Festival d’Avignon 2019 : cap sur les « odyssées contemporaines »
Olivier Py vient de dévoiler sa programmation pour le 73e festival d’Avignon, qui aura lieu du 4 au 23 juillet prochains. Cap sur les « odyssées contemporaines », thématique qui unit le passé et le présent, qui invite aux retrouvailles avec les épopées antiques et à l’écriture de récits contemporains : Europe, migration, exil… Autant de thèmes dorénavant omniprésents sur la scène française.
Au menu : quarante-trois spectacles dont trente-trois créations et vingt-six coproductions, ainsi que deux expositions. Pascal Rambert ouvrira la spectaculaire traversée, suivi de Julie Duclos, Alexandra Badea, Michel Raskine, Maëlle Poésy ou encore Laurent Gaudé. Un hommage sera notamment rendu à Patrice Chéreau.
« L’odyssée, c’est le voyage en général, explique Olivier Py, le voyage d’un migrant, des exilés, dans la Méditerranée, qui ressemble de nos jours à une tragédie ; c’est aussi une aventure d’après-guerre […] C’est la rencontre de l’autre, de l’étranger. » Et le directeur artistique du festival de nous rappeler que pour Homère, l’odyssée ne traversait pas seulement la réalité de la Méditerranée ; il était encore un périple dans tout le monde connu pour l’époque.
Plusieurs sous-thèmes sont évoqués par le maître des lieux avignonnais : l’Histoire, l’autobiographie, le colonialisme, l’écologie… « Il y a toujours une lutte entre la grande Histoire et les petites histoires de chacun », développe-t-il. La culture a ainsi pour but de faire « entendre tous les petits destins habituels […] notamment ceux qui n’ont pas accès à la parole. »
Ouverture avec Pascal Rambert
L’information avait déjà fuité depuis plusieurs semaines : Pascal Rambert aura la lourde charge d’ouvrir le 73e festival d’Avignon, dans la Cour d’honneur du Palais des papes, le 4 juillet prochain, avec Architecture. « Je suis extrêmement fier d’avoir un auteur vivant dans la Cour d’honneur », a confié Olivier Py, directeur artistique du festival, lors de la conférence de presse qui s’est déroulée à Avignon hier, mercredi 27 mars.
L’histoire, qui n’est pas sans lien avec celle des Damnés, pièce maîtresse du festival d’Avignon en 2016 dans la mise en scène d’Ivo van Hove avec la troupe du Français, est celle d’une famille au début du XXe siècle, jusqu’à l’Anschluss. Pascal Rambert dit vouloir raconter « l’enfer d’une famille européenne qui, à un moment donné, s’est effondrée sur elle-même ». La distribution s’annonce d’ores et déjà imposante en raison des grands noms qui la constituent : Emmanuel Béart, Audrey Bonney, Denis Podalydès, Jacques Weber, Stanislas Nordey…
Si Olivier Py se réjouit de mettre le festival « sous l’emblème du renouvellement esthétique », en invitant trente-trois artistes pour la première fois, dont une dizaine d’auteurs vivants, Pascal Rambert n’est pas de ceux-là : l’auteur et metteur en scène avait créé Clôture de l’amour, avec Audrey Bonnet et Stanislas Nordey, lors du festival en 2011.
Place aux femmes !
L’an dernier, Carole Thibault avait poussé un coup de gueule retentissant, non sans excès (volontaire), sur la place des femmes dans le festival d’Avignon, discours devenu viral sur les réseaux sociaux qui se nourrissent abondamment des colères : « Mets-toi bien ça dans le crâne, petite bonne femme créatrice : la Cour d’Honneur et les Molières ne sont pas pour toi. […] Cette année, sur la totalité des spectacles et expositions programmées dans le festival In, on recense 25,4 % d’artistes créatrices. Et encore on peut remercier la SACD qui exige dans les Sujets à vif la parité. Sans ces petites formes performatives de seulement trente minutes chacune, (il ne faut rien exagérer non plus !), on ne serait même pas à 20% de créatrices dont les spectacles sont programmés. »
Si les statistiques sont devenues aujourd’hui la nouvelle norme, malgré – heureusement – quelques voix discordantes et plus nuancées, nous ne nous y plierons pas en calculant le pourcentage exact de femmes dans la programmation 2019. Sont-elles à parité ? Peu nous chaut le sexe, pourvu qu’il y ait la qualité… Reste qu’à l’énoncé des pièces à venir, elles semblent être bien présentes ; Olivier Py a entendu le message.
