François Ozon : « Comment passer après Lubitsch ? »
Avec Frantz, son 16e long métrage, François Ozon s’est lancé pour la seconde fois de sa carrière dans un film d’époque, plongeant en 1919, dans l’immédiat après-guerre, au coeur de l’Allemagne vaincue, pour un récit dramatique et romanesque interprété par Paula Beer et Pierre Niney, qui a été présenté en compétition à la 73e Mostra de Venise. Adepte des citations visuelles, de Truffaut à Visconti, François Ozon s’inscrit cette fois-ci dans le sillage d’Ernst Lubitsch. Rencontre.
Étiez-vous inquiet à l’idée de vous confronter à un auteur aussi aimé et important qu’Ernst Lubitsch qui avait adapté la même histoire avec L’homme que j’ai tué ?
Quand j’ai eu l’idée de Frantz, je ne savais pas que le film de Lubitsch existait. Je suis parti d’une pièce de théâtre d’un auteur français, Maurice Rostand, qui a été écrite dans les années 20, et j’ai beaucoup aimé cette histoire d’un jeune homme français qui vient déposer des roses sur la tombe d’un soldat allemand. J’ai commencé à travailler sur ce texte et très vite, je me suis rendu compte qu’il avait déjà été adapté dans les années 30 par Lubitsch. Au début, je me suis dit : « bon, je vais laisser tomber, parce que comment passer après Lubitsch ? » Mais, quand j’ai découvert le film de Lubitsch, je me suis rendu compte que le point de vue était très différent de ce que je voulais faire. Pour moi, c’était très important de raconter l’histoire du point de vue des Allemands, du point de vue de ceux qui ont perdu la guerre, et du point de vue de cette jeune fille allemande. Donc, très vite, je suis parti dans une autre direction. Bien sûr, j’ai gardé certains aspects du film de Lubitsch que je trouvais très beaux, notamment cette scène dans le « gasthaus » quand le père de Frantz vient parler aux autres pères du fait de trinquer à la mort des leurs enfants victimes de la guerre. Et puis, l’autre chose qui changeait vraiment la perspective, c’est que Lubitsch a fait ce film dans les années 30 sans savoir qu’une seconde guerre mondiale qui allait arriver. Forcément, avec mon recul, mon point de vue était différent. Enfin, ce que j’aimais aussi, c’est que moi, en tant que cinéaste français, je racontais l’histoire du point de vue d’une jeune Allemande, alors que Lubitsch qui était lui-même allemand racontait l’histoire du point de vue du Français : je trouvais que c’était une belle réponse au film de Lubitsch.
Pour le scénario, à quel point avez-vous été fidèle ou non à la pièce de Rostand ?
La pièce et le film de Lubitsch se terminent avec Adrien qui prend la place de Frantz. Il me semblait que ce n’était plus possible de raconter ça aujourd’hui. En fait, toute la seconde partie où l’on suit Anna, sa dépression et quand elle vient en France, n’existait pas dans la pièce, et la dernière scène non plus. Mon film est vraiment construit en miroir, entre deux pays, deux cultures, deux personnages. Au début, on est plus du point de vue d’Adrien, puis après du point de vue d’Anna, et c’était important pour moi de mettre en perspective ces deux parties du film, qu’à chaque fois une scène renvoie à l’autre.
Quid de l’utilisation ponctuelle de la couleur qui semble correspondre à des moments heureux, oniriques ?
Très vite, en faisant les recherches et les repérages pour le film, je me suis rendu compte que, pour la reconstitution, raconter cette histoire en noir et blanc allait donner plus de force et de véracité. Parce que notre mémoire de la guerre est en noir et blanc : toutes les archives qu’on connait et qu’on a vues à la télévision le sont. Je me suis dit que ce serait un moyen d’imprégner encore plus le spectateur dans cette histoire. Et aussi, d’un point de vue esthétique, il me semblait que c’était une période de deuil et de souffrance et qu’on a du mal à imaginer cette période en couleurs. Après, mon goût naturel va vers la couleur et je me suis dit que ce serait quand même très bien de l’utiliser, notamment par rapport à certains décors. A la jeune fille qui cherchait les décors de la campagne en Allemagne, j’avais donné comme référence, les tableaux du peintre Caspar David Friedrich. Elle a trouvé ce paysage très beau que j’avais très envie de filmer en couleurs. Donc l’idée est venue que la couleur, à certains moments, imprègne le film comme si la vie reprenait. Elle ne vient pas de manière rationnelle, elle est plus émotionnelle et de l’ordre de la sensation.
Pourquoi avoir utilisé les deux langues dans le film, le français et l’allemand ?
Pour moi, c’était très important d’utiliser les vraies langues, parce que l’histoire parle de la culture française et de la culture allemande, et c’est une confrontation entre deux pays. Et il semblait aussi que la langue permettait de mieux faire accepter la situation quand Adrien arrive dans cette famille allemande. On sent le barrage de la langue qui empêche également la communication. Donc, il y avait un jeu avec ça. Pour les comédiens, c’était beaucoup de travail, surtout pour Pierre Niney qui ne parlait pas du tout allemand, alors que Paula Beer parlait un peu français. Mais c’était important de garder cette vérité. Je pense que les spectateurs ont maintenant un peu du mal avec cette convention hollywoodienne qui fait que dès qu’un film se passe en Europe, tout le monde parle anglais avec un accent, et qu’ils ont envie de plus de véracité.
Fabien LEMERCIER
https://www.youtube.com/watch?v=XO_z5BRsFnM