Droits voisins : où en est-on ?
Alors que le ministre de la culture s’est ému du refus de Google d’appliquer la loi du 24 juillet 2019 relative au droit voisin et que l’Autorité de la concurrence vient de lancer une enquête sur ce sujet, Profession Spectacle revient sur les principales dispositions de cette loi et vous explique tout.
En adoptant la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, la France est devenue le premier État membre de l’Union européenne à transposer les dispositions de l’article 15 de la directive européenne (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (que nous appellerons plus simplement la directive « droit d’auteur » ci-après).
La directive entend garantir un juste partage de la valeur acquise par les plates-formes et les moteurs de recherche à partir de la réutilisation des contenus produits par les éditeurs et les agences de presse.
Dans ce cadre, la loi du 24 juillet 2019 reconnaît ainsi un droit voisin aux éditeurs et agences de presse, tout en prévoyant des exceptions (I). La loi énonce en outre les modalités de partage de la rémunération perçue au titre du droit voisin entre les éditeurs, journalistes et autres auteurs des œuvres incluses dans les « publications de presse » (II).
I. La reconnaissance d’un droit voisin pour les éditeurs et agences de presse en droit français
1) Reconnaissance et composante du droit
Jusqu’à présent, les « droits voisins » des droits d’auteurs protégeaient trois catégories d’auxiliaires à la création afin de leur conférer des droits correspondants à leur investissement dans l’œuvre :
– des artistes-interprètes,
– des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes,
– des entreprises de communication audiovisuelle.
Les éditeurs de presse n’étaient pas concernés. Ils ne disposaient que d’un droit sur la publication de presse dans son ensemble ou bien article par article, en fonction du contrat passé avec l’auteur de chacun d’eux. Ils ne pouvaient en revanche se prévaloir d’aucun droit voisin à l’encontre des géants du numérique, alors que ceux-ci accueillent et hébergent massivement des copies de publications et d’articles de presse.
La loi du 24 juillet 2019 modifie l’article L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle (CPI) pour y ajouter le droit voisin des éditeurs et agences de presse qui fait l’objet des nouveaux articles L. 218-1 à L. 218-5 CPI. Ce nouveau droit voisin, d’une durée de deux ans, s’applique aux « publications de presse » au sens de la directive « droit d’auteur ». L’article L. 218-1 CPI donne la définition de ces publications. Sont notamment concernés les services de presse en ligne. Les publications peuvent émaner tant d’éditeurs de presse que d’agences de presse au sens de l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945.
Toutes ces publications sont bénéficiaires de ce nouveau droit voisin. Les débiteurs de ce droit sont les services de communication au public en ligne : ils ont désormais l’obligation de demander leur autorisation aux éditeurs et agences de presse avant toute « reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique » (L. 218-2 CPI). Sont concernés les réseaux sociaux mais également les moteurs de recherche (Google, Yahoo…) ou encore les portails d’informations, généralistes ou spécialisés (Google Actualités, Apple news, Newsdesk, Europresse…).
En vertu de l’article L. 218-4 CPI, la rémunération due aux éditeurs et agences de presse au titre de leur droit voisin est « assise sur les recettes d’exploitation de toute nature, directes ou indirectes ou, à défaut, évaluée forfaitairement ».
Cette rémunération « prend en compte des éléments tels que les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l’information politique et générale et l’importance de l’utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne ».
Pour assurer l’effectivité du droit voisin, ses débiteurs devront « fournir aux éditeurs de presse et aux agences de presse tous les éléments d’information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers ainsi que tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération [qui leur est due] et de sa répartition ».
2) Exceptions à ce droit
En application de la directive, deux éléments ne sont pas couverts par le droit voisin :
– les « mots isolés » et les « très courts extraits » ;
– les liens hypertexte.
Sur le premier point, l’article L. 211-3-1 CPI prévoit que les titulaires du droit voisin « ne peuvent interdire […] l’utilisation de mot isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse ». Il précise toutefois que cette exception au bénéfice du droit voisin « ne peut affecter l’efficacité des droits ouverts […], notamment lorsque l’utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s’y référer ». Ainsi, lorsqu’un très court extrait détourne l’internaute de la lecture d’un article, l’exception ne vaut plus.
Sur le second point, lorsque l’hyperlien relève des opérations purement techniques, fondées sur la reprise des adresses URL (Uniform Resource Locator) des productions protégées par le droit voisin, les liens en cause ne se substituent pas aux articles d’origine mais visent au contraire à rediriger l’internaute vers eux, c’est-à-dire vers le site internet de l’éditeur ou de l’agence. Dans l’hypothèse toutefois où l’hyperlien reproduirait aussi des mots isolés ou des courts extraits, il serait fait exception à l’application du droit voisin.
II. Le partage de la rémunération avec les journalistes professionnels et autres auteurs des œuvres incluses dans la publication de presse
1) Le principe de la rémunération
La directive « droit d’auteur » prévoit que les auteurs d’œuvres intégrées à une « publication de presse » reçoivent une « part approprié des revenus » perçus au titre du droit voisin. Le nouvel article L. 218-5 CPI va plus loin en précisant que cette part est « appropriée et équitable ». Il précise en outre que ce partage est fixé soit par un accord d’entreprise ou tout autre accord collectif (partage avec les journalistes salariés) soit par un accord spécifique (partage avec les autres auteurs, non-salariés).
Il désigne enfin l’autorité compétente pour fixer les modalités de ce partage en cas de désaccord entre les parties.
Si aucun accord n’est trouvé dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi et en l’absence d’accord applicable, « l’une des parties à la négociation peut saisir une commission présidée par un représentant de l’État, composée pour moitié de représentants des organisations professionnelles représentatives d’entreprises de presse et agences de presse et pour moitié des organisations représentatives des journalistes et d’autres auteurs », afin de rechercher avec les parties une solution de compromis pour parvenir à un accord et en cas de désaccord, fixer la part appropriée ainsi que les modalités de sa répartition entre les auteurs concernés.
C’est à la commission des droits d’auteur des journalistes (CDAJ), créée par la loi du 12 juin 2009 dit « loi Hadopi », qu’il reviendra de statuer sur les différends s’élevant à propos du partage des revenus issus du droit voisin.
Précisons qu’en vertu de l’article L. 218-3 CPI, les éditeurs et les agences de presse peuvent céder ou octroyer sous licence leurs droits voisins mais également en confier la gestion à un ou plusieurs organismes de gestion collective.
2) De difficiles négociations à venir
Il revient désormais aux titulaires du droit voisin de négocier la rémunération qui leur est due avec les opérateurs numériques concernés.
Ces négociations risquent d’être difficiles, comme l’augurent la réticence, le refus même, du géant Google. Ce dernier cherche en effet à imposer de force aux éditeurs une licence gratuite pour continuer à être référencés sur son site.
La situation risquant de bouger, nous aurons probablement l’occasion d’y revenir ces prochains mois.
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