“Hippolyte – Phèdre” – Le magistral adieu de Christian Schiaretti au TNP
À la veille de quitter la direction du TNP de Villeurbanne, Christian Schiaretti met en scène un diptyque autour du mythe de Phèdre. Un travail ambitieux qui permet au metteur en scène d’évoquer son parcours et de faire ses adieux… un acte magistral en dépit d’une distribution inégale.
Phèdre, amoureuse passionnée et honteuse
L’histoire de l’amour incestueux de Phèdre pour Hippolyte est connue : alors qu’elle épouse Thésée, Phèdre – sœur d’Ariane qui aida Thésée à tuer le Minotaure et fut ensuite abandonnée par le valeureux guerrier sur l’île de Naxos – tombe amoureuse de son fils, Hippolyte…
Christian Schiaretti s’empare des pièces de Robert Garnier et de Jean Racine et les monte sous forme de diptyque dans lequel les comédiens incarnent le même personnage.
Un siècle sépare les deux créations : la première, celle de R. Garnier, créée en 1674, montre le désir charnel et la violence tandis que Racine, l’auteur de la seconde, créée en 1677, est le poète de la rigueur. « Les deux œuvres sont exemplaires chacune d’un moment d’épanouissement déclaré de la langue française », déclare C. Schiaretti. Si la codification du théâtre classique est connue – avec notamment la règle des trois unités –, le théâtre du XVIe l’est moins. « C’est un théâtre qui cherche sa codification de forme, mais aussi ses effets. Garnier influencera les auteurs élisabéthains avec un théâtre français de l’action, de l’épisme et du corps : le corps suinte, […] il y a du sang, du sexe et de l’action ! »
Une mise en scène magistrale
Une action qui explose en effet littéralement dans Hippolyte ; la pièce s’ouvre sur un coup d’éclat que l’on ne dévoilera pas ici mais qui sert admirablement l’intrigue. Le ton est donc immédiatement donné : le spectateur va être surpris, bousculé, « secoué ». Une violence et une action que l’on retrouve dans la scénographie et la lumière puisque la pièce de Garnier offre des costumes colorés et une lumière très présente, franche, directe. Sur ce plateau nu, de grands panneaux sont placés au fond de la scène et arborent des peintures représentant des scènes de bataille ou des combats de Thésée.
La mise en scène de Phèdre est en revanche beaucoup plus sombre : les panneaux du fond sont tous noirs, sans la moindre lueur ; seuls quatre bancs brillants occupent le plateau nu. Les costumes sont eux aussi noirs et blancs.
Ce choix de costumes marque la temporalité de l’écriture des pièces, « afin d’ancrer les personnages au sein d’une époque et de son langage », explique Mathieu Trappler, le créateur des costumes. Ainsi, pour Hippolyte, la référence est le costume de la Renaissance, tandis que pour Phèdre, les costumes se rapprochent de l’esthétique baroque, avec une dominante de noir et de blanc qui donne ainsi « l’image d’une aristocratie piégée et d’un palais déjà en deuil ».
Ce choix d’austérité permet alors de faire advenir sur scène la vocation morale du théâtre au XVIIe siècle, qui, grâce à la catharsis, vise à aider le spectateur à se libérer de ses passions par l’effet d’une purgation. Le spectateur doit éprouver pitié et terreur face à la passion qui anime la coupable Phèdre. Toutefois, Phèdre étant reine, elle ne peut commettre un acte infâme. Elle n’est, comme l’explique Racine dans sa préface, « ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente. Elle est engagée, par sa destinée et par la colère des dieux, dans une passion illégitime, dont elle a horreur toute la première. » Le poète a ainsi pris soin de « la rendre un peu moins odieuse qu’elle n’est dans la tragédie des Anciens » ; c’est pourquoi la fausse accusation est mise dans la bouche d’Œnone, qui elle-même n’agit ainsi « que pour sauver la vie et l’honneur de sa maîtresse » adorée.
De plus, pour que la mort tragique du « superbe Hippolyte » soit moins révoltante, Racine fait du jeune homme l’amoureux d’Aricie, la prisonnière de Thésée : lui-aussi est donc coupable d’un amour interdit…
Des comédiens malheureusement inégaux
Cette superbe mise en scène est malheureusement amoindrie par le jeu des comédiens. Certes, la performance est à saluer. Toutefois, certains comédiens ont pris le parti de « crier » leur texte ; ainsi, outre le fait que cela gêne parfois la compréhension des textes, cela annule toute forme possible d’émotion, et peut même aller jusqu’au contresens : c’est le cas lorsque la comédienne incarnant « la timide Aricie » se permet de hurler, de vociférer sur Thésée…
Le comédien le plus remarquable – au sens étymologique du terme – est indéniablement Julien Tiphaine qui incarne Thésée. Il apporte une humanité et une douleur au personnage, transformant le héros invincible en homme blessé. En effet, Thésée, salué selon la mythologie comme un grand héros grec, fils spirituel et successeur d’Hercule, apparaît dans ces deux pièces amoindri de ses qualités. Comme l’explique le comédien, « dans Hippolyte et dans Phèdre, nous nous intéressons à un Thésée moins glorieux, plus humain, avec ses failles, sa roublardise, un héros qui s’est autant accompli par la force que par la ruse – Égée nous rappelle qu’il a drogué le Minotaure avant de le tuer – et grâce aux femmes qu’il a séduites […]. C’est donc un homme fatigué, diminué par quatre années passées aux Enfers, qui rentre chez lui et qui aspire à la paix et au repos, mais qui, trompé par sa femme et victime de la malédiction qui pèse sur sa famille, provoquera la chute de sa maison en demandant la mort de son fils au dieu Neptune. »
Deux beaux moments d’émotion pure sont enfin à saluer dans les deux pièces : il s’agit d’un moment musical – des chants baroques accompagnés d’une mélodie – dans l’Hippolyte de Garnier et la scène finale du récit de la mort d’Hippolyte par Théramène, sorte de grâce absolue et terriblement émouvante.
Ce qui sera la dernière mise en scène de Christian Schiaretti au TNP restera certainement à la fois comme un hommage rendu à la mise en lumière d’un personnage par deux auteurs à un siècle d’intervalles, mais également comme la volonté du metteur en scène de signifier la visée du théâtre : « Ce spectacle raconte mon parcours d’homme de théâtre, sans doute. La fulgurance de mon imaginaire de jeunesse était du côté de Garnier et la résolution contrainte me mène à Racine… C’est un bilan personnel et une tension inscrite dans l’histoire de notre langue, dont le théâtre public est l’un des porteurs. Nous avons un rôle pédagogique, d’exemplarité, que la modernité oublie parfois. »
Ainsi, ce diptyque illustre-t-il pour Christian Schiaretti un nécessaire retour aux sources pour mieux lire et dire notre époque…
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Hippolyte – Phèdre, de Robert Garnier et Jean Racine, deux mises en scène de Christian Schiaretti, au TNP de Villeurbanne jusqu’au 1er décembre.
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Crédits photographiques : Michel Cavalca