« Inoah » de Bruno Beltrão : d’une belle promesse à une incompréhension
Une partie du hall du 104 – habituellement lieu de répétition foisonnant de danseurs, comédiens et autres artistes – a laissé place aux gradins et à la scène où le chorégraphe brésilien Bruno Beltrão présente sa nouvelle création, Inoah, dans le cadre du festival d’automne. Utilisant et détournant les codes du hip-hop, il signe avec une certaine virtuosité une chorégraphie aux prouesses techniques évidentes. Cependant le quatrième mur reste solidement hermétique ce soir-là, questionnant notre rapport de spectateur au spectaculaire et à la forme.
Inoah s’ouvre sur une vibration sourde, invoquant les profondeurs de la terre d’où une force pourrait surgir. Une lumière tamisée nous révèle un duo de danseurs vêtus d’habits sombres. Un troisième danseur les rejoint. Par intermittence, leurs mouvements et leurs déplacements vifs, furtifs, sont brusquement stoppés ; une tension s’installe alors, ils peuvent reprendre à n’importe quel moment. Ces pauses, parfois affirmées dans la durée, laissent à d’autres occasions place à de micro-variations, redéfinissant ainsi les images d’un tableau qui paraissait figé. Le plateau est traversé par un trait de lumière qui pourrait s’apparenter à un rayon de soleil dans un sous-sol. Les corps sont souvent voûtés. L’image du bras d’un danseur enserrant son propre cou est fréquemment répétée. Ces éléments instaurent un climat certain : nous sommes à l’écoute, à l’affût. Nous sentons un grondement au-delà de la musique, présage peut-être de la naissance d’une lutte ou de la libération d’une éventuelle répression.
À cette première partie pleine de promesses succède une partition plus musicale et rythmée, une suite qui, étrangement, ne nous parvient pas. Il est toujours perturbant de constater que l’on n’est pas réceptif à une proposition où la technique des danseurs est impressionnante, voire audacieuse, et où la chorégraphie est magistralement orchestrée ; nous essayons ici d’en comprendre l’origine.
D’après la note d’intention, la pièce tire son impulsion première d’une phrase extraite d’un livre des sociologues français Marie Poinsot et Serge Weber : « Le migrant est pionnier d’un monde ouvert ». Cette phrase éclaire alors notre perception de la première partie, apporte aussi des éléments de compréhension pour cette deuxième partie. Les traversées en duo, en trio ou à plus de danseurs, utilisant parfois les diagonales, les plans frontaux ou sagittaux, des avancées ou des replis, établissent une circulation quasi-continue et constituée d’apparitions et de disparitions. Elles font probablement écho aux flux migratoires. Lorsque qu’une douche de lumière suit le déplacement de danseurs, nous imaginons une possible traque. Les membres tantôt entrelacés des corps au plateau esquissent une entraide éphémère.
Nous pourrions poursuivre ce travail ; il ne s’agit cependant pas ici d’intellectualiser a posteriori ces images mais de dénouer le fil d’un blocage sensoriel pendant cette seconde partie. Nous constatons qu’il survient après une rupture dans la dramaturgie. Nous passons ainsi d’une économie de mouvement à une abondance. Des enchaînements de figures remarquablement exécutées défilent sous nos yeux, interrompus de temps en temps par de brefs arrêts qui dessinent alors une disposition étonnante des corps. Nous manquons de plus amples respirations au cœur de ce tourbillon pour franchir un état passif, se limitant à l’admiration d’un spectaculaire.
« La question la plus importante dans mon travail a toujours été de nature esthétique, plutôt que sociale ou politique, même si ce point de mire artistique a des implications plus vastes. » Cette affirmation de Bruno Beltrão entraîne nécessairement une interrogation sur la forme : est-elle suffisante en soi ? La magie, les vibrations et la vie d’un spectacle réunissant son public et ses interprètes sont-elles possibles sans un ingrédient supplémentaire ? Nous ne cernons pas l’état d’esprit, ou plutôt de corps, des danseurs. Un rythme est présent, mais il manque une pulsation intérieure, plus secrète. Leurs regards concentrés, souvent fermés, ne diffusent pas les sensations vécues. En face d’un spectacle qui ne réussit pas à dépasser la forme et à la transcender, nous sommes cantonnés à notre condition de simples spectateurs, observateurs d’une beauté, d’une technicité qui, à regret, ne nous déplace finalement pas.
Spectacle : Inoah
- Création : 27 juin 2017 au Silo dans le cadre du festival de Marseille
- Durée : 1h
- Public : à partir de 10 ans
- Direction artistique : Bruno Beltrão
- Avec : Bruno Duarte, Cleidson De Almeida « Kley », Douglas Santos, Igor Martins, Joao Chataignier, Leandro Gomes, Leonardo Laureano, Alci Junior Kpuê, Ronielson Araujo « Kapu », Sid Yon
- Création lumières : Renato Machado
- Costumes : Marcelo Sommer
- Musique : Felipe Storino
Crédits photographiques : Bruno Beltrão & Kerstin Behrendt
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Spectacle vu le 10 novembre au 104, à Paris.
- Aucune date connue à ce jour.
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