Faire semblant
Avouons-le : tous, nous faisons comme si… Il nous faut vivre le présent, le nez dans la pandémie et devant les portes closes des théâtres, guettant le moindre entrebâillement de portes.
Il faut bien en arriver à cette conclusion qu’en ces temps troubles de pandémie, de couvre-feu, de confinement, de déconfinement, de parcimonieuses ouvertures puis de généreuses fermetures des lieux de spectacles – avec toutes les promesses que l’on reporte d’un mois à l’autre, et qui accompagnent ces mesures – nous sommes un bon nombre à faire comme si nous vivions encore (on me dira que nos responsables politiques font bien semblant de gérer la crise, mais ceci est un autre problème). Oui, je l’avoue, je fais comme si…
Comme si je vivais normalement.
Comme si je continuais à aller au théâtre
Comme si j’écrivais des critiques
Comme si d’hypothétiques lecteurs finiraient par les lire !…
Comme si…
Je fais même comme si… de rien n’était ! et continue ainsi mes vagabondages théâtraux, faisant mine de parler de ci, de ça, des mille et une « futilités » de ce qui n’est plus qu’un lointain souvenir enfoui au plus profond de ma mémoire : la représentation théâtrale in vivo et ses à-côtés. Tout le monde fait comme si, et pour un peu nous serions « tellement heureux » de nous retrouver dans des salles au 4/5e vide entre quatre collègues, cinq programmateurs et six amis du metteur en scène et des comédiens, à assister à un spectacle dit vivant, bien loin des ersatz filmés, mis en ligne en vidéo, en streaming, etc. C’est l’ère de la contrefaçon, celle qui consiste à faire passer des vessies pour des lanternes. On se console comme on peut.
À ce stade, et à tout prendre, il vaudrait mieux encore s’exercer à un autre jeu (je l’ai fait autrefois) celui des « Je me souviens », à la Georges Perec, plaisante et ludique tentative pour plonger dans notre mémoire théâtrale. Mais foin de nostalgie, n’est-ce pas ? Il nous faut vivre le présent, le nez dans la pandémie et devant les portes closes des théâtres. En attendant nous sommes devenus des guetteurs, des fois que lesdites portes s’entrebâilleraient, annonce d’une prochaine ouverture… Guetteurs attentifs du moindre signe de reprise des mauvaises habitudes, celle d’aller au théâtre voir des spectacles qui n’en valent pas toujours la peine, mais au moins est-ce à nous d’en juger ! Nous guettons, comme certains ont l’œil rivé sur le thermomètre, pour savoir si tel ou tel festival a une petite chance de pouvoir se tenir (peu importe comment d’ailleurs) : invraisemblable suspense.
Pendant ce temps-là notre chère ministre de la culture a étalé ses tripes sur une table (entendez par là qu’elle s’est battue pour la réouverture des lieux de spectacle, c’est elle qui le disait) ; on est touché, même si c’est peu ragoûtant. Avec tant d’efforts elle n’a pas pu échapper au virus, sans doute touchée en plein service commandé… Et voyez, les responsables du Festival d’Avignon viennent tout dernièrement de tenir leur conférence de presse de la prochaine édition qui doit se dérouler en juillet prochain. Qu’ont-ils fait sinon faire comme si celle-ci aurait effectivement lieu ? Que pouvaient-ils faire d’autre d’ailleurs ? Au moins auront-ils eu l’élégance de dire qu’ils faisaient « comme si »… Alors continuons sur cette lancée.
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Critique dramatique et rédacteur en chef des Lettres Françaises, fondateur et rédacteur en chef de la revue Frictions, Jean-Pierre Han est une des plumes incontestées du monde théâtral, privilégiant une approche essentiellement politique. “Vagabondage théâtral” est sa chronique mensuelle pour les lecteurs de Profession Spectacle.