Blandine Savetier aura la lourde mission de prendre à son compte le feuilleton sur L’Odyssée d’Homère, au jardin Ceccano : « Chaque île où Ulysse s’échoue va lui permettre d’acquérir un savoir nouveau et le transformer, explique-t-elle. Le récit d’une continuité dans la métamorphose. Homère ne déroule pas une vision du monde, il met en regard diverses visions du monde. »
Julie Duclos s’attaque au périlleux chef-d’œuvre de Maurice Maeterlinck, Pelleas et Melisande, qui « parle d’un amour d’interdit, mais dénué d’enjeu bourgeois. C’est un amour tragique, où les amants semblent reliés par la mort qui plane au-dessus. »
Christiane Jatahy, au-devant de la scène médiatique il y a deux ans avec sa mise en scène de La Règle du jeu à la Comédie-Française, nous revient avec une pièce intitulée Le Présent qui déborde : « Je suis partie à la recherche d’Ulysse réels qui pouvaient témoigner de leurs vies d’exil, en résonance avec les péripéties vécues par le Ulysse de Homère. »
Irène Bonnaud proposera quant à elle un spectacle itinérant, une « fable picaresque à épisodes » intitulée Amitiés, tandis qu’Alexandra Badea mettra en scène le deuxième volet de sa trilogie sur les Points de non-retour initiée l’an dernier au théâtre de la Colline : [Quai de Seine] porte sur « la figure du disparu [qui] a toujours été au centre de [s]on écriture ». Un couple se retrouve séparé à Paris le jour de la terrible manifestation du 17 octobre 1961. « Au théâtre, on se doit de déplacer le personnage, de le faire se transformer. Dans nos vies, c’est ce que nous cherchons à faire, parfois sans y parvenir. »
Signalons par ailleurs le retour de Maëlle Poésy qui avait présenté, lors de l’édition 2016, Ceux qui errent ne se trompent pas ; elle présentera, avec le dramaturge Kevin Keiss, compagnon artistique depuis plusieurs années, Sous d’autres cieux, librement inspiré de L’Énéïde, dont on entendra quelques fragments.
Après son adaptation de La Fuite de Boulgakov, Macha Makeïeff propose un spectacle mettant en miroir Lewis Carroll et la petite Alice. « Pour moi, la petite fille n’est pas seulement un intermédiaire pour parler de lui : “il” est “elle”, Lewis est Alice. » Intitulé Lewis versus Alice, ce spectacle (pour adultes !) se donné à La FabricA. « Ce qui m’obsède, ajoute l’actuelle directrice de La Criée à Marseille, c’est l’incertain du personnage qui rejoint l’incertain de l’écriture. »
Célia Gondol et Nina Santes offriront à leur public un concert chorégraphique intitulée A Leaf. Céline Schaeffer s’appuiera sur Maeterlinck pour mettre en scène La République des abeilles aux Pénitents blancs. « Les abeilles sont comme des sentinelles, explique-t-elle, elles nous donnent le LA de ce qui arrive dans la nature. »
Citons encore la grande poétesse américaine Naomi Wallace, dont le texte La Brèche sera mis en scène par le jeune Tommy Milliot, l’Irakienne Tamara Al Saadi qui, avec Place, a remporté le prix Impatience l’an dernier, ou encore Sonia Wieder-Atherton, qui propose avec La nuit des odyssées un voyage en treize stations.
Un focus sur la Chine, notamment avec Kirill Serebrennikov
Trois spectacles chinois ou évoquant la Chine sont au programme, dont « le plus impressionnant » selon Olivier Py est sans nul doute La maison de thé, de Jinghui Meng, figure importante du théâtre contemporain chinois. L’Opéra d’Avignon se transformera ainsi, pour quelques jours, en une maison de thé célèbre à Pékin, dans laquelle se rendent plus d’une soixantaine de personnages sur trois époques (1898, les années 1920, et juste après la fin de la Deuxième Guerre mondiale), du moins selon le texte écrit par Lao She (1899-1966), écrivain qui se serait suicidé au lendemain de la Révolution culturelle.
Autre texte, qui sera donné au Benoît XII : Ordinary people, chorégraphie de Wen Hui et Jana Svobodová, deux femmes qui dénoncent la terrible expérience communiste afin de célébrer la liberté. « Nous avons toutes les deux fait l’expérience de la vie sous le système totalitaire communiste, insiste Jana Svobodová, et nous croyons à la liberté personnelle de tout être humain. »
Le dernier spectacle en lien avec la Chine sera mis en scène par le célèbre artiste russe Kirill Serebrennikov, plus connu aujourd’hui en France pour le procès en détournement de fonds publics, procès que nombre d’artistes qualifient de politique, que pour son travail artistique, à l’exception de Leto, film présenté en sélection officielle au festival de Cannes 2018 et paru sur les écrans français en décembre dernier. Il a choisi de construire un spectacle d’après les photographies et les poèmes de Ren Hang, artiste souvent inquiété par les autorités chinoises pour la nudité et la crudité de son travail et qui, dépressif, s’est suicidé à l’âge de vingt-neuf ans.
