Eddy Gaillot : “La culture est l’une des réponses à la situation que nous traversons”
Diagnostic de la situation artistique et des défis socio-culturels que devront relever les collectivités territoriales, pendant et après la crise, par Eddy Gaillot.
Eddy Gaillot est vice-président de la Fédération nationale des associations de directeurs des affaires culturelles (FNADAC), président de l’Association des DACs de Bourgogne-Franche-Comté (ADAC BFC) et directeur des Affaires culturelles de la ville de Chenôve.
« Porter la plume dans la plaie »
Originaire du département de l’Aube, Eddy Gaillot oscille longtemps entre le droit et le métier de comédien : « J’ai commencé ma carrière dans la belle ville de Troyes, où j’ai mis du temps à me chercher, tour à tour en tant que videur, machiniste et comédien au sein de structures comme le théâtre de la Madeleine, le théâtre populaire de Champagne ou encore le théâtre Gérard-Philippe à Saint-André-les-Vergers, pendant presque dix ans. »
Sa rencontre avec l’écrivain Patrick Grégoire est par la suite déterminante : « J’ai intégré le théâtre du Rameau-d’Or à Dijon et on a créé avec Patrick le festival “Peine irréparable”, qui célébrait les vingt ans de l’abolition de la peine de mort, se remémore-t-il. J’aime beaucoup la formule d’Albert Londres, “Porter la plume dans la plaie’”; c’est ce que nous faisions en réalisant des interviews dans les milieux ouvriers, carcéraux et hospitaliers, une masse d’informations et d’émotions que l’on exploitait sur scène. »
L’aventure dure jusqu’en 2003, date de sa prise de fonction en tant que directeur des Affaires culturelles de la ville de Longvic. Durant douze ans, il organise notamment les Rencontres de la bande dessinée, participe à la lutte contre les discriminations et œuvre à l’accès à la culture pour tous, autant de thématiques qu’il retrouve en arrivant en 2016 à la direction des Affaires culturelles de la ville de Chenôve.
Son maire PS Thierry Falconnet et ses élus placent en effet l’émancipation au cœur de leur politique : « C’est un territoire à l’ambition culturelle très forte : la ville possède tout d’abord le label de Cité éducative, il y a le dispositif Orchestre à l’école, la salle de spectacles le Cèdre et sa bibliothèque qui est au cœur d’un quartier prioritaire. »
Les collectivités territoriales durement impactées
Toujours aussi passionné par son métier, frissonnant à chaque lever de rideau, Eddy Gaillot est conscient des difficultés, sans pour autant être alarmiste : « Il y aura toujours des artistes, des propositions innovantes et créatives », mais il ne cache cependant pas ses inquiétudes.
« On arrive à des points de cassures budgétaires. Les collectivités territoriales assument entre 80 et 85 % du paysage culturel français. Je suis inquiet car toutes les mesures de prévention prises en faveur de la lutte contre la COVID, qui sont légitimes, génèrent néanmoins peu de péréquation et sont à la charge des collectivités. »
Deuxième point de cassure : la précarisation de la société va rendre nécessaire selon lui des accompagnements d’urgence : « Concernant les publics que l’on qualifie d’empêchés, la crise a amplifié le sentiment d’exclusion. Il conviendra de renforcer le dialogue avec les structures d’accompagnement et les différents interlocuteurs du champ social et médico-social. »
« Ce qui m’importe est de générer des solidarités professionnelles et de pouvoir se tenir prêt dès que l’éclaircie arrive, ajoute-t-il. Il faut avoir une logique de sniper, dès qu’on a un angle de tir on envoie ! » Dans le champ du spectacle vivant en particulier, il y aura d’après lui un rééquilibrage budgétaire à faire et rien ne se fera sans une multiplication des co-productions.
La reconquête des publics
La crise a par ailleurs accru selon lui un phénomène d’atomisation des publics. Il prône la solidarité et la réconciliation : « La culture, loin d’être accessoire, est l’une des réponses à la situation que nous traversons. Elle a son rôle à jouer, celui de faire du bien. Il va falloir faire un travail de réconciliation car les plus précaires, qui faisaient l’objet d’un accompagnement des pouvoirs publics, perdront confiance et sortiront moins. Il faut que la société s’accorde le droit de sourire à nouveau. »
La reconquête des publics passe par l’éducation artistique, comme outil d’intervention prioritaire pour soutenir l’effort d’émancipation intellectuelle et culturelle des plus jeunes. « Ajoutons le mot ‘‘citoyen’’, souligne Eddy Gaillot, car l’éducation artistique et culturelle est un espace de liberté et de création qui donne les clefs de la réflexion, favorisant l’émergence des jeunes citoyens. »
Il faudra encore aller chercher le profil du ‘‘consommateur culturel’’ : « Quand j’étais plus jeune, il y avait la grande enquête d’Olivier Donnat sur les digital natives et les pratiques culturelles à l’aube de l’an 2000 ; aujourd’hui, on est dans le monde digital. Vous pouvez avoir une vie culturelle sans sortir de votre chambre ; c’est un paradoxe de notre époque. Je fais partie de la génération qui considère que la culture, c’est aller à la rencontre des autres. Le numérique offre des solutions, mais ne remplacera jamais une salle. »
Remarquant un enfermement des imaginaires sur la toile, il insiste sur le devoir d’impulser une éducation citoyenne numérique : « La reconquête des publics devra intégrer ces difficultés. Les bibliothèques des collectivités territoriales, les espaces publics numériques ont un rôle de premier plan à jouer pour une formation des publics au digital. »
Esprit de concertation à la FNADAC…
Les concertations menées au cours des derniers mois au sein de la FNADAC, qui rassemble onze associations nationales et régionales de directeurs des Affaires culturelles, leur ont permis d’avoir un certain recul sur une situation inédite : « Nous étions tous sidérés et bousculés par l’effet ordre, contre-ordre généré par le gouvernement, se souvient-il, non sans ironiser. Nous sommes tous devenus des lecteurs assidus de protocoles ! »
Président, sur le plan régional, de l’ADAC BFC, Eddy Gaillot remarque que le plus difficile est de prendre en compte non seulement le spectacle vivant, mais aussi le patrimoine, les bibliothèques, les conservatoires, les archives et l’archéologie préventive.
« Il faut avoir un argumentaire qui réponde à tous les secteurs, confirme-t-il. Ces espaces d’échanges ont été très pertinents pour maintenir du lien entre les villes et les territoires. Quel que soit le grade des interlocuteurs, chargés de mission ou responsables, ça a permis de dialoguer en continu pendant le premier confinement mais aussi le deuxième ; on a été tout le temps en contact visio, avec les collègues d’Auxerre, Nevers, Montbéliard ou encore du Creusot. »
Fort d’une longue expérience dans le milieu du spectacle vivant, en tant que cheville ouvrière au service des politiques culturelles des élus municipaux, mais encore comme vice-président de la FNADAC, Eddy Gaillot n’ignore ni les troubles de notre société, ni les solutions qu’un élan de solidarité peut apporter, par le soutien aux structures culturelles de proximité et une logique de co-construction de projets.
Correspondante Bourgogne-Franche-Comté
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Photographie de Une : Eddy Gaillot
Crédits : Morgane Macé / Profession Spectacle
La FNADAC a bien du mal à lire les lois sur les droits culturels des personnes…Elle les ignore comme quoi la culture est au dessus de la loi !! la république a ses faiblesses ! Doit-elle s’en vanter ?
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