“Deux pas vers les étoiles” de Jean-Rock Gaudreault : « on dirait qu’on prend le train »
Jérôme Wacquier met en scène Deux pas vers les étoiles, spectacle tout public écrit par Jean–Rock Gaudreault et interprétée par Flora Bourne-Chastel et Christophe Brocheret. Une pièce drôle, émouvante et simple, accessible à tous les enfants (dès sept ans). Actuellement en tournée.
Cornélia et Junior rentrent de l’école. La rumeur dit qu’ils sont amoureux. Ils se rencontrent pour en parler : c’est le début pour eux d’un voyage poétique au cours duquel ils vont non seulement découvrir le monde mais aussi révéler à l’autre leur monde intérieur.
Deux enfants solitaires et rejetés de leurs camarades, de ceux qui à la dérobée regardent les jeux des autres auxquels jamais ils ne sont conviés, de ceux qui peuvent même à l’occasion devenir les souffre-douleur de ces autres, se rencontrent près de leur école. Junior et Cornélia, ce sont leurs noms, ont à parler de la rumeur selon laquelle ils seraient amoureux l’un de l’autre : démarre alors pour chacun d’eux un voyage que l’on peut dire intégral, voyage à l’intérieur de soi-même (se peut-il que, si solitaire que l’on soit, un autre cherche en nous à naître et aimer ?), voyage vers l’autre (en posant vraiment son regard sur lui), voyage enfin dans le vaste monde de l’enfance, vaste car il a devant lui l’étendue de la vie, le déploiement du temps. Vaste car il les confronte à leurs rêves : elle veut devenir journaliste, il veut devenir astronaute. Vaste en ce qu’il demande à être inventé – et partagé.
Deux pas vers les étoiles est un texte du dramaturge québécois Jean-Rock Gaudreault publié par les éditions wallonnes Lansman. Ces étoiles, ce sont celles du ciel nocturne propice à la rêverie et aux grands desseins ; ce sont aussi, peut-être, celles du drapeau des États-Unis d’Amérique, car nos deux enfants sont fascinés par les grands espaces américains ; ces étoiles, qui sont comme les grains de sable du ciel nocturne, sont enfin le symbole de la belle fécondité de l’homme dans le monde, rappelant la promesse de postérité faite à Abraham. La pièce, créée en 2009 et représentée lors du festival d’Avignon 2017, a déjà connu une belle diffusion. Elle poursuit maintenant sa route.
Son caractère poétique et enchanteur doit beaucoup à la mise en scène de Jérôme Wacquiez et à la scénographie d’Anne Guénand, tout à la fois sobres, inventives et oniriques, qui voient les comédiens construire des cabanes, poser des rails, effectuer des cabrioles ceints de structures en bois dont ils émergent parfois comme des fleurs inattendues. Il y a dans tout cela l’allégresse et la gaîté foncières de l’enfance, si bien que l’on recommande la pièce à tous les enfants (à partir, disons, de cinq ou six ans), à leurs parents qui grâce à eux gardent un pied dans l’enfance, à toutes les personnes enfin qui ont compris que la leur est devant eux.
L’amour, ce bruit qui court
Tout commence par une rumeur : il se chuchote dans l’école que Cornélia est amoureuse de Junior, que Junior a un faible pour Cornélia. La rumeur, dont on saura plus tard que l’un des deux n’est pas étranger à la naissance et la propagation, conduit les enfants à se regarder, à se considérer : qui donc est cette jeune fille dont on me dit amoureux ? Qui donc est ce garçon dont la rumeur me prête l’affection ? M’aime-t-il vraiment, et moi, puis-je dire que je l’aime, car qu’est-ce qu’aimer ?
Voilà donc une rumeur qui fait naître à l’amour, à l’idée et l’expérience de l’amour, deux enfants malmenés. Une rumeur qui les fait se regarder de façon nouvelle : regard réflexif, plongé dans son intériorité et cette petite zone intime, que l’on peut appeler cœur, où se signale et croît l’amour ; mais aussi regard tourné vers l’autre qui d’abord apparaît dans sa singularité, sa bizarrerie, son unicité. Cornélia, que Junior appelle longtemps Corneille, lui semble laide et bruyante comme l’oiseau dont elle tire son nom ; elle écoute toujours en classe (grand sujet de stupéfaction pour un garçon), elle ne fait jamais de blague. Quant à Junior, il est, selon Cornélia, bizarre et « toujours dans la lune ».
Le spectateur comprend alors que tous deux s’étonnent de cette étrange rumeur qui les relie, de ce mystérieux bruit qui les ceint dans son intimité, d’abord insupportable et incongru, puis peu à peu plus doux et mélodieux, jusqu’à devenir musique. La pièce est souvent drôle et les enfants (nous parlons des spectateurs) rient beaucoup. Elle dit cependant de l’amour des choses simples et profondes : qu’il est par exemple difficile de prouver qu’il n’y a pas d’amour entre deux êtres car l’amour est invisible. Un juriste ajouterait : et parce que la preuve négative est la plus difficile à apporter.
Elle dit aussi que l’amour est une initiation à la beauté et comme le plus sûr moyen de la rencontrer et de l’étreindre, qu’il est pour une personne la source d’une pleine croissance : on voit ainsi Junior et Cornélia, à mesure qu’ils se font à la rumeur qui les dit amoureux, désirer la beauté, souhaiter devenir homme et femme. Le premier pourra dire à la seconde, à la fin de la pièce : « mes yeux savent toujours où tu es dans la cour et te cherchent dans la rue ».
Une scénographie de cabanes d’enfance
La mise en scène et la scénographie de Deux pas vers les étoiles s’allient pour faire des deux comédiens les aventuriers et les explorateurs d’un nouveau monde, nouveau monde des nouveaux sentiments qu’ils éprouvent, nouveau monde à découvrir ensemble. Il y a quelque chose du Tom Sawyer de Mark Twain dans leur soif d’aventures et de grands espaces. Le bois tient une part essentielle dans la pièce : en longues planches, il est, avec les draps, la matière des cabanes que construisent les enfants (parfois tout près de leur « vraie » maison !) ; en fines baguettes, il devient les rails que pose Junior dans son exploration, à mesure qu’il construit la voie de chemin de fer qui sillonne les grands espaces ; il transforme aussi Cornélia en indienne lorsqu’il se retrouve dans ses cheveux. Le bois est enfin, pour les enfants, comme un vêtement solide et chaud, discrètement vivant et protecteur.
Les cabanes de bois imaginées par Jérôme Wacquiez et Anne Guénand deviennent même comme un second corps pour les deux enfants qui se retrouvent au milieu de drôles de structures mobiles et même roulantes qui leur sont à la fois des chrysalides et des roulottes. Qui sont aussi la représentation de leur voyage, la figuration de leur monde et de leur vie qui peu à peu s’édifient. Les comédiens s’y établissent, les détruisent pour les reconstruire autrement, les escaladent aussi parfois : cette dimension circassienne de la pièce suggère son caractère circulaire, accentué par la forme de ces drôles de cabanes. Un voyage en forme de boucle est accompli, qui toutefois ne les ramène pas à leur point de départ mais les mène ailleurs, plus au-devant d’eux-mêmes, de l’autre et du monde. À la fin, d’ailleurs, Junior peut enfin appeler Cornélia par son vrai nom.
Et d’une certaine manière, il y aussi une boucle ou un « raccord » dans le titre de la pièce car si, vues de la terre, les étoiles figurent des grains de sable dans le ciel nocturne, les pas que nous faisons sur cette terre, vus du ciel, semblent peut-être de minuscules étoiles, d’infimes grains de sable écrivant nos vies en points de suspension.
Une pièce à voir d’urgence : la prochaine représentation aura lieu le 17 avril 2019 à Champs-sur-Marne, facilement accessible depuis Paris…
Spectacle : Deux pas vers les étoiles
Création : 2009
Durée : 1h
Public : à partir de 6 ans
Texte : Jean-Rock Gaudreault (édité aux éditions Lansman)
Mise en scène : Jérôme Wacquiez
Avec : Flora Bourne-Chastel et Christophe Brocheret
Scénographie et illustrations : Anne Guénand
En téléchargement : dossier du spectacle
Crédits photographiques : Claire Reboisson
Où voir le spectacle ?
Spectacle vu le mardi 26 mars au théâtre de l’Essaïon (Paris)
– 17 avril 2019 : salle Jacques-Brel de Champs-sur-Marne.
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