Die Wand
Chronique des confins (44)
Isabelle Raviolo
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Un jour, une écriture – Le confinement porte en lui-même une intimité, une profondeur dont peuvent se saisir les écrivains et les écrivaines, notamment de théâtre et de poésie. Nous les avons sollicités, afin qu’ils offrent généreusement leurs mots, leur écriture des confins… Derrière l’humour qui inonde les réseaux sociaux, il y aura toujours besoin d’une parole qui porte un désir, une attente, un espoir, du sens.
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à Rémi L.
Grâce à qui j’ai découvert ce roman de Marlen Haushofer,
que je lis, relis, et ne quitte plus.
Rappelez-vous ces jeux d’enfance où vous improvisiez une tente, composiez un antre, votre cocon de réflexions. Dans cet espace confiné, le monde s’agrandissait. Jadis, vous étiez libre de voyager.
Aujourd’hui, à l’heure du confinement généralisé, l’expérience prend un goût de rance. L’air est pesant ; ça sent le renfermé. Coincé dans vos quinze mètres carrés, vous suffoquez.
Tout vous semble étriqué, petit, insignifiant même : ce qui, jadis, vous inquiétait, les charges, fonctions et apparences, s’envole en fumée. Reste l’homme nu. Ses angoisses, ses doutes, ses illusions perdues.
Quelque chose craque de l’autre côté. Une allumette dans le noir ? La petite fille renaît. Avec elle fleurissent des échappées. Des mondes imaginaires. Tu te souviens du conte. Il était une fois…
… un Mur invisible. Le temps des horloges s’est arrêté. Ce que l’on croyait impossible est devenu réalité. Soudain, l’enfant a mûri. Elle tient son journal : jour 1, réapprendre à vivre le quotidien.
Le roman de Marlen Haushofer t’accompagne. Solitaire, de ce côté du Mur, la narratrice espère. Son courage t’éveille. Quand tout s’est effondré, elle demeure présente, continue de penser.
Entourée d’un chien, Lynx, d’une vieille chatte, et d’une vache, Bella, qui va vêler, elle éprouve un nouveau goût d’exister : la joie spacieuse de la simplicité. Un monde meurt, un autre renaît, plus réel, moins désincarné.
Et même si vous ne tenez qu’à un fil, le livre des heures prend chair. Dans ces paroles de foi, pleines de reconnaissance et d’amour, la narratrice vous exhorte à tisser, avec patience, une humble louange à la vie.
Ici, au milieu des bêtes et des arbres, l’homme, présent fragile, respire et crie. Celui qui s’était cru « supérieur » est redevenu enfant. Il pleure, espère au fond de lui : l’instant d’éternité. La parole précaire. Oui.
Et, dans ce confinement imposé pour une durée indéterminée, le lien entre Lynx et la narratrice, comme celui qui relie Umberto Domenico Ferrari et Flac, dans le film de Vittorio de Sica, te redonnent des ailes. Leur confiance illumine ta journée. En ce lien de proximité qui nous relie aux bêtes, tu retrouves ta propre simplicité. Oui, il y a plus de différence d’homme à homme que d’homme à bête.
À quoi tient notre raison humaine ? Que valent aujourd’hui ses murs, ses possessions ? Peut-être rien d’autre que cela, je crois : le rappel de notre humaine condition. Sans prétentions. Montaigne l’avait décrite dans ses Essais :
« Est-il possible de rien imaginer si ridicule que cette misérable et chétive créature, qui n’est pas seulement maîtresse de soi, exposée aux offenses de toutes choses, se dise maîtresse et impératrice de l’univers, duquel il n’est pas en sa puissance de connaître la moindre partie, tant s’en faut de la commander ? »*
Aujourd’hui, Le Mur invisible m’a permis d’en réévaluer la noblesse et la pauvreté :
« Les barrières entre les hommes et les animaux tombent très facilement. Nous appartenons à la même grande famille et quand nous sommes solitaires et malheureux, nous acceptons plus volontiers l’amitié de ces cousins éloignés. »**
(Tierce patiente
Soupir ………. ces chants,
Du cygne solitaire blessé
L’enfance résiste
D’écarlates prières ….. –
L’éclair
Vierge noire,
Dessine l’asymptote
Jusqu’aux cimes …… chair
Par audace excédée )
De passage sur Terre
* Montaigne, Essais II, 12, « Apologie de Raymond Sebond », éd. Folio, p. 113.
** M. Haushofer, Le Mur invisible, éd. Babelio, p. 274.
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Crédits photographiques : DR
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