Florence Berthout, femme politique et protectrice des arts
Pour la cinquième année consécutive, du 15 au 22 mai prochains, le festival Quartier du Livre envahira les moindres recoins de la montagne Sainte-Geneviève : quelque 120 auteurs et 45 000 visiteurs sont attendus lors des 250 événements organisés. Profession Spectacle a rencontré la fondatrice du projet et maire du Ve arrondissement, Florence Berthout.
Membre du parti Les Républicains, Florence Berthout est de ces personnalités politiques qui ont un lien étroit avec les arts et la culture. Diplômée de l’Institut d’études politiques de Bordeaux et de l’Institut régional d’administration de Lille, forte par ailleurs d’une longue carrière au sein de plusieurs ministères, elle dirige plusieurs années le parc et la grande halle de la Villette (2007-2016).
Le 30 mars 2014, elle succède à Jean Tibéri comme maire du Ve arrondissement. Un an plus tard était lancé, à son initiative, le festival Quartier du livre. Deux ans plus tard, elle devient présidente du Fonds régional d’art contemporain Île-de-France, en même temps qu’elle commence à animer une émission littéraire hebdomadaire sur la station de radio de la Communauté Juive (RCJ).
Entretien avec Florence Berthout.
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Quel constat vous a conduite à la création du festival Quartier du Livre ?
Quand j’ai été élue maire, j’ai constaté que les maisons d’éditions et les librairies disparaissaient ou se réduisaient comme peau de chagrin, et que la seule manière d’enrayer ce mouvement était d’avoir une pluralité d’actions. Tout d’abord, je suis intervenue auprès de la Semaest, société d’économie mixte, pour l’inciter à acheter des rez-de-chaussée – nous en sommes à six ou sept aujourd’hui – afin d’y installer une activité culturelle. La création du festival Quartier du Livre m’est également apparu comme une évidence dans ce cadre précis que sont la montagne Sainte-Geneviève et le quartier Latin. J’avais l’intuition qu’un festival, à la fois exigeant et populaire, pouvait aussi contribuer à réconcilier les intellectuels et les commerçants, des Parisiens et Parisiennes qui ne lisent plus de livres, n’achètent plus de journaux…
Une personnalité politique qui s’empare aussi directement des questions artistiques pourrait paraître suspecte aux yeux des artistes. La création de ce festival, pour évident qu’il vous est apparu, fut-elle facile ?
Il a vraiment fallu porter le projet sur les fonts baptismaux à bout de bras en 2015, parce que le politique est effectivement toujours un peu suspect quand il s’intéresse de près à la culture. C’est tout le paradoxe ! Souvent, on reproche aux femmes et aux hommes politiques de ne pas s’intéresser à la culture, mais quand ils s’y intéressent sincèrement, avec beaucoup d’énergie, il y a toujours une forme de suspicion.
Comment échapper à cette attente contradictoire ? En s’investissant d’une manière singulière et authentique, en étant soi-même passionné et convaincu qu’on ne peut rien faire sans la culture, on peut échapper ou tenter d’échapper à cette critique. Nous sommes dans un monde qui est totalement en perdition, envahi par la médiocrité, cette culture de l’à peu près qu’on voit sur les réseaux sociaux. Pour lutter contre ça, il faut promouvoir et encourager d’autres formes de culture.
En quoi les livres vous apparaissent-ils comme une voie possible ?
Le livre n’est pas la purge que l’on impose parfois à ses collégiens et lycéens, qui n’en découvrent que la dimension professorale et rarement celle charnelle. Il faut faire entrer les publics les plus éloignés de la culture par la chair, au sens littéral du terme. J’ai la faiblesse de penser qu’on peut aimer un livre, dans un premier temps, sans y comprendre grand-chose, grâce aux images qu’il génère, en raison des conditions ou du lieu où on l’a lu…
Comment avez-vous construit concrètement ce festival ?
J’avais initialement l’idée d’organiser des événements dans les librairies et chez des commerçants, avec une exposition fédératrice. Nous avons fait la tournée des popotes, d’une manière expérimentale je le reconnais, jusqu’à nous faire renvoyer dans nos pénates à certains endroits. Mais il y avait une telle volonté de bien faire – j’avais déjà fait racheter deux rez-de-chaussée de librairies, en même temps que je commençais en 2016 à animer mon émission littéraire sur RCJ – que l’année d’après, nous avons reçu un bon accueil. Aujourd’hui, nous n’avons pas à rougir de la comparaison avec des événements tels que le Salon du Livre, à la différence que nous organisons tout ça avec trois bouts de ficelle.
Quel budget consacrez-vous à l’événement ?
Notre budget total, hors échanges marchandises, est de 35 000 euros, auxquels s’ajoutent 15 000 euros donnés par la Sofia [Société française des intérêts des auteurs de l’écrit, NDLR] pour la rémunération des auteurs qui interviennent officiellement lors de débats, de conférences ou de ballades littéraires, c’est-à-dire dans le cadre de prestations autres que simplement venir dédicacer leurs livres. Tout ça repose sur l’amitié : les auteurs viennent parce qu’ils voient qu’on se bat avec eux et pour eux.
Quels sont les moments forts de cette cinquième édition ?
Nous mettons l’accent, depuis les débuts, sur la médiation culturelle : la médiation, c’est aller vers l’autre et lui donner des outils pour comprendre les arts. Nous organisons par exemple un parcours pour les lycées d’Île-de-France, des lycéens de ZEP, qui les emmène de Paris I à la librairie éphémère en passant par le Panthéon. Plus généralement, notre fil rouge cette année est l’Europe, tandis que Patrick Poivre d’Arvor, écrivain connu, à la fois exigeant et grand public, sera notre parrain, afin de donner une visibilité et susciter l’envie de goûter à ce festival. Évidemment, il y aura toute cette semaine des signatures, des conférences, des manifestations musicales, de la danse…
Quelle place accordez-vous à la poésie et – surtout – au théâtre ?
Nous avons des rencontres poétiques tous les premiers lundis du mois à la mairie du Ve arrondissement. La poésie sera évidemment présente au festival : en plus de la venue de plusieurs poètes, Éric Poindron organisera par exemple un Cabinet de curiosités. Nous avons par ailleurs une nuit de la poésie dans le Panthéon, en partenariat avec le Marché de la Poésie et Bibliothèque sans frontières : ce sera le samedi soir, en même temps que la Nuit des musées. Pour le théâtre, c’est plus compliqué. Nous avons créé des passerelles avec le théâtre de la Contrescarpe et celui de la Huchette, qui accueillera le concours d’éloquence d’une association étudiante de jeunes avocats, mais ne sommes pas des organisateurs de spectacles. Nous fédérons, mais chaque partenaire organise. Concernant le texte de théâtre, nous avons encore à progresser. Faute de budget et de moyens humains, nous ne couvrons pas encore tous les secteurs. Mais notre écosystème se met progressivement en place, s’enrichit peu à peu, pour le festival et durant toute l’année.
Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER