Dominique Serve : “On n’est pas musicien parce que l’on réussit un concours, mais parce que le désir de faire de la musique demeure intact”

Dominique Serve : “On n’est pas musicien parce que l’on réussit un concours, mais parce que le désir de faire de la musique demeure intact”
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Musicien et pédagogue, Dominique Serve a traversé un demi-siècle de musique ancienne. Professeur au conservatoire d’Aix-en-Provence, il suit depuis près de 30 ans les évolutions et le développement de ce secteur musical atypique. Rencontre.

Né en 1954, Dominique Serve commence son apprentissage de la musique ancienne dès la fin des années soixante, formé notamment par Xavier Darasse à Toulouse et Harakld Vogel en Allemagne. Coordinateur du département de musique ancienne au conservatoire d’Aix-en-Provence pendant plus de vingt ans, il dirige l’Ensemble Les Temps Présents.

C’est en témoin personnel et en observateur de la vie artistique qu’il analyse les évolutions d’un secteur musical qui a connu un regain d’intérêt à partir de la fin des années quatre-vingts, bouleversant la pratique et l’enseignement en conservatoire.

Entretien.

Dominique Serve, peux-tu nous raconter en quelques mots ton parcours ?

J’ai commencé la musique à l’âge de quatorze ans, ce qui est plutôt tard pour un futur professionnel. Auparavant, enfant, j’avais chanté au sein d’une chorale. Mais ma vocation est survenue grâce à un oncle qui était organiste amateur à Gap. Au cours d’une répétition à laquelle j’assistais, je me suis dit : « C’est ça que je veux faire et rien d’autre. » C’est quelque chose qui m’est apparu vital et irréductible. Comme à l’époque j’habitais Marseille, je suis allé voir Marcel Prévost, qui était le professeur d’orgue du conservatoire. Il m’a dit de commencer par le piano, ce que j’ai fait pendant deux ans avant de pouvoir débuter l’orgue.

Comment a-t-on réagi autour de toi quand tu as annoncé que tu voulais devenir musicien ?

Comme dans beaucoup de famille, on ne m’a pas pris au sérieux si bien qu’une fois le bac en poche, à l’instar de mon père, je me suis orienté vers médecine avec l’idée de me spécialiser dans l’odontologie (ça demandait moins de travail…). J’ai donné le change durant plus de deux ans.  Après ma première année à Limoges, je suis allé à Bordeaux où l’on formait les futurs dentistes ayant fait leur première année à Limoges. Cela m’a surtout permis d’envisager de travailler avec Xavier Darasse, qui était professeur au conservatoire de Toulouse. J’ai donc entamé une série d’allers-retours entre Bordeaux et Toulouse et puis, à un moment donné, tout le monde s’est rendu à l’évidence que seule la musique me convenait.

C’est donc avec Darasse que ta passion pour la musique dite « ancienne » est née ?

Oui et non. Mon rapport avec Darasse a toujours été ambivalent. Je n’aimais pas forcément le répertoire qu’il affectionnait. J’étais plus attiré par les musiciens du Nord de l’Allemagne, que me faisait découvrir un de ses grands élèves les plus brillants, Willem Jansen. C’est d’ailleurs grâce à lui que j’ai pu me rendre en Allemagne et me perfectionner auprès d’Harald Vogel. À cette occasion, j’ai côtoyé Jürgen Ahrend, un grand facteur d’orgues allemand, qui m’a beaucoup marqué…

Dans ton parcours estudiantin, je remarque qu’il n’est jamais question de Paris. Une allergie provinciale ?

Honnêtement, à cette époque, tout le monde fuyait le conservatoire de Paris dont l’enseignement était rigide et reposait sur des visions extrêmement contestables de l’histoire de l’orgue. Tous les professeurs intéressants se trouvaient en province ou à l’étranger.

Et donc l’Allemagne, une expérience essentielle pour toi ?

Oui, auprès d’Harald Vogel qui m’a pris sous sa coupe, à l’issue d’un stage d’été. Au retour de ce premier séjour, Darasse était très en colère et a voulu que je parte. Finalement, nous avons trouvé un compromis : la musique ancienne à Brême, où je suis allé régulièrement pendant cinq ans, la musique romantique et contemporaine à Toulouse… Les voyages forment la jeunesse… J’en souris, mais c’est un schéma qui perdure encore trop souvent dans nos écoles.

C’est-à-dire ?

Le rapport exclusif maître/élève. La difficulté pour l’enseignant référent d’accepter que son élève puisse aller voir ailleurs de temps en temps, surtout chez les claviers. Certains ont du mal à comprendre que l’élève n’appartient à personne.

As-tu donc suivi tout ton cursus diplômant à Toulouse ?

Oui, mon prix à Toulouse et surtout une rencontre décisive avec Jacques Merlet qui m’a permis de réaliser mon premier enregistrement pour France Musique. Jacques est vraiment une figure extraordinaire, qui a contribué au développement de la musique ancienne partout où il est passé. Je crois qu’il n’y a pas un seul musicien de ma génération concerné par la musique ancienne qui ne lui doive pas quelque chose. Après mon prix, j’ai rencontré celle qui allait devenir ma femme et qui est la nièce de Jean-Loup Boisseau, un des plus célèbres facteurs d’orgues français, puis j’ai obtenu mon premier poste à Carpentras tout en préparant les concours de la fonction publique de façon un peu chaotique mais avec deux CA [Certificat d’aptitude aux fonctions de professeur de musique, NDLR] à la clef – orgue et musique ancienne.

