Entretien avec Marjorie Fabre : quelle liberté devant la pression familiale ?
Marjorie Fabre est auteure, chorégraphe et danseuse. Sa pièce tout public, Range ton cœur et mange ta soupe, lauréate du concours De l’encre sur le feu, a été mise en maquette au Théâtre 13/Seine en 2016. Elle obtient l’aide à la création de textes dramatiques – ARTCENA 2017 et fait partie des « Coups de cœur » 2018 du théâtre de la Tête Noire, où elle sera mise en maquette le 1er février 2019 à l’occasion des Soirées singulières.
Avec sa pièce Range ton cœur et mange ta soupe, Marjorie Fabre est l’invitée des rencontres ALT pour le mois de Janvier 2019.
La soirée Émulsion Culturelle, ouverte à toutes et tous, aura lieu à Paris au Pitch Me le vendredi 11 janvier. Cette soirée proposera des lectures d’extraits de Range ton cœur et mange ta soupe ainsi que de multiples propositions artistiques inspirées par la pièce.
La soirée Infiltration, sur inscription, aura lieu au Monfort Théâtre le jeudi 17 janvier. Cette soirée est l’occasion de discuter avec l’autrice dans un cadre intime et convivial, et d’échanger au côté de lecteurs et lectrices curieux.
Entretien avec Marjorie Fabre
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Comment résumer Range ton cœur et mange ta soupe ?
Un couple, nommé A et B, réunit les deux belles-familles autour d’un repas pour la première fois. Ces deux familles ne voient pas leur union d’un bon œil… C’est l’histoire de leur parcours malgré la désapprobation de l’entourage, malgré le poids du jugement de celui-ci. La pièce interroge le rapport aux parents, une fois devenu adulte. Comment se situer vis-à-vis de sa famille ? Est-ce que les choix que nous faisons sont totalement libres du regard de nos parents ?
Les personnages se nomment A et B ; tu as choisi de ne pas les “genrer”. Est-ce une pièce sur l’homophobie ?
Au départ, c’était un couple hétérosexuel, mixte culturellement, mal vu par les familles respectives. Nommés A et B pour commencer l’écriture, je souhaitais choisir leurs prénoms plus tard. Puis, très vite, j’ai pensé à des amis qui vivaient des situations similaires mais dont le souci familial venait de l’homosexualité ou d’une mixité sociale. Je me suis dit : « pourquoi m’enfermer ? » Aussi différentes que soient les raisons pour lesquelles une famille désapprouve un couple, je me suis rendu compte que le même mécanisme entrait en jeu, découlant du schéma que les parents imaginent pour leurs enfants. J’ai alors voulu que chaque lecteur ou lectrice, chaque metteur ou metteuse en scène puisse projeter dans la pièce l’histoire qu’il souhaite. C’est ce que j’aime dans le théâtre, chaque personne peut s’emparer du matériau. En tant qu’autrice, je donne une partition qui laisse de la place à l’imaginaire des équipes artistiques et du public.
Il est intéressant de constater que les raisons pour lesquelles le couple est mal vu ne sont jamais nommées précisément dans ta pièce. Ainsi, le principe de « sujet tabou familial » devient dans Range ton cœur et mange ta soupe un libre choix, une arme pour l’équipe artistique qui s’en empare, ou bien pour les lecteurs qui la découvre…
Oui, je voulais évoquer la multiplicité des possibilités et me concentrer sur ce que cette situation fait au couple. Que ressentent les personnes lorsque les familles rejettent l’union, même si le couple est très installé, solide ? Beaucoup de personnes qui ont lu le texte ou vu des maquettes de la pièce ont réagi sur ce que cela leur avait évoqué intimement.
La fin de ta pièce est ouverte. La famille peut-elle reconnaître finalement la légitimité du couple ?
