Francophonie – La langue française de plus en plus écartée à l’ONU
Le français est « en recul » à l’ONU et dans d’autres instances internationales, au profit de l’anglais, mettant en jeu sa « crédibilité » et « la démocratie », selon Michaëlle Jean, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
[avec AFP]
« Ce qui pose problème, c’est d’assister au recul du respect de l’obligation de tenir compte du français comme langue officielle et de travail dans les organisations internationales », précise lors d’un entretien avec l’AFP Michaëlle Jean, qui s’en est entretenue mardi avec le patron de l’ONU, le francophile Antonio Guterres.
Une crédibilité en cause
Pour faire des économies, l’ONU aurait récemment décidé de ne plus avoir à l’avenir de vidéos sur internet en plusieurs langues des réunions publiques hors Conseil de sécurité, selon des sources concordantes. Elles ne seraient disponibles qu’en anglais, imposant pour retrouver des séances d’avoir recours sur des moteurs de recherche à des mots-clés dans la langue de Shakespeare.
« Avec le secrétaire général de l’ONU, nous tentons de rattraper cette situation, ajoute la patronne de l’Organisation internationale de la Francophonie. Pour nous, ce n’est pas convaincant de dire que l’ONU connaît des compressions budgétaires considérables. Ce qui est en jeu est plus grave que cela, quand on fait cela, c’est grave, même pour la crédibilité de l’organisation. »
Parfois, une même phrase russe donne lieu à des traductions différentes, a constaté récemment l’AFP. Est-ce à dire que toutes les langues rares sont traduites en anglais avant d’être retraduites en français? « Plusieurs interprètes traduisent directement du russe, de l’arabe et de l’espagnol vers le français, sans passer par l’anglais », assure le service de communication de l’ONU, interrogé à ce sujet.
Langue unique : péril pour la démocratie internationale
Selon Michaëlle Jean, le recul vient d’un « laisser-faire et d’une organisation qui est devenue très sélective. Elle invite, mais elle va privilégier ceux et celles qui sont en capacité de s’exprimer en anglais plutôt que dans leur langue. C’est tout à fait contreproductif et cela va à l’encontre de la vocation de cette organisation internationale multilatérale ».
À l’ONU, il arrive trop souvent que des intervenants lors de réunions ne parlent qu’en anglais, y compris parfois Antonio Guterres, relève aussi la patronne de l’OIF.
« Ce qui est mis en péril, c’est la démocratie internationale, poursuit Michaëlle Jean. La démocratie internationale et une langue unique, ce n’est pas compatible. C’est un déficit de participation, de perspectives. Dès lors que les documents ne sont produits qu’en anglais, beaucoup de pays se trouvent désavantagés. »
À l’ONU, comme ailleurs, les textes sont effectivement souvent diffusés en anglais avant de l’être en français… lorsqu’ils le sont. Ainsi, le projet en 25 pages d’un Pacte mondial sur les migrations censé être adopté à la fin de l’année n’a été diffusé qu’en anglais.
Une démission collective au nom de l’efficacité
Il vaut mieux n’avoir qu’une langue pour les négociations, ont argué les pays facilitateurs, Mexique et Suisse, tous deux membres de l’OIF, rapporte sa cheffe. Un danger souligné en son temps par un candidat à la présidence de la République tel que François Asselineau, qui en avait fait l’un de ses principaux chefs de bataille.
« Je n’ai rien contre l’anglais. Ce que nous défendons, ce n’est pas le français pour le français, c’est le multilinguisme. Nous croyons essentiel que les populations entendent résonner leur langue et que les pays ici [à l’ONU] soient à égalité. En ne prenant que l’anglais, avec 1 500 mots, on referme le cercle et ça avantage certains pays par rapport à d’autres. Et ça c’est une injustice totale et ça crée un déficit majeur », estime Michaëlle Jean.
L’OIF, basée à Paris, compte 58 États et gouvernements membres, ainsi que 26 pays observateurs.