointe avec des technologies rudimentaires. Ils n’ont pas les moyens, alors ils doivent utiliser leur ingéniosité. C’est toujours au perdant de trouver les solutions les plus simples. Prenez Gandhi : il a compris qu’il fallait parfois agir, mais sans user de violence. Il a tenté le tout pour le tout : il a essayé de saboter la structure de l’économie britannique. Prenez aussi Star Wars, dans lequel les personnages combattent cette étoile de la mort avec une technologie ancienne et médiocre. Halla a un garçon en elle, ce qui rend la chose plus facile. En Islande, nous ne sommes jamais loin de ceux qui sont au pouvoir – nous sommes si peu nombreux que nous avons toujours un parlementaire à portée de main.
Vous montrez que le changement climatique est toujours extrêmement controversé. Pourquoi tant de gens perçoivent-ils Halla comme une terroriste ?
Nous devons nous rappeler que les événements réels n’ont souvent rien à voir avec leur couverture par les médias. Il y a toute une machine qui répand le doute et qui essaie de nous empêcher de nous en soucier. Pour moi, c’est le mal à l’état pur. J’ai un ami scientifique qui dit qu’en termes de changement climatique, les gens préfèrent souvent être dans le déni. Il est difficile pour eux de changer leur style de vie pour une « génération future ». Si j’étais un politicien, j’essaierais de les convaincre, mais ensuite je devrais leur dire : votez pour moi, et vous aurez moins de tout, moins de voitures, moins d’avions, moins de nourriture, sauf que ce que vous obtiendrez durera plus longtemps, et votre vie sera plus heureuse.
Propos recueillis par Marta BAŁAGA
Traduit de l’anglais par Babette Dieu
Je viens de voir ce superbe film. Dans la brochure distribuée par AFCA, on pose à Benedikt Erlingsson la question « pourqoi le personnage de Halla devrait-il être une femme ».
Pourquoi Benedikt ne parle-t-il alors pas de Sigriđur Tomasđottir et sa lutte pour préserver Gullfos ?