Dominique Richard : « J’essaie seulement d’écrire par bouffées d’enfance »
Palmarès sans surprise mais pas immérité, hier soir, pour les Grand prix de littérature dramatique : Koffi Kwahulé l’emporte avec L’odeur des arbres et, dans la catégorie jeunesse, ce sont Les discours de Rosemarie, de Dominique Richard, qui raflent la mise. Deux textes forts, publiés par les éditions Théâtrales. La soirée, qui avait lieu au Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD), a alterné discours et lectures des huit textes finalistes, avant l’annonce des lauréats.
« L’écriture, c’est la liberté, introduit Claire Lasne-Darcueil. Quand on n’a pas d’argent pour monter des spectacles, pour faire des films, on peut toujours écrire. » La formule, pour le moins curieuse, suscite les rires gênés du public. Car l’écrivain, qui ne bénéficie d’aucun régime favorable tel que l’intermittence, sait combien sa situation est précaire, volant parfois à la nuit ses heures d’inspiration et de travail. Et la directrice du CNSAD de poursuivre, avec plus de justesse, sur l’aventure, « belle parce que risquée », que constitue le passage du texte à l’interprétation : « L’apprentissage de l’art dramatique, être un interprète, c’est rentrer dans les paysages qui ne sont pas encore construits, qui ne sont pas encore finis. »
Le passage du texte à l’interprétation : « relever les paroles couchées » (Robin Renucci)
La nouvelle déléguée théâtre au ministère de la culture, Sophie Zeller, qui a pris ses fonctions le matin même, lui succède pour un discours de convenance, rappelant le soutien du ministère à ce prix qui vise à « valoriser la diversité et la spécificité de l’écriture dramatique ». Cette diversité est notamment perceptible, de l’avis de Gwénola David, directrice d’ARTCENA, dans la constitution du jury, qui rassemble des personnalités de divers horizons : « Elles portent, chacune à leur manière, un regard sur les écritures théâtrales. Cette diversité est importante puisque c’est la convergence de ces regards qui va faire émerger ces deux lauréats. »
Sur les 87 textes reçus – 64 en littérature dramatique, 23 en littérature dramatique jeunesse – des 23 éditeurs, huit ont été retenus dans la sélection finale, dont des extraits – plus ou moins bien choisis – sont lus par des comédiens préparés par Robin Renucci : Marilou Aussilloux, Manika Auxire, James Borniche et Florent Hu.
L’actuel directeur des Tréteaux de France et « metteur en voix » a rappelé l’importance de cette confrontation entre de jeunes acteurs et l’exigence de « l’interprétation, c’est-à-dire la traduction en langue orale de paroles couchées qu’il faut relever, dans un premier geste généreux, pour donner à voir tout autant qu’à entendre. La lecture nous rappelle que le spectateur achève lui-même toujours la parole des auteurs et des acteurs. C’est un travail plus symbolique qui se met en place pour que la lecture théâtrale laisse voir et imaginer les situations. »
L’odeur des arbres : « un grand texte du théâtre contemporain » (Vincent Monadé)
Mystérieusement absent hier soir, Koffi Kwahulé a été récompensé du plus prestigieux prix littéraire consacré à un texte destiné à la scène, l’emportant d’une courte tête, selon un des jurés, sur Delta Charlie Delta de Michel Simonot. Le prix a été remis, en l’absence du lauréat, à Pierre Banos, directeur des éditions Théâtrales, grand vainqueur de cette soirée.
De l’avis de Vincent Monadé, président du Centre national du Livre et du jury de ce grand prix, l’écrivain ivoirien appartient à la classe des Kourouma, Hampâté Bâ, Tchicaya… « J’ai rencontré un immense écrivain, dont la langue est sublime, qui revisite à mon sens Antigone – c’est mon interprétation du texte – de façon merveilleuse, extraordinaire. Ce n’est pas celle par qui le malheur arrive, c’est celle qui découvre le malheur après qu’il s’est passé. » L’odeur des arbres est selon lui « un texte d’une très grande beauté et d’une force impressionnante, qui restera très longtemps parmi les grands textes du théâtre contemporain ».
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« La littérature, mère et mémoire de tous les arts »
L’accent a particulièrement été mis sur le développement de la littérature dramatique destinée à la jeunesse, tant par Sophie Zeller que Robin Renucci. « Nous sommes heureux que la littérature jeunesse prenne cet essor, a exprimé le comédien, certes depuis malheureusement trop peu de temps, mais désormais avec une véritable énergie, car c’est là que ça se passe, depuis l’enfance, pour que nous soyons dans ce compagnonnage de la littérature, mère et mémoire de tous les arts. »
Vincent Monadé n’a pas manqué de saluer une pièce écrite avant les élections présidentielles et qui semble comme les anticiper, des sondages renversés au surgissement du candidat inconnu. « Dans Les discours de Rosemarie, il y a quelque chose qui, tout en restant à hauteur d’enfant, relève de l’apprentissage du monde comme il va, plutôt pas bien, avec la politique comme elle va, plutôt pas bien. » Une intervention sympathique et enthousiaste, conclue par un propos que nous espérons maladroit : « C’est un texte extrêmement fin et subtil, et je crois qu’il marche très très bien sur les enfants ». En d’autres lieux, cette simple proposition « sur » passerait pour terrifiante, du fait de sa connotation propagandiste.
Dominique Richard et l’enfance baroque
Dans son discours de remerciements, Dominique Richard a su mêler rhétorique et poésie, prétérition et affirmation, humour et gravité… S’il n’a pas manqué de procéder à quelques raccourcis faciles et stigmatisant devant un public acquis (Emmanuel Macron, les opposants au mariage unisexe, la censure dont il a fait l’objet, etc., y sont passés), cultivant cet entre-soi d’un « monde culturel » qui laisse souvent une grande part de la population française de côté pour ne pas chercher à la comprendre, le dramaturge a également évoqué son chemin d’écriture, « ou plutôt cette errance », avec beauté et finesse, et parlé de ces rencontres avec les enfants. Il s’est fendu, dans sa conclusion, d’une remarquable approche de l’enfant, sensible, touchante et presque lyrique.
« Les enfants créent des œuvres baroques. Les enfants sont des êtres baroques. Ils plient et déplient les espaces et les temps. Ils tissent les mondes. Ils relient les points de l’impossible, ils découvrent les relations secrètes entre les soupières et les étoiles, les résonances mystérieuses entre les arbres et les lapins, les liens cachés entre les vitesses et les galaxies, qu’on puisse courir de toutes ces vitesses en même temps pour aller plus vite, qu’on puisse respirer le parfum des galaxies en fermant les yeux. Même leur silence est bavard. Même leur sérieux est extravagant. Même leur retenue est exubérante. Je n’écris, bien sûr, pas pour eux ; ils demeurent pour moi des mystères incompréhensibles. Et imaginer que j’ai pu moi-même un jour être l’une de ces énigmes insondables me plonge dans la stupeur. J’essaie seulement d’écrire par bouffées d’enfance et de tisser le réseau des questions que nous pourrions partager pour ressentir ensemble, dans l’oubli des âges, par-delà les espaces et les temps, cette présence au monde par laquelle la vie cesse d’être un problème, et retrouver peut-être ce lieu incertain et presque effacé de mon enfance, où vivre redevient, simplement, un privilège. »
Photographies de la soirée (crédits : Pierre Gelin-Monastier)