Du vagabondage en temps de crise
Restriction des spectacles, annulations, reports, distributions doublées au cas où… Nous sommes, comme dans les salles de spectacle, perdus au milieu d’un désert. Un vagabondage bien imprévu à l’origine de cette chronique.
Ce n’est qu’au bout d’un peu plus de deux années de vagabondage théâtral que je m’aperçois n’avoir pas très bien ou suffisamment explicité le titre de cette chronique ! Les circonstances pandémiques m’y font revenir à propos. J’entendais donc le terme de vagabondage – avec une certaine naïveté, je l’avoue maintenant – dans un sens plutôt réjouissant, en contradiction flagrante avec la stricte étymologie du mot. Mais bon, j’en aurais bien profité un temps, allant de-ci de-là à butiner dans l’univers de la représentation théâtrale. Avec l’épidémie l’heure de la récréation est terminée, les temps n’étant franchement plus à la folâtrerie.
Revenons au vagabondage, au vrai, à celui lié à l’errance du sans domicile fixe. Vagabonds au sens premier du terme, nous le sommes redevenus, ou devenus, avec la pandémie. Nous n’avons plus de maison et surtout plus de maison théâtrale. Qu’en est-il de nos théâtres ? Fermés bien sûr durant le confinement – définitivement pour certains, ils ont, dans le grand élan de l’été rouvert leurs portes en pensant que le plus dur était passé. Que nenni, il a fallu en rabattre, c’est-à-dire les refermer très vite, ou en tout cas bouleverser leurs créneaux d’ouverture. Un vrai casse-tête auquel le petit monde du spectacle vivant s’est courageusement attaqué. Tout cela est bel et bon, et on ne soulignera jamais assez le courage et l’abnégation de ces acteurs de la culture qui, pour la plupart, ont repris les choses en main, comme si de rien n’était. Comme avant. Et en fermant les yeux, c’était encore mieux. Nous n’avions plus qu’à nous réjouir !… Mais dans tout cela, a-t-on seulement pensé à ceux censés fréquenter ces maisons et, pour le dire crûment, les faire vivre ? Pas trop quand même ! On a bien aménagé les abonnements, le prix des places et tout le fourbis matériel (un grand merci aux spectateurs qui n’ont pas demandé à se faire rembourser les billets déjà achetés !), mais pour le reste, c’est la grande improvisation.
C’est là d’ailleurs où le terme de vagabondage reprend tout son sens. Restriction des spectacles, annulations, reports, distributions doublées au cas où…, sans parler des mesures sanitaires obligeant les théâtres à respecter les distances sociales comme on dit élégamment, n’ont pas rendu les choses franchement réjouissantes et nous ont réduits à l’errance sans fin, à la recherche d’on ne sait plus trop quoi. Nous sommes, comme dans les salles de spectacle, perdus au milieu d’un désert. Il faut bien le constater, beaucoup préfèrent rester chez eux en attendant des jours meilleurs : les salles, même les jours des si festives premières ou générales (cette chose-là – résurgence d’une pratique d’un autre temps – existe donc encore ?), sont loin d’être pleines. On reste timide en la matière. Et peureux, même.
Quelque chose grippe dans la machine, un élan, une ferveur, un « je ne sais quoi » qui rend les affaires plutôt moroses. Quand elles ne sont pas lugubres. On me reprochera sans doute mon pessimisme ; c’est vrai que la situation n’est peut-être pas si grave que cela ; c’est la nature humaine (et théâtrale) qui est désespérante !
Lire les derniers vagabondages mensuels de Jean-Pierre Han :
– Le temps des reprises
– À la recherche de salles vides
– Public, nous t’aimons !
– Le metteur en scène et ses affidés
– Pour l’anonymat des auteurs
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Critique dramatique et rédacteur en chef des Lettres Françaises, fondateur et rédacteur en chef de la revue Frictions, Jean-Pierre Han est une des plumes incontestées du monde théâtral, privilégiant une approche essentiellement politique. “Vagabondage théâtral” est sa chronique mensuelle pour les lecteurs de Profession Spectacle.
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