Infatigable Peter Brook : 92 ans et un nouveau spectacle !
À l’image de son œuvre le Mahabharata, la carrière de Peter Brook ressemble à une épopée : à 92 ans, le maître de théâtre britannique présente une nouvelle pièce inspirée d’un vieux voyage en Afghanistan. Où va-t-il chercher toute cette énergie ? « J’aimerais moi-même le savoir » plaisante-t-il, en recevant l’AFP dans son appartement à Paris, où il vit depuis les années 70.
[avec AFP]
L’artiste iconoclaste a monté plus de 100 pièces et développé la théorie de l’espace vide qui laisse libre cours à l’imagination du public et qui est considérée comme une « bible » pour les amoureux du théâtre avant-gardiste.
Espace vide, pensée pleine
Il y a deux ans, avec Battlefield – une suite du Mahabharata basé sur le grand poème indien -, on aurait pu croire que le metteur en scène tirait sa révérence.
Mais les questions existentielles humaines le hantent encore : après la guerre, la mort, la justice, il explore la rédemption dans The Prisoner, présentée à partir de mardi au théâtre parisien des Bouffes du Nord qu’il a dirigé pendant des décennies.
« Les gens me suggèrent tout le temps ce que je dois faire comme nouvelle pièce. Comme pour le Mahabharata, [l’idée] s’est faufilée, je ne suis pas allé à la recherche de quelque chose. »
Il a monté la pièce avec sa collaboratrice de longue date, Marie-Hélène Estienne.
Faire face à ce que l’on est
Cette fois-ci, c’est le souvenir d’un voyage en Afghanistan avant l’invasion soviétique (en 1979) qui l’a rattrapé. The Prisoner met en scène un jeune homme qui tue son père et doit subir un châtiment singulier : non pas croupir en prison, mais purger sa peine en faisant face à sa geôle.
Cette histoire lui a été racontée en Afghanistan par un maître soufi qui avait suggéré à un juge une punition autre que l’incarcération. Peter Brook a rencontré le vrai prisonnier concerné.
« Tout dépendait du fait que le jeune homme reconnaisse la nécessité d’être puni afin d’être purifié. Graduellement, en faisant face à la prison, il faisait face à ce qu’il était vraiment. Nous ne nous sommes pas parlés mais j’ai vu dans ses yeux qu’un processus était en cours. »
Peter Brook renoue ici non seulement avec un souvenir mais avec un maître à penser : Georges Gurdjieff, ce mystique influent du début du XXe siècle qui préconisait un travail de méditation permettant à l’homme de passer à un état supérieur de conscience.
« À l’ONU, ils se réunissent et cela aboutit à un drôle de mot : une résolution. Alors que rien n’est réglé, tout le monde rentre chez soi en ayant bonne conscience. Ce prisonnier n’a pas droit à ça, il doit vivre avec la réalité. »
La pièce résonne avec une autre œuvre de Brook, Tierno Bokar (2004), du nom d’un mystique et soufi malien du XXe siècle qui prônait l’amour universel.
Refus d’un théâtre engagé
Peter Brook a perdu en 2015 celle qui a été son épouse pendant 64 ans, l’actrice Natasha Parry, avec qui il a notamment eu Irina Brook, qui dirige aujourd’hui le théâtre national de Nice-Côte-d’Azur.
Avec sa nouvelle pièce, il espère insuffler de l’espoir, « quelque chose de plus fort que le désespoir, la maladie, l’horreur, comme ce qu’on voit par exemple dans les infos, en Syrie ».
« Certains journalistes viennent me demander : « Alors, vous pensez pouvoir changer le monde ? » Cela me fait rire. Je n’ai jamais eu cette prétention, c’est ridicule. »
Il a toujours refusé de faire du théâtre engagé, préférant un théâtre qui invite à la réflexion ou à la spiritualité, que ce soit avec des pièces shakespeariennes ou des adaptations comme Carmen.
« Il y a toujours une tendance à prêcher, Donald Trump en est le meilleur exemple, celui d’un homme qui prêche tout le temps, sans se rendre compte qu’il doit se regarder lui-même. Il se prend pour Dieu Tout-puissant. C’est lui qui doit être ce prisonnier et se regarder soi-même. »
Photographie de Une : Peter Brook (crédits : Katya Wolman)