Immigration – Ils voulaient juste se former à la mécanique auto…
Affaire de raison, qui plus est de raison d’État, l’immigration et tout ce qui y touche est aussi, bien entendu, affaire de cœur. L’administration française est quant à elle d’une rare incompétence, portée par le zèle rancunier du médiocre. Une chronique en forme de cri de colère.
Actualité de l’économie sociale
Il est toujours risqué d’aborder ce sujet sensible qu’est l’immigration. Il n’y a pas plus « clivant », comme on dit aujourd’hui. C’est le meilleur moyen de vous brouiller avec la moitié de vos lecteurs. Aussi je précise dès maintenant que je limiterai mon propos aux pays francophones de l’Afrique pudiquement dite « subsaharienne », que je n’en aborderai que certains aspects, et que j’entends surtout dénoncer l’ineptie du comportement de notre puissance publique, qui ferait mieux de reconnaître son incompétence et laisser faire l’Économie Sociale. Et je prends bien soin ici de ne pas dire comme certains « la société civile », car celle-ci, à supposer qu’on sache la définir, peut certes agiter des idées, mais dès qu’il est question de réalisations concrètes, c’est-à-dire d’économie, il faut de véritables entreprises.
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Pour commencer, je vous propose un grand détour. Vous avez certainement déjà entendu cet argument utilisé par le MEDEF : il faut nous laisser plus facilement licencier, comme cela nous pourrons plus facilement embaucher. Cela se tient au niveau de l’entreprise élémentaire, même si cela fait bon marché de l’existence de l’intérim et des CDD ; effectivement, si l’on n’est pas certain de pouvoir conserver un salarié, et si le coût de son licenciement apparaît dissuasif, on préférera renoncer à l’embaucher. Mais cela ne tient plus du tout au niveau global, car il y a bien d’autres freins à l’embauche que les difficultés du licenciement. On retrouve là un vieux principe de science économique : ce n’est pas qu’en desserrant la ceinture qu’on fera grossir le ventre.
Au MEDEF (et au CNPF avant lui) qui continue d’utiliser cet argument en toute mauvaise foi, les syndicats de salariés répondent par l’excès inverse : il faut encore et toujours renforcer le contrôle des licenciements, sinon les patrons vont en abuser. Et c’est ainsi que, depuis trente ans et plus, le choix semble devoir à jamais se limiter entre liberté débridée et soupçon systématique, là où le bon sens et le souci du bien commun commanderait que l’on privilégiât la simplicité, la souplesse, la confiance et la responsabilité.
Eh bien la situation est en tous points semblable en matière d’immigration. Les uns réclament l’arrêt complet des contrôles, les autres ne cessent de vouloir les renforcer. Ce ne sont pas les mêmes acteurs, mais les rôles sont identiques, et nous en supportons les mêmes conséquences, blocages mentaux et effets pervers en tous genres.
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Il est tentant d’idéaliser avec les idéalistes. Levons toutes les barrières à l’entrée, accordons des visas à tous ceux qui en demandent, les retours se feront alors sans problèmes et les filières clandestines n’auront plus de raison d’être. Effectivement, pour un candidat à l’immigration pris isolément, le raisonnement se tient. Si je puis revenir quand je veux, je n’ai aucun problème à repartir. Et si je puis prendre tranquillement l’avion sur un vol régulier, je n’irai pas risquer ma vie sur un rafiot en Méditerranée. Mais globalement, il ne tient plus du tout, car il revient à encourager l’immigration pour elle-même, ce qui est à la fois irresponsable et criminel.
Irresponsable, car le franchissement des frontières n’est pas tout, et il est bien d’autres facteurs qui continueront à limiter les retours et à favoriser les circuits parallèles, en proportion du nombre d’entrées légales. Criminel, et je pèse mes mots, car l’Afrique a un besoin vital de conserver ses forces vives et à cesser de se laisser saigner comme un animal de laboratoire. Voler les ressources humaines d’un pays est la plus abominable des prédations qu’on puisse lui faire subir. D’aucuns s’indignent que l’on aille « piller » les matières premières des pays du Sud, alors qu’il ne s’agit que de transactions commerciales, et trouvent tout à fait normal qu’on leur pille leurs jeunes, diplômés ou non, sans aucune contrepartie, sinon celle d’offrir à ces déracinés la joie de travailler chez nous pour « payer nos retraites ». Calcul ignoble, implicitement partagé par nombre d’ONG qui semblent tenir à conserver ad vitam æternam leurs marchés d’assistance.