Oui, c’est possible. Dans la vie, il y a des évolutions et j’ai en tête plusieurs exemples positifs, mais le processus est souvent long. C’est pourquoi la pièce ne se finit pas bien ou mal ; elle n’est en quelque sorte pas terminée, la lutte continue. On ne peut pas régler ça en 1h30 de pièce de théâtre !
Une anecdote à partager sur l’écriture de cette pièce ?
En cours d’écriture, j’ai déménagé. En dessous de mon nouvel appartement, il y a des chanteurs lyriques qui donnent leurs cours à domicile et font beaucoup de vocalises. Je travaille chez moi, ça a été une angoisse ! Je me suis alors mise à écouter de la musique, à écrire avec un casque sur les oreilles. J’ai constaté que cela m’aidait à plonger dans l’univers de mes pièces, dans l’émotion des personnages. Par exemple, lorsque A annonce à sa mère qu’il ou elle va se marier, j’avais de la musique africaine dans les oreilles, j’avais besoin d’une musique puissante, énergique. Beaucoup de passages ont été écrits grâce à la musique et au final, je remercie mes voisins !
Pour ta pièce, quels couleur, son et odeur ?
Du rouge, car c’est l’expression d’une colère et d’un amour très fort.
Pour le son, je dirais de la musique, du tango, du rap et de la musique africaine que j’écoutais pendant l’écriture. Mais aussi le silence. Le silence, c’est le temps pour le corps dans la pièce. Je pense notamment aux moments où personne ne sait si les parents vont entrer ou non dans la salle à manger.
Enfin, la bonne odeur du repas familial du dimanche, par exemple celle d’un poulet qui mijote tranquillement, avant que les mâchoires se crispent et que les assiettes volent.
En tant que dramaturge, as-tu des thèmes de prédilection ?
Le rapport parent-enfant, enfant-adulte. Même si ce rapport a évolué au fil des années, je suis toujours surprise par les malentendus, l’incompréhension, la communication qui a du mal à se faire. J’écris aussi sur le thème de l’injustice et sur le fait d’agir, de se rebeller contre celle-ci.
Quel est ton premier souvenir de théâtre ?
Au théâtre de la Criée à Marseille, un choc. J’aimais déjà le théâtre, j’y suis allée frénétiquement dès que j’ai pu y aller seule. Ce soir-là, c’était Le Roi Cerf de Carlo Gozzi, mis en scène par Beno Besson. Du théâtre fabulesque, c’était un émerveillement. Pendant une semaine ensuite, les images de la pièce me revenaient en tête durant la journée. Cela s’était imprimé en moi, j’ai trouvé ça incroyable.
Cela t’a donné envie d’écrire du théâtre ?
J’ai toujours eu l’envie d’écrire et aimé le théâtre. C’est un art qui convoque énormément l’imaginaire, où le public a sa part, est actif. Je suis fascinée par le partage des énergies entre la salle et la scène, la représentation n’est jamais la même suivant comment la salle y répond. J’aime aussi le travail de la langue au théâtre, une langue à la fois familière et autre, qui permet de jouer avec sa musicalité.
As-tu des pièces en cours d’écriture ou d’édition ?
Ma pièce Revanche sera éditée ce mois de janvier aux éditions Koinè. C’est une pièce jeune public, sur un groupe de collégiens qui se rebelle contre des faits de harcèlement. Je suis en préparation pour ma prochaine écriture, qui démarrera en résidence à la Chartreuse.
Est-ce que tu as quelques mots à partager avec les lecteurs avant qu’ils ne découvrent ta pièce ?
Ils ont vraiment leur part de création. La pièce est faite pour ça et je leur souhaite une bonne lecture !
Propos recueillis par Annabelle VAILLANT
Découvrez toute la programmation 2018-2019 de ALT
Soirées autour de Aire de repos : la forêt de Marion Guilloux :
– Infiltration (inscription obligatoire)
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Photographie de Une – Marjorie Fabre (crédit : Romain Nosenzo)