Olivier Py, Michel Raskine et Milo Rau
Olivier Py mettra en scène, au gymnase Mistral, L’Amour vainqueur, un « conte initiatique où les désirs des enfants sont ce qui est essentiel au monde de demain ». Le directeur artistique du festival d’Avignon s’interroge : « Que peut le théâtre face à la misère du monde ? » Il voit dans le conte un lieu d’inspiration, hier comme aujourd’hui, ici et partout ailleurs. « Les contes sont internationaux, certains contes ont inspiré Shakespeare, comme pour Le Roi Lear, et peuvent pratiquement se retrouver dans les mêmes termes chez les frères Grimm. »
Michel Raskine qui avait présenté Nature morte au gymnase du lycée Saint-Joseph en 2014, revient avec un texte de Marie Dilasser pour offrir un spectacle jeune public, qui sera donné dans la chapelle des Pénitents blancs : Blanche-Neige, histoire d’un prince : Blanche-Neige sera jouée par un homme, tandis que le prince sera interprété par une femme. La raison ? Simple comme la modernité ; « Toute l’histoire du théâtre occidental est une revisitation incessante d’archétypes. »
Milo Rau présente Histoire(s) du théâtre II, dont il a décidé de confier la mise en scène au danseur et chorégraphe congolais Faustin Linyekula. « La notion d’Histoire, et de partage d’histoires, est centrale dans mon travail, explique ce dernier. J’ai voulu redonner un nom à ces êtres, un visage à ces masques, à tous ces gens qui m’ont fait rêver. »
Cour d’honneur, Patrice Chéreau et les autres
La Cour d’honneur accueille Outwitting the devil d’Akram Khan, titre qui n’est pas sans faire penser à l’ouvrage de l’auteur américain Napoleon Hill, qui met en scène un entretien entre lui et le diable. Dans le cas présent, le diable est d’abord et avant tout l’homme qui détruit la planète. Le chorégraphe britannique, qui allie danse contemporaine et kathak indien, veut mettre en miroir la souffrance du corps et du danseur avec celle de la planète tout entière. « Il est question de destruction, de violence, de culpabilité et déjà de notions d’écologie, confirme-t-il. Duper le Diable serait aussi, d’une certaine façon, nous tromper nous-mêmes. »
Roland Auzet mettra en scène Nous l’Europe, banquet des peuples, de Laurent Gaudé, avec le chœur et la maîtrise de l’Opéra d’Avignon, tandis que le poète Clément Bondu proposer une pièce en trois parties intitulée Dévotion, dernière offrande au dieu mort. Jean-Pierre Vincent mettra en scène, avec les élèves du théâtre national de Strasbourg, L’Orestie, trilogie dramatique d’Eschyle dont on pense qu’elle est à l’origine de l’idée démocratique.
Pour que la liste soit complète, il faudrait mentionner la compagnie Kukai Dantza, le chorégraphe burkinabé Salia Sanou, Yacouba Konaté, Henri Jules Julien, Tigana Santaná, Martin Crimp et Daniel Jeanneteau, Wayne McGregor, Stefan Kaegi et Rimini Protokoll…
Un hommage à Patrice Chéreau sera fait, avec des projections de films et notamment une lecture de Dominique Blanc. Deux expositions sont prévues : la première d’Ernest Pignon-Ersnet au Palais des papes, la seconde d’Aki Kuroda au musée Lapidaire.
La soirée de clôture sera sous la forme d’un grand concert conclusif, avec la musique de 120 battements par minute, qui a reçu le César de la meilleure musique de film 2018, et qui sera jouée par Rebotini et le Don Van Club dans la Cour d’honneur.
Festival d’Avignon en quelques chiffres
– 4-23 juillet 2019
– 43 spectacles dont 33 créations et 26 coproductions, 2 expositions
– 10 écrivains vivants
– 33 artistes ne sont jamais venus au festival
– 400 rendez-vous et 280 levers de rideau.
– 140 à 150 000 billets, dont 112 000 à la vente
– 8 juin : ouverture de la billetterie au cloître des Carmes
– 20 % du public gagne moins du salaire médian