« Everybody knows » : entre attente, excitation et risque de déception
Laura (Penélope Cruz) a émigré en Argentine pour y épouser Alejandro (Ricardo Darin). Elle revient en Espagne avec ses deux enfants pour le mariage de sa sœur. Elle y retrouve, dans la joie des festivités, toute sa famille ainsi que Paco (Javier Bardem), son amour de jeunesse, qui a repris l’exploitation viticole familiale. Mais un drame survient la nuit des noces qui va faire remonter à la surface les rancœurs enfouies.
Une lente exposition qui séduit
Everybody knows a fait l’ouverture du festival de Cannes. À l’affiche, le couple de stars sans doute le plus “hype” du moment. Derrière la caméra, un réalisateur iranien rendu célèbre par Une séparation, Ours d’Or à Berlin, César, Golden Globe et Oscar du meilleur film étranger en 2011. De quoi susciter une attente, excitation et risque de déception.
Ashgar Farhadi aurait pu aller se perdre en Espagne, dans un biotope qui n’est pas le sien. Sa première tentative d’expatriation, le trop aride Le Passé, tourné en France en 2013, n’avait pas totalement convaincu. Les premières minutes de Everybody knows font craindre le pire. On s’y croirait dans une sous-histoire de Vicky Cristina Barcelona, l’étape espagnole du tour du monde de Woody Allen – précisément celle où le séduisant Javier Bardem emmène en escapade, dans un bimoteur, Penelope Cruz et Rebecca Hall visiter un village de carte postale de Galice.
Mais lentement le charme opère. Ashgar Farhadi prend son temps pour camper les personnages. Loin de lasser, cette lente exposition séduit. On assiste aux noces comme le ferait un lointain cousin de la famille, relégué à une table périphérique, mais régulièrement réapprovisionné en sangria.
Puis, soudainement, le film change de ton. La tendre chronique familiale vire à l’aigre ; la comédie tourne au drame. Les critiques invoquent à ce sujet Alfred Hitchcock et Ingmar Bergman. Elles ont raison : Hitchcock pour l’intrigue policière ; Bergman pour l’exposition sadique des jalousies domestiques.
Dissection, refoulement et étouffement
Et nos craintes sont apaisées. Farhadi réussit à changer de pays sans perdre son âme. Il y a du mérite. Car d’autres réalisateurs se seraient laissés intimider par des acteurs aussi impressionnants : la fine fleur du cinéma ibéro-américain, avec non seulement le couple-fashionista Cruz-Bardem, mais aussi la star argentine Ricardo Darin et les seconds rôles Eduard Fernández (L’Homme aux mille visages), Bárbara Lennie (La Nina de Fuego) et Ramon Barea (Blancanieves, Abracadabra). Derrière cette artillerie lourde, on retrouve les thèmes chers au cinéaste argentin : la dissection du couple, des traumas refoulés, la loyauté et la fidélité mises à mal…
Tout en reconnaissant la maîtrise formelle de Farhadi et la qualité de sa direction d’acteurs – avec un bémol toutefois pour Cruz, un peu caricaturale dans son rôle de mère éplorée – je n’ai cependant pas été touché par cette histoire, là où j’avais été bouleversé par celle de Une séparation. C’est peut-être l’écueil qui guette ce réalisateur qui, à force de vouloir nous tétaniser par des scénarios si écrasants, risque de nous étouffer.
Asghar Farhadi, Everybody knows, Espagne – France – Italie, 2018, 130mn
- Sortie : 9 mai 2018
- Genre : drame
- Titre original : Todos los saben
- Classification : tous publics
- Avec Penélope Cruz, Javier Bardem, Ricardo Darin, Bárbara Lennie, Inma Cuesta, Elvira Mínguez, Eduard Fernández, Roger Casamajor.
- Image : José Luis Alcaine
- Musique : Javier Limón
- Distribution : Memento Films
En savoir plus sur le film avec CCSF : Everybody knows