Il faut absolument que les pays africains aient de quoi persuader leurs jeunes que leur avenir est chez eux, et pour cela il faut que le rêve migratoire reste rare et devienne réversible. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille pour cela limiter les échanges, bien au contraire. Je n’ai jamais cru à la fable qui laisse entendre que le moteur des migrations est la pauvreté, et qu’en conséquence le développement viendra les réduire. Théorème doublement faux. À une extrémité, parce qu’un départ coûte cher, qu’il soit légal ou parallèle. Les plus pauvres ne peuvent pas songer à se l’offrir, alors qu’une embellie des revenus permet à un plus grand nombre de familles de l’envisager. À l’autre extrémité, parce que le développement économique entraîne une multiplication des échanges, des séjours professionnels de plus ou moins longue durée, et suscite çà et là des mariages mixtes. Tout cela fait vivre et croître les diasporas et augmente le nombre de binationaux, mais cette fois « par le haut », sur un pied d’égalité et de complémentarité mutuelles.
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La meilleure politique, en Europe comme en Afrique, sera donc celle qui dissuade vigoureusement les migrations « perdantes-perdantes » mais accueille avec bonheur et encourage celles qui seront « gagnantes-gagnantes ». Ce n’est malheureusement pas ce qu’a compris notre calamiteuse administration. Pour elle, comme plus haut les entreprises vues par les syndicats, tout demandeur de visa est un fraudeur en puissance dont il faut débusquer le pernicieux projet de ne pas utiliser son billet retour et de se noyer dans la nébuleuse des clandestins inexpulsables.
Bien sûr, les services consulaires n’ont prise que sur l’attribution des visas et ne peuvent que déplorer, mais de loin et en vain, les flux clandestins. Alors ils mettent le paquet sur ce qu’ils ont sous la main. Tout demandeur de visa débouté sera un risque de fraude écarté. C’est à se demander si ces ronds de cuir n’ont pas organisé entre eux un concours, à celui qui refusera le plus de visas.
Les fonctionnaires préposés à ce genre de besogne sont souvent les lauréats tacites d’une sélection négative. Moins doués d’entre les moins doués, ils échouent là avec le zèle rancunier du médiocre à qui il ne reste plus que l’arme paperassière pour se venger du triste sort qui lui est échu. Et parfois leurs supérieurs immédiats ne valent guère mieux, alors ils laissent faire. Ils ont simplement eu la chance, au début, avant d’avoir dûment fait la preuve de leur crasse incompétence, d’avoir accroché un concours de niveau supérieur à celui de leurs subordonnés. Rien de tel que ces attelages de bras cassés pour appliquer à la lettre la plus stupide des circulaires, pour n’avoir aucune capacité d’interprétation, aucun sens des intérêts réels de l’État.
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J’ai récemment été alerté par un exemple concret de cette impéritie administrative, ce qui m’a conduit à rédiger cette chronique en forme de cri de colère. Ils sont six jeunes Camerounais, sélectionnés parmi des centaines de candidats, qui attendent toujours d’avoir le droit de venir en France se former à la mécanique auto. On leur a déjà fait perdre une année scolaire, on est en route pour leur en faire perdre deux… Je tiens le dossier complet de cette scandaleuse affaire à la disposition de qui voudra en prendre connaissance. Rien n’y fait, ni certificats en tous genres, ni engagements des lycées techniques, recommandations, parrainages… c’est niet, niet, toujours niet, et sans justification.
Je vous laisse imaginer l’image désastreuse de la France qui peu à peu s’inscrit dans ces jeunes esprits qui sentent poindre le découragement. Mais alors, Louise, tu nous aurais trompés ?, vient susurrer l’un d’eux à l’oreille de l’admirable organisatrice du projet. Que peuvent-ils imaginer faire désormais ? Venir quand même, sans visa, comme tant d’autres ? Ou aller faire leur stage en Chine ?
Affaire de raison, qui plus est de raison d’État, l’immigration et tout ce qui y touche est aussi, bien entendu, affaire de cœur. Il y faut les deux, raison et cœur, en bon équilibre. On sait les catastrophes que peuvent amener les bons sentiments quand ils ne sont pas tempérés par ce qu’il y faut de raison d’État ; ici, nous avons la situation inverse, où il aura suffi dans la chaîne hiérarchique d’un seul bureaucrate borné pour transformer le meilleur en pire. Cet individu n’aura fait que son devoir, pense-t-il peut-être ; il comptera en fait parmi les plus actifs fourriers de la détestation de la France et, indirectement, de l’immigration clandestine parasitaire.
Oui, vraiment, ces questions sont trop sérieuses pour continuer de laisser l’État s’en occuper.
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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.