Deux CA ?  L’orgue ne te suffisait-il pas ?

Oui, je n’ai jamais voulu rester qu’organiste. Historiquement, les organistes avaient une pratique musicale élargie : autres instruments, improvisation, composition… Il n’y avait pas cette spécialisation comme aujourd’hui. Si tu prends Bach, par exemple, il était multi-instrumentiste. Me mettre au clavecin pour accompagner, c’était vraiment dans le but de faire de la musique d’ensemble. Et, bien entendu, la musique d’ensemble au clavecin, c’est la musique ancienne. Je suis extrêmement attiré par le timbre des instruments d’époque, pas forcément en raison du débat autour de l’authenticité mais simplement du point de vue esthétique. Le son des instruments modernes est extrêmement difficile à écouter pour moi. Et puis, il y a toujours un aspect lié au sens des choses qui m’habite et que je retrouve dans la musique baroque.

Dominique Serve (© Nicolas Serve)

Dominique Serve (© Nicolas Serve)

Peux-tu me parler de la musique ancienne dans les conservatoires, et notamment de son implantation ?

Disons qu’au départ, l’enseignement de la musique ancienne n’était pas organisé en département, avec une coordination et une part importante dévolue à la pratique d’ensemble. Nombreux étaient ceux qui devaient partir à l’étranger s’ils voulaient découvrir des instruments anciens, souvent en Suisse ou en Hollande. Au début des années 1980, le CNSM de Lyon et celui de Paris ont fini par développer un département de musique ancienne. Puis, à partir de 1986/87, avec la création du CMBV [Centre de musique baroque de Versailles, NDLR], le succès incroyable de l’opéra Atys de Lully, mis en scène par Jean-Marie Villégier et William Christie, et la multiplication des formations musicales baroques, la demande a augmenté auprès des conservatoires ; les départements de musique ancienne ont commencé à se structurer. En ce qui me concerne, l’aventure à Aix débute en 1992.

Peux-tu nous en dire un peu plus ?

Au début, à Aix, il n’y avait que le clavecin, la flûte à bec et la viole de gambe. J’ai pu intégrer le conservatoire grâce à une aide du ministère pour créer le poste d’accompagnateur. Avec Sabine Weill, qui était alors coordinatrice du département, on a lancé l’idée des week-ends de musique ancienne une fois par mois pour faire venir les instruments qui nous manquaient. À partir des années 2000, j’ai repris le flambeau avec l’idée de centrer nos week-ends sur la pratique amateur. Nous avons pu engager des professeurs contractuels pour quelques heures et ainsi augmenter les possibilités d’enseignement. Nous ne sommes évidemment pas les seuls à proposer ce genre de formules. Il y a par exemple une très belle aventure au conservatoire de Tours. Bref, le succès de nos week-ends est indéniable. Près d’une centaine de personnes y participent et viennent de toute la France.

Quel est précisément ton rapport avec les amateurs ?

Il faut être clair, il y a environ 1 % des élèves des conservatoires qui deviennent professionnels, toutes disciplines confondues ; donc, j’en déduis qu’on forme avant tout des amateurs, ce qui d’ailleurs devrait être notre motivation principale. J’avoue que je m’élève contre le fantasme absolu de la plupart des professeurs d’envoyer leurs élèves aux CNSM et autres pôles supérieurs. C’est important bien sûr, mais ça ne peut pas être la première motivation. Je crois que l’exigence doit être ailleurs : former de très bons amateurs, des gens qui vont continuer à faire de la musique toute leur vie, cela a aussi sa noblesse et n’est pas du tout incompatible avec la professionnalisation pour certains.

Il faut bien comprendre que le niveau monte depuis des années. Et qu’il y a de plus en plus de gens qui jouent bien. Paradoxalement l’offre professionnelle se rétrécit. Moins d’orchestres, moins de subventions, avec dans le même temps une internationalisation des musiciens. Donc être simplement bon, même si on est passionné, ça ne suffira pas dans la plupart des cas ; l’entrée dans une école supérieure ne garantit pas du tout l’insertion professionnelle. À Aix, nous avons réussi à étoffer l’offre proposée. La plupart des instruments baroques y sont représentés avec des classes bien remplies et des gens impliqués. Cette réussite, je pense qu’elle est la conséquence du point défendu plus haut. On n’est pas musicien parce que l’on réussit un concours, mais avant tout parce que le désir de faire de la musique demeure intact. Je quitte le conservatoire d’Aix avec le sentiment que ce pari est réussi.

Quels sont maintenant tes projets ?

Il y a une chose dont nous n’avons pas encore parlé et qui correspond à mes aspirations actuelles, c’est ma rencontre aussi extraordinaire qu’inattendue avec le jazzman Louis Sclavis, rencontre qui a débouché sur une amitié qui dure depuis vingt ans et m’a conduit sur les chemins de l’improvisation, pratique devenue incontournable pour moi.  Il y a tellement de points communs entre la musique du XVIIe siècle et la « musique improvisée » d’aujourd’hui. Je mets des guillemets car les choses ne sont pas aussi simples, mais disons que le rapport entre l’écrit et le non écrit est pour moi très commun aux deux mondes. C’est cela que je veux développer, en multipliant les contacts avec beaucoup de musiciens d’horizons différents. Bien entendu, cela n’arrêtera pas ma pratique de la musique ancienne, notamment celle de Bach et de Buxtehude…

Propos recueillis par Enguerrand GUÉPY

Correspondant Provence-Alpes-Côte-d’Azur

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