Facteur Cheval : incroyable Monsieur Gamblin !
À l’occasion de la sortie le 16 janvier du film L’Incroyable histoire du facteur Cheval, du réalisateur Niels Tavernier, avec Laetitia Casta dans le rôle de son épouse, Jacques Gamblin revient sur l’un des rôles les plus marquants de sa carrière…
Fin XIXe siècle, Joseph Ferdinand Cheval (Jacques Gamblin) est un simple facteur qui parcourt chaque jour la Drôme, de village en village. Solitaire, il est bouleversé quand il rencontre la femme de sa vie, Philomène (Laetitia Casta). De leur union naît Alice. Pour cette enfant qu’il aime plus que tout, Cheval se jette alors dans un pari fou : lui construire de ses propres mains un incroyable palais. Jamais épargné par les épreuves de la vie, cet homme ordinaire n’abandonne pas et consacre trente-trois ans de sa vie à bâtir une œuvre extraordinaire à Hauterives dans la Drôme : « Le Palais idéal ».
Entretien exclusif avec Jacques Gamblin.
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Connaissiez-vous l’histoire vraie du facteur Cheval ?
Pas bien non. Je ne savais pas si c’était réel ou plutôt une légende. Qui était Cheval ? Je suis vraiment rentré dans la connaissance de cette histoire grâce au film. Après, je me suis imprégné de ce personnage au travers de son grand voyage intérieur.
Pourquoi avez-vous accepté de faire ce rôle à la fois très physique et très exigeant psychologiquement ?
L’énigme était passionnante. Il y a sans doute chez cet homme une part de folie, beaucoup de mysticisme et quelque chose aussi de l’ordre du cosmique. Mais une fois qu’on a dit cela, on n’a rien dit, rien n’est résolu, rien n’est expliqué. M’emparer du mystère de cet homme, dont on sait très peu de choses puisqu’il n’a rien laissé à part quelques cahiers, a été pour moi l’un des moteurs de ma motivation.
Le fait que Joseph Ferdinand Cheval soit facteur a-t-il été selon vous déterminant dans son œuvre ?
Je n’ai jamais réfléchi à cela. En dehors du fait que le facteur est un homme qui transmet des informations et des messages, c’est aussi quelqu’un qui apporte de l’imaginaire et du mystère… Son activité de facteur lui a permis de faire ses trente-deux kilomètres par jour. Et pendant sa longue tournée, cela lui laissait le temps de rêver, de voir et d’observer. Je pense que toutes ces heures passées sur les chemins de la Drôme ont nourri son imaginaire, pour cette œuvre qu’il a accomplie toute sa vie. Il y a quelque chose aussi dans l’image du facteur de poétique. Personnellement, j’ai toujours aimé envoyer des lettres et qu’elles soient lues plusieurs jours après. Le facteur est un personnage qui dans l’inconscient collectif a toujours eu une part de poésie.
Pouvez-vous nous parler du soutien inconditionnel de sa femme Philomène ?
C’est tout d’abord un point de vue scénaristique du réalisateur Nils Tavernier et de Fanny Desmarès. Le personnage était déjà, lors de l’écriture, dans cette belle bienveillance. Un amour pour un homme, tel qu’il est. Laetitia a très vite compris que la puissance du rôle résidait en ce point. Elle est là et aime cet homme comme il est. Cela ne se justifie pas, cela ne s’explique pas. Contrairement à beaucoup de nos propres histoires, parfois marquées par les frustrations, nous allons toujours chercher chez l’autre des choses qu’il ne nous donne pas. Et nous avons souvent tort, parce que s’il ne les donne pas, c’est qu’il n’est pas fait pour les donner. Philomène ne prend que ce qu’il lui donne. C’est ce qui est rare, beau et moderne dans cette relation amoureuse. Certes, il lui donne peu de choses, mais elle continue à l’aimer et à l’accompagner quand il est frappé par le découragement, notamment après la mort de leur fille, pour continuer son œuvre. C’est absolument magnifique et je pense que cette histoire romantique est l’un des atouts du film entre ces deux personnages qui se croisent et qui s’effleurent. Comme il y a peu de mots, tout est soulevé et prend de la puissance. Tout cela passe par les corps. C’est une œuvre sur la durée. Il met trente-trois ans à la construire, comme son palais. En ce sens, c’est un film de résistance sur la durée et l’acceptation du temps.
Comment interprétez-vous la sympathie touchante du receveur des postes joué par Bernard Le Coq à l’égard du facteur Cheval ?
J’aime beaucoup dans le film ma relation avec Bernard Le Coq qui joue le receveur des postes. J’avais déjà tourné avec Bernard et j’éprouve une grande tendresse pour lui et une grande admiration pour son travail d’acteur. C’est aussi une très bonne idée de placer, dans cette histoire, des personnages qui restent bienveillants avec le facteur Cheval, alors qu’il est parfois pris par certains de ses contemporains pour un doux dingue. Il était important que l’on comprenne qu’il n’était pas systématiquement rejeté de façon abrupte et définitive par tout le monde. Le fait qu’il y ait, entre autres, ce personnage qui le regarde, qui est un peu un deuxième père pour lui, est primordial. Il ne faut pas oublier que le facteur Cheval a perdu sa mère à onze ans et son père à dix-neuf ans ; le personnage joué par Bernard Le Coq lui permet, dans son silence et sa solitude, d’avoir un peu d’amour et de reconnaissance. Le fait que le receveur des postes ne le juge pas, comme sa femme incarnée par Laetitia Casta, et le prenne comme il est, cela donne de la puissance et de la beauté au film. Chaque fois que mon regard croisait celui de Bernard, j’étais très ému, notamment dans cette scène où je reçois la médaille. C’est à lui qu’il va un peu se confier alors qu’il est son patron. C’est très rare des gens qui ne sont pas des amis, mais vis-à-vis desquels vous ne vous sentez pas jugés.
Qu’est-ce qui caractérise selon vous l’œuvre du facteur Cheval ?
L’obstination et la persévérance. Rien n’a pu écarter Cheval de son projet. Et c’est d’autant plus émouvant qu’il l’a réalisé d’une façon désintéressée, sans aucun objectif de séduction, sans se douter un seul instant que son Palais, sur lequel il s’est arrêté de travailler en 1914, serait déclaré en 1969 par Malraux « Première œuvre d’art naïf » et accueillerait aujourd’hui 170 000 visiteurs par an.
Ce rôle de Cheval aura-t-il marqué l’acteur que vous êtes ?
Sans aucun doute ! Je remercie Niels Tavernier de m’avoir offert un rôle qui restera majeur dans ma vie. C’est mon cadeau de Noël. Au final, il m’a totalement chamboulé. Dans une carrière, on rencontre rarement des personnages qui vous parlent autant. Je mesure ma chance d’avoir pu rencontrer celui-là. J’ai eu l’opportunité dans ma carrière de tourner de très beaux rôles qui restent dans la mémoire des gens. Et puis, il y a eu ce personnage qui est totalement inattendu. Je peux dire que le facteur Cheval, m’a fait voyager très loin…
Après le facteur Cheval, quels sont vos projets ?
Je continue à jouer au théâtre mon spectacle Un homme qui ne tient pas en place. C’est aussi une histoire de correspondance, cette fois-ci par mail avec le navigateur Thomas Coville en 2014, lors de sa quatrième tentative de record du tour du monde à la voile en solitaire. Et puis des projets de films, il y en a plusieurs, je ne suis pas en peine de travail…
Propos recueillis par David RAYNAL
Visite : Palais idéal du facteur Cheval à Hauterives dans la Drôme.
Photographie à la Une – Crédits : David